La sexualité autorisée, mais maîtrisée

De nombreux observateurs considèrent que le rigorisme de la doctrine de l’Eglise en matière de sexualité empêche les catholiques d’aborder sereinement ces questions.

Religion monothéiste patriarcale, le judaïsme pose-t-il un regard aussi rigide sur la sexualité que l’Eglise catholique ? Pour David Biale, professeur d’histoire juive à l’Université de Californie à Davis et auteur d’un livre sur la sexualité au regard du judaïsme, Eros juif (Actes Sud), « dans le judaïsme, la sexualité est un aspect essentiel dans la vie d’un homme et d’une femme. L’accomplissement, la maîtrise et le contrôle de l’acte sexuel ne s’envisagent que dans le cadre du mariage alors que pour les catholiques, la maîtrise des pulsions sexuelles est exclusivement associée au célibat et à l’abstinence ».

La tradition juive n’aborde les relations sexuelles que dans le cadre du mariage, et ce, dans le but de procréer. Ces relations impliquant le consentement mutuel des conjoints doivent se faire avec amour, tendresse et plaisir. Par ailleurs, le Talmud énonce explicitement que les relations sexuelles sont un droit pour la femme et un devoir pour le mari. Celui-ci a donc l’obligation de satisfaire sexuellement sa femme. Bien que la problématique de l’égalité homme-femme puisse compliquer les choses, une femme peut demander le divorce si son mari ne lui procure pas la satisfaction sexuelle à laquelle elle a droit.

Si la Loi juive aborde avec sérénité la sexualité en considérant l’acte sexuel comme un commandement divin que les époux doivent accomplir en respectant toutefois les conditions fixées par les règles de pureté familiale, le judaïsme est-il aussi permissif et ouvert à la liberté sexuelle que les textes le supposent ? Lorsqu’on combine la lecture de la Torah et de la littérature rabbinique, l’ambivalence du judaïsme sur cette question apparaît clairement. « Les rabbins insistent sur la pudeur et la retenue. Bien qu’ils ne condamnent pas le plaisir sexuel, les rabbins n’admettent qu’un instinct sexuel contrôlé et maîtrisé », nuance David Biale. « Sous l’influence du monde chrétien, de nombreux rabbins cherchent donc à imposer une vision plus rigoriste de la sexualité. Non pas qu’ils la condamnent, mais elle ne doit pas privilégier le plaisir physique. Certains rabbins évoquent même le plaisir quasi sexuel de l’étude du Talmud et des textes rabbiniques. Ainsi, au 18e siècle, pour certains maîtres du Hassidisme, la relation que l’homme entretient avec Dieu est envisagée en termes érotiques. Quand le hassid prie ou s’adresse à Dieu, c’est comme s’il faisait l’amour. C’est ce que j’appellerais un déplacement de la sexualité vers l’amour de Dieu ».

 

Le plaisir des époux

En dehors des périodes de menstruation de la femme, l’abstinence n’est nullement prônée par la tradition juive. Selon David Meyer, ancien rabbin des synagogues libérales de Bruxelles et de Brighton, « la seule tension qui pourrait surgir entre le plaisir et la Loi juive est celle évoquée par Rabbi Nahmanide au 13e siècle dans son commentaire du Lévitique. Si la Torah autorise les relations sexuelles pour le plaisir physique des époux, cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucune limite à ce qui est permis. Nahmanide considère que les individus ne doivent pas se comporter comme des lapins et passer leur temps à avoir des relations sexuelles tout simplement parce que la Torah ne l’interdit pas ». Par le biais de l’interprétation, les rabbins peuvent donc donner une orientation très puritaine aux textes concernant la sexualité. Cette tendance ne s’exprime pas exclusivement sur cette question, elle doit être avant tout replacée dans un cadre plus général. « Des traditions puritaines se sont développées au sein des communautés ultra-orthodoxes », rappelle Régine Azria, sociologue et chercheuse au Centre d’études interdisciplinaires du fait religieux (CNRS-EHESS). « Elles s’efforcent de protéger la Torah en érigeant des barrières. Il s’agit de durcir l’application d’un commandement pour protéger ce qu’elles considèrent être le sens de la loi. Plus il y a de barrières, moins il y aura de dérives. C’est le cas pour la cacherout avec toutes les formes de glatt (Ndlr, glatt est un terme yiddishquidésigne des critères de cacherout plus rigoureux qu’à l’ordinaire) ». Cette vision rigoriste imposée à l’intérieur du cadre familial entraîne dans certains cas des conséquences désastreuses. « Dans les milieux ultra-orthodoxes, la permissivité peut s’exprimer en dehors du cadre familial. Les hommes ont la possibilité d’assouvir leurs désirs sexuels en allant chez des prostituées. Un déséquilibre flagrant apparaît alors entre une limitation rigide de ce qui est autorisé dans le couple et une sorte de soupape de sécurité permissive pour y échapper », regrette David Meyer.

Les sociologues du monde juif reconnaissent sans peine qu’on peut difficilement savoir comment les couples orthodoxes ou ultra-orthodoxes suivent les recommandations ou les prescriptions des rabbins. Ces derniers peuvent prescrire une chose et leurs disciples peuvent faire le contraire dans leur intimité. « Ce n’est pas parce qu’un rabbin dit qu’il faut orienter ses pensées vers Dieu quand on fait l’amour que ses disciples vont en faire autant », relève David Biale. « On a du mal à savoir ce qui se passe réellement dans l’intimité des couples. Pour ce faire, il faudrait littéralement entrer dans leur chambre. Si l’on se fonde sur ce que les rabbins en disent, le sexe est envisagé sous un angle puritain. Tout simplement parce qu’ils considèrent la libération sexuelle comme une caractéristique de la modernité à laquelle ils résistent avec vigueur. Tout ce qui est moderne est mauvais et ne peut mener qu’à la destruction du judaïsme ». Un des acquis de la modernité est effectivement la reconnaissance de l’égalité entre l’homme et la femme. C’est d’ailleurs dans les communautés libérales que des progrès considérables ont été accomplis. La femme ferait-elle encore peur au judaïsme orthodoxe ? Si ce n’est pas le cas, cette question semble toutefois bien préoccuper la tradition religieuse.

Écrit par : Véronique Lemberg

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