L’Allemagne face à son passé nazi

Nicolas Zomersztajn
Une nation tout entière doit-elle regarder son passé en face pour mieux s’en affranchir ? Ce questionnement prend une dimension particulièrement douloureuse dans une République fédérale d’Allemagne construite sur les ruines du Troisième Reich. Ce régime criminel a entrainé l’Europe et le monde entier dans un conflit terriblement meurtrier, mais il a également poussé sa folie antisémite jusqu’à sa logique la plus destructrice en exterminant six millions de Juifs.
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En dépit des difficultés que cela suppose pour une collectivité qui s’est construit une identité politique aux antipodes de la politique raciste et de terreur de massé menée par le Troisième Reich, l’Allemagne de l’Ouest (RFA), l’Allemagne réunifiée ensuite, a entrepris progressivement le difficile travail de mémoire sur son passé nazi. Cette interrogation sur le passé n’est jamais restée l’apanage de quelques intellectuels ni d’une poignée de militants marginalisés. Cette réflexion difficile sur l’étendue des crimes nazis a touché l’opinion publique allemande dans son ensemble, à tel point que toutes les franges de la société allemande n’ont pu se dérober à une enquête sur leur passé.

Ce passé difficile à assumer a fait l’objet d’un travail de mémoire qui ne s’est pas accompli comme un fleuve tranquille. Les premières années suivant la fin de la guerre sont surtout marquées par la volonté de tourner la page et d’oublier. Avec la résurgence inattendue d’actes antisémites et la tenue de procès importants concernant des criminels nazis fin des années 1950 et début des années 1960, des efforts importants sont réalisés par des historiens allemands, ce qui incitera les Allemands à entreprendre progressivement le difficile travail de mémoire sur ce passé nazi. Régulièrement travaillée par des débats souvent violents, à partir de la fin des années 1960, l’opinion publique allemande ne peut faire l’impasse sur ces discussions et ces polémiques dans lesquelles s’affrontent des historiens, des journalistes, des intellectuels, des hommes et des femmes politiques, etc. Les premiers procès allemands menés contre des anciens SS dans les années 1960, la présence en toute impunité d’anciens nazis dans les arcanes du pouvoir, de la magistrature, l’université et l’industrie, la radicalisation étudiante de 1967-1968, la diffusion du téléfilm américain Holocaust, la publication du livre Les Bourreaux volontaires de Hitler de Daniel Goldhagen en 1996 ou les débats sur les lieux de mémoire, toutes les controverses suscitées par ces événements ont non seulement accompagné la maturation politique du travail de mémoire sur le passé nazi de l’Allemagne, mais elles ont permis aux Allemands de ne pas échapper à un examen de ce passé. Il est même unanimement admis que l’Allemagne est devenue un modèle à suivre en matière de gestion mémorielle d’un passé « qui ne passe pas ».

Si cette étude se concentre sur la gestion du passé nazi en Allemagne, c’est précisément parce que ce pays a témoigné d’une longue maturation du travail de mémoire. Dans d’autres pays européens soit directement touchés par le nazisme (Autriche), soit impliqués dans une politique de collaboration avec le Troisième Reich, ce travail n’a pas été accompli avec la même rigueur dans certains cas ni accompli du tout dans d’autres. Cette amnésie collective qui prend les allures de la schizophrénie porte les germes de profondes dérives politiques et idéologiques : culte victimaire, recherche de boucs émissaires, acceptation de politiques autoritaires, remise en cause de l’Etat de droit, méfiance envers les minorités, etc. L’émergence de dirigeants politiques populistes déterminés à transformer leur pays membre de l’Union européenne en démocratie « illibérale » trouve aussi ses sources dans une vision mythifiée du passé et dans un refus obstiné de regarder son passé en face. 

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