Jolie petite histoire, titre de l’autobiographie de Louis Bertignac, ne peut laisser indifférent tout aficionado qui a un jour vibré sur les puissants riffs blues-rock de Téléphone. Le guitariste se raconte ici à la première personne derrière cette chanson emblématique, une citation de son Cendrillon, un des plus grands hits du groupe parisien séparé depuis 1986. Et malgré les années de complicité avec le guitariste de Téléphone, c’est seulement à cette occasion que je réalise que Bertignac n’est pas tout à fait Bertignac mais Louis Benhaïm, né dans une famille juive à Oran (Algérie) en 1954. Je m’aperçois aussi après toutes ces années que Téléphone était en fait, avec le batteur Richard Kolinka, un groupe (à moitié) juif !
Bien entendu le titre de ce livre est émouvant, car on fait évidemment tout de suite fait le lien avec la chanson Cendrillon, composée par le fameux guitariste de Téléphone. Cependant, lorsqu’on lit l’histoire derrière Jolie petite histoire, dans cette autobiographie, on comprend que c’est un projet de longue haleine puisque le dit titre lui a été inspiré par le producteur Bob Ezrin durant l’enregistrement de l’album Dure Limite en 1982. « Si tu racontes ta vie un jour tu devrais appeler ton livre Jolie petite histoire », lui a alors suggéré le producteur canadien et juif, célèbre pour avoir réalisé les albums de Lou Reed, Aerosmith et d’Alice Cooper. Quarante ans plus tard, Louis Bertignac lui aura finalement donné raison.
Pourtant, quand on évoque sa chanson Cendrillon, on ne peut s’empêcher de succomber à une certaine nostalgie tant elle était emblématique des radieuses années Téléphone. « C’est d’ailleurs sans doute la chanson de Téléphone qui passe encore le plus aujourd’hui sur les radios », affirme Louis avant d’ajouter : « Alors, c’est vrai que Cendrillon, est un titre important, surtout pour moi évidemment ».
Circonspect sur ses origines juives
Bertignac et moi, nous nous connaissons depuis l’aube des années 1980, lorsque je l’interviewais indifféremment pour la presse rock hexagonale ou Radio France Internationale. Cependant nous ne nous étions pas parlé depuis près de vingt ans. Erreur réparée avec cet entretien par « téléphone » où il évoque extensivement ses origines juives et son athéisme. Le plus étonnant c’est que c’est seulement à travers la lecture de son autobiographie que je découvre les origines juives de Louis Bertignac. Or tout au long de mes 40 ans de carrière en tant que journaliste musical, j’ai souvent entretenu des rapports privilégiés et une vraie complicité avec certains artistes juifs aussi divers que Serge Gainsbourg, Johnny Clegg où Joey et Dee Dee Ramone, en raison de nos origines communes.
Certains voient des Juifs partout, et moi j’en découvre de nouveaux que je connais pourtant depuis toujours, à l’instar de Mick Jones, le guitariste du Clash, qui l’est aussi puisque la famille de sa mère Renée Zegansky avait gagné l’Angleterre pour fuir les pogroms russes. Lorsque je lui en parle, Louis Bertignac parait aussi surpris que j’ai pu l’être. « Ah ça me fait plaisir, il fallait bien au moins un Juif dans les Clash, quand même », dit-il poursuivant avec une pointe d’humour, « En revanche, ce qui m’a surpris, c’est qu’il n’y en ait même pas un chez les Stones ! ». Je demande alors à Louis Benhaïm, dont le père, Joël Benhaïm, a changé de nom par souci d’intégration, pourquoi il était aussi circonspect dans son livre sur ses origines juives. Et même pourquoi il était aussi circoncis sur ce sujet ? Sa réponse fuse dans un éclat de rire : « Oui, je suis circoncis ». Je pousse l’interrogatoire par une nouvelle question-provoc et lui lance : « Tu n’as pas fait ta bar mitzva, je présume ? ». Sa réponse est aussi franche que directe : « Je l’ai faite… justement ! ». S’il ne l’évoque pas dans le livre, Louis m’explique alors son choix : « En fait, je voulais surtout faire plaisir à tout le monde et en plus je savais qu’il y aurait des cadeaux à la clef. Je n’osais sans doute pas de me rebeller à cet âge-là par rapport à ma famille. Tous les gosses chez nous faisaient leur bar mitzva, donc je l’ai faite aussi. Mais il est vrai que j’avais du mal à croire en Dieu. J’ai toujours du mal, si tu veux. J’aurais aussi volontiers plus cru au Père Noël qu’à Dieu, je trouve en effet que c’est un Père Noël pour les grands. En fait, j’ai du mal à y adhérer. Je dois sans doute être pragmatique, car j’ai des difficultés à croire à ce que je ne vois pas ».
Bertignac le Sépharade, Kolinka l’Ashkénaze
Lorsque je lui demande s’il sait si l’autre composante juive de Téléphone, le batteur Richard Kolinka, l’a faite également, sa réponse se révèle surprenante : « Cela peut te paraitre étonnant, mais on n’en a jamais parlé avec Richard. J’ignore donc totalement s’il l’a faite ou pas. En tout cas, je lui demanderai à l’occase ». La mère de Richard, Ginette Kolinka, déportée à Auschwitz-Birkenau en même temps que Simone Veil et Marcelline Loridan-Ivens, est extrêmement investie dans la mémoire de la Shoah en témoignant dans inlassablement dans les écoles. Une question justement me taraude : Louis et Richard ont-ils évoqué leur identité juive à travers les tragédies qu’ont vécu les Juifs pendant la guerre. Sa réponse est directe : « Non, jamais. On sait que ça a existé, il faudrait être con pour le nier. Mais avec Richard on n’a jamais parlé pas de ça. On se moque souvent l’un de l’autre, car lui est ashkénaze et moi sépharade, donc on préfère rentrer dans l’éternel conflit ashkénaze/sépharade. On le fait avec humour, bien entendu. Lui je le traite de russe et il me traite d’arabe. Mais ça ne va guère plus loin entre nous ».
Musicien un jour, musicien toujours, Louis travaille d’arrache-pied à finaliser un nouvel album dans son studio de Fontainebleau. À ce jour, le futur trackisting compte déjà 25 nouvelles chansons. Même si toutes ne seront pas conservées sur le prochain album, elles devraient figurer en bonne place dans ce successeur très attendu de son dernier CD de reprises Origines, paru voici déjà quatre ans. Rendez-vous en mars 2023 pour enfin découvrir ce Bertignac nouveau.