Israël, Terre promise des végétariens et des végans

Frédérique Schillo
A la pointe de la tendance mondiale du végétarisme et du véganisme, Israël est en train de révolutionner la cuisine.
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De grands gaillards de deux mètres peuvent-ils rivaliser avec les meilleurs sportifs en étant privés de protéines animales ? C’est la question qui vient à l’esprit en apprenant que le club de basket Hapoël Tel-Aviv s’appellera désormais Hapoël Vegan Friendly Tel-Aviv, du nom de son nouveau sponsor, Vegan Friendly, une association qui promeut le véganisme. A l’ouverture de la saison le 19 septembre, les maillots de l’équipe seront floqués du logo rose et vert de l’association, celui-là même que l’on retrouve sur les devantures des restaurants et autres produits végans.

Le fait que Tel-Aviv ait été sacrée capitale mondiale des végans justifie pleinement ce choix. Mais cela ne signifie pas que les joueurs seront soumis à ce régime sans viande ni poisson, ni œuf, lait et fromage puisqu’il bannit tout produit d’origine animale. « Notre objectif n’est pas de rendre tout l’endroit végétalien, mais d’ajouter de la nourriture végétalienne », précise Omri Paz, le fondateur de Vegan Friendly. Et aussi d’éveiller les consciences à l’exploitation animale. Le parrainage du club a été réalisé grâce au financement participatif : les membres de l’association ont collecté un million de shekels et décidé à qui l’attribuer. Un choix ludique qui rompt avec les campagnes culpabilisantes. En 2020, Vegan Friendly avait réalisé un clip choc où l’on voit un couple acheter de la viande. « De l’agneau frais, extra frais ! » lancent-ils à leur boucher. Son apprenti surgit alors, tout sourire, un agneau vivant dans les bras : « Vous le voulez haché ou emballé ? » Parmi les milliers d’Israéliens à avoir vu le clip, 150.000 disent avoir réduit ou arrêté leur consommation de viande.

Un basique de la cuisine juive et israélienne

Israël a bien d’autres arguments à faire valoir en faveur du végétarisme, à commencer par la culture. Si les Israéliens embrassent si aisément cette mode, c’est que leur cuisine est déjà basée sur les fruits et légumes. Prenez les mezze, ces assortiments de petites salades de tomates, concombres ou aubergines, servies avec de l’huile d’olive ; c’est là un classique du régime méditerranéen. Et que dire du symbole national, le falafel, mets végétarien par excellence : des boulettes de pois chiche frites à déguster dans un pain pita avec des crudités accompagnées d’une sauce tehina, à base de sésame.

Le végétarisme est bien au cœur de la cuisine israélienne, voire de la cuisine juive en raison de la casherout qui sépare les produits carnés et laitiers. Les établissements parvé (sans viande ni dérivé laitier), soit un tiers des restaurants en Israël, sont donc classés végétariens.

Difficile pourtant de croire que le tout végétal fasse des émules dans un pays où le barbecue est un sport national. Et pourtant, ils étaient 5% d’Israéliens à se déclarer végan en 2020, 4% végétariens et 8% flexitariens (consommant moins de viande et plus de produits végétaux). Une tendance à la hausse. 1.500 restaurants israéliens arborent aujourd’hui le label Vegan friendly comme le Jahnun Bar, installé dans le marché Mahané Yehouda à Jérusalem. Son propriétaire Gouri est loin d’être un fan du Hapoel Tel-Aviv (son cœur penche pour Haïfa). Il n’est pas non plus prêt à se convertir au véganisme : « On le propose en option. Etre spécialiste de quelque chose, ce n’est jamais bon financièrement. Ça nous coupe d’une partie de la clientèle. » Mais quand on s’étonne de voir le marché ne plus être un repaire de Likoudnikim bouffeurs de viande, il plaide pour la cause végane : « C’était peut-être vrai il y a longtemps, mais ce n’est plus le cas. Maintenant, ce sont leurs enfants et leurs petits-enfants qui viennent au shouk et se font plaisir avec des plats végétariens ». Il se dit même que Netanyahou, troublé par sa lecture du livre de Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ? goûte de moins en moins la chair animale.

Rendre le chou-fleur sexy

Les carnivores pourront (presque) se consoler avec un shawarma végan. C’est le plat signature du petit restaurant éponyme ouvert lui aussi dans Mahané Yehouda. La viande y est remplacée par du seitan, un produit composé de gluten et d’aromates. « Ensuite on ajoute plein de légumes et d’épices », nous explique la fille du propriétaire. C’est bien là le secret de la cuisine israélienne. Et l’autre argument de taille en faveur de sa cuisine végétarienne : le goût.

Bien avant la mode de la « naturalité » vantée par Alain Ducasse, les chefs israéliens rivalisaient de créativité autour d’assiettes végétales. Yotam Ottolenghi, installé depuis 20 ans à Londres, est l’auteur de plusieurs livres de cuisine végétarienne devenus des best-sellers. Le « roi du chou-fleur » Eyal Shani propose de « déconstruire » la cuisine israélienne pour la rendre plus sexy. Houmous, zaatar et chou-fleur rôti sont au menu des 150 restaurants de street food qu’il annonce ouvrir en Europe. Quant à Assaf Granit, une étoile au Michelin, sa cuisine fusion élève les produits israéliens au niveau de la haute gastronomie comme son foie de volaille balagan, où le foie est remplacé par un mélange de champignons, dattes et pignons.

Quand le kibboutz rencontre la start-up nation

Le végétarisme est aussi un business juteux à l’heure du dérèglement climatique et des pénuries alimentaires. Le consommateur réclame un produit plus sain, moins cher et éthique. A quoi bon tuer des animaux quand on peut cultiver une simili-viande ? On estime que d’ici à 2035, un dixième de la viande, des œufs et des produits laitiers consommés dans le monde sera remplacé par des protéines alternatives. Or, sur ce marché, Israël est leader avec quasiment autant de start-up de foodtech qu’il existe de compagnies de cybersécurité.

L’année dernière, la foodtech israélienne a amassé 623 milliards de dollars auprès des investisseurs, soit plus que tous les pays européens réunis. Elle est portée par les locomotives Aleph Farm et Future Meat, qui cultivent de la viande industrielle, et des producteurs de simili-viande comme Redefine Meat avec ses viandes imprimées en 3D issues de plantes. Même le géant des produits laitiers Tnuva, fleuron des pionniers du kibboutz, vient de lancer son centre de R&D dédié aux protéines alternatives.

A se demander si la terre où coulent le lait et le miel ne devrait pas se faire appeler dorénavant le pays du chou-fleur rôti et du kebab sans agneau.

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Frédérique Schillo
Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris