Regards n°1105

Je lis, tu lis, ils écrivent… Léa Veinstein, J’irai chercher Kafka. Une enquête littéraire, Éditions Flammarion, 317 p.

On s’apprête à commémorer le centenaire de la mort, en juin 1924, à l’âge de quarante ans, du grand écrivain tchèque de langue allemande Franz Kafka. Il vit à Berlin, dans la proximité amoureuse de Dora Diamant. La tuberculose le fait souffrir, il ne peut presque plus parler ni rien avaler. Mais il continue d’écrire jusqu’au bout, et de plus en plus. Dernier texte en date : Joséphine la cantatrice. C’est à compter de ce moment que l’histoire de ses manuscrits débute. On le sait, Kafka avait laissé dans un tiroir ses dernières volontés les concernant : que la plupart d’entre eux soient brulés. C’est son fidèle ami Max Brod qui reçoit ces mots griffonnés, et qui passe outre, trahissant les volontés testamentaires de celui qu’il a toujours tenu pour un immense écrivain. Trahissant et tout à la fois sauvant Kafka. Alors commence cet incroyable « roman » des manuscrits rescapés et l’enquête passionnante de Léa Veinstein, à Tel-Aviv et à Jérusalem. Celle aussi, de l’ami Max Brod qui, dès l’été 1924, auprès des parents de Franz à Prague, de Dora à Berlin, de Milena Jesenska, l’autre femme tant aimée (147 lettres de Kafka), va faire l’impossible pour récupérer les moindres papiers, manuscrits, journaux, lettres, brouillons inachevés, etc. Tous les manuscrits que Brod a pu réunir et sauver, il les enfourne dans une valise et, le 14 mars 1939, dans une Europe déjà largement nazifiée, il passe la frontière avec sa femme, s’embarque dans un port roumain pour Tel-Aviv, Palestine. Quelques décennies plus tard, Léa Veinstein va suivre cette valise, ou plutôt son contenu, déposé désormais à la Bibliothèque nationale à Jérusalem. Mais avant cela, elle se rend rue Spinoza, à Tel-Aviv, pour voir l’immeuble où vivaient la collaboratrice de Max Brod, Esther Hoffe, étrange femme qui lui était dévouée, et sa fille Eva, qui ne voulut rien lâcher des trésors « kafkaiens » qu’elle détenait, légués par Brod à sa mère, tout cela au milieu de dizaines de chats et d’odeurs pestilentielles. Mais Brod avait déjà dispersé de nombreux manuscrits à Zurich, à Oxford… 

Après la mort de Max Brod, les dames Hoffe, un peu zinzins et fort cupides vont, depuis leur sordide rez-de-chaussée de la rue Spinoza, se défaire de leur trésor, pièce après pièce, au cours de ventes à l’étranger. Il faut bien vivre. S’ensuivront maints procès très médiatiques des dames Hoffe versus l’État d’Israël, lequel, à tort ou à raison, tenait les papiers de Kafka comme appartenant au patrimoine juif universel et devant légitimement être abrités par la Bibliothèque nationale de Jérusalem. L’enquête que mène Léa Veinstein est exemplaire à plus d’un titre. Comme toute enquête, elle est surtout une enquête sur soi.

Écrit par : Henri Raczymow

Esc pour fermer

1117 Sommes-nous pleinement du bon côté de l'histoire illu
Sommes-nous pleinement du bon côté de l’histoire ?
Au nom de la Palestine, certains progressistes ferment les yeux sur des dérives alarmantes. Derrière la solidarité se cachent parfois(...)
Fouad Benyekhlef
Société
1117 L’historien et le crime de génocide illu
L’historien et le crime de génocide
Alors que le Président français Emmanuel Macron confie aux historiens le soin de qualifier les crimes commis à Gaza, c’est(...)
Iannis Roder
Mémoire, Société
1117 L’histoire jugera-t-elle qui est du bon côté illu
L’histoire jugera-t-elle qui est du bon côté ?
Depuis le début de la guerre à Gaza, les formules « être du bon côté de l’Histoire » ou «(...)
Nicolas Zomersztajn
Société
Visuel SITE UTICK 2025-2026 (1)
Jean Zay, l’homme complet
Une pièce qui nous plonge dans l’histoire à travers le Journal de captivité de Jean Zay.
Non classé
bloc note
La stratégie du fou
Bloc-notes d’Élie Barnavi
Elie Barnavi
Israël
israel analyse
Israël-Iran : la guerre des espions
L’infiltration totale du Mossad en Iran, révélée pendant la guerre des Douze jours, a stupéfié le monde entier. Les services(...)
Frédérique Schillo
Israël