Hollandsche Schouwburg est inscrit en grand sur la façade de l’édifice néo-classique dont le fronton a pour figure centrale la déesse Vénus. Ce théâtre d’opérettes et de revues ouvre en 1892 dans le Plantagebuurt, proche du vieux quartier juif et du Zoo Artis, un quartier bourgeois, prisé par les diamantaires juifs fortunés. En 1941, il devient le Joodsche Schouwburg, lieu de spectacle autorisé aux artistes juifs qui s’y produisent devant un public exclusivement juif. En juin 1942, les Allemands en font l’Umschlagplatz Plantage Middenlaan, où plus de 46.000 Juifs seront enregistrés, puis déportés vers Westerbork ou Vught. Ce centre de rassemblement ferme en novembre 1943. Deux hommes d’affaires achètent le théâtre à l’abandon et le rouvrent fin 1945, suscitant de vives protestations. Un comité d’action organise une collecte de fonds, acquiert le bâtiment et le cède à la ville d’Amsterdam pour en faire un lieu de mémoire. En 1962, le premier mémorial national des victimes juives de la guerre y est inauguré. À la place de la grande salle du théâtre, démolie en raison de son mauvais état, s’étend désormais une cour que les visiteurs parcourent le long des galeries latérales, jusqu’aux murs en ruines de l’ancienne scène et un pilier commémoratif au piédestal en forme de Magen David.
Annemiek Gringold, historienne de formation, est curatrice du nouveau musée de la Shoah. Après un long séjour en Israël où elle a travaillé à la Maison des combattants du ghetto (Beit Lohamei HaGeta’ot) et à Yad Vashem, elle revient en 2000 à Amsterdam. La direction du musée de l’Histoire juive d’Amsterdam lui confie le Hollandsche Schouwburg. Lancé en 2005, le projet de création d’un musée national de la Shoah a été un long processus, comme le résume Annemiek Gringold : « Aux Pays-Bas, de nombreux musées représentent la Seconde Guerre mondiale et pour la plupart comptent une section évoquant le sort des Juifs. Il y a un peu de narration muséale sur la Shoah dans la maison d’Anne Frank, aux camps de Vught et de Westerbork, au musée national de la Résistance… mais il n’y avait pas de grande exposition relatant la persécution, la déportation et le meurtre des Juifs aux Pays-Bas. En 1991, la municipalité confie le Hollandsche Schouwburg au musée de l’Histoire juive d’Amsterdam, qui y met en place une petite exposition historique. Je commence à y travailler en 2001. Initialement, le site servait principalement de lieu de commémoration pour la communauté juive, attirant environ 20.000 visiteurs par an. Au fil des années, je constate un afflux d’écoliers et de touristes, nécessitant une explication de l’importance cruciale de ce lieu dans l’histoire de la Shoah aux Pays-Bas. Nous formons des guides bénévoles pour répondre à la demande croissante, et nous atteignons vite le nombre de 80.000 visiteurs par an. C’est alors que s’ébauche le projet d’un musée de la Shoah. La collecte de fonds est d’abord difficile. Même au sein de la communauté juive, certains questionnent l’utilité d’un tel musée. D’autres nous suggèrent d’en faire un musée des génocides ou des droits humains… Nous pensons que la Shoah est un événement historique capital, exigeant son propre musée : 100.000 citoyens juifs de ce pays ont été déportés et assassinés ! En 2012, le bâtiment scolaire, situé de l’autre côté de l’avenue, au n° 27, se libère. La municipalité nous en remet les clés en 2015. Nous y montons neuf expositions temporaires sur la Shoah, en dialogue continu avec le public. Nous obtenons le soutien financier de l’État néerlandais, de l’Allemagne, de l’Autriche et de nombreux donateurs privés, réunissant enfin les fonds nécessaires à la réalisation du projet. Nous fermons le mémorial en janvier 2020 et nous ouvrons le chantier du nouveau musée. Nous avons maintenu notre projet en toute indépendance et à l’écart de la politique ! Le musée fait partie du “Quartier culturel juif”, une institution privée, et s’adresse à toute la société néerlandaise ! »
Nationaal Holocaust Museum (Joods Cultureel Kwartier)
Tous les jours : 10 -17 h
Plantage Middenlaan 27, Amsterdam
Musée et lieu de mémoire de la Shoah
Le projet de musée, formulé en 2016, prévoit la rénovation du Hollandsche Schouwburg et la création d’une exposition permanente au n°27, dans l’ancienne école normale réformée (Hervormde Kweekschool), lieu de mémoire du sauvetage d’enfants juifs. À partir d’octobre 1942, une garderie voisine de cette école héberge les enfants juifs de moins de douze ans, séparés de leurs parents. Sa directrice, Henriëtte Pimentel, contacte des groupes de résistants pour sauver les enfants. En avril 1943, Johan van Hulst, directeur de l’école normale, accepte que des enfants de la crèche fassent leur sieste dans une de ses salles de classe, ce qui facilite leur transfert clandestin à l’école par les jardins, puis leur sauvetage par des résistants. Des centaines d’enfants sont ainsi exfiltrés. Déportée le 26 juillet 1943, Pimentel est assassinée. Le 29 septembre 1943, les derniers Juifs sont transportés d’Amsterdam à Westerbork et les Allemands ferment la garderie. En 1972, Yad Vashem décerne à Johan van Hulst le titre de Juste parmi les Nations.
La Plantage Middenlaan est un donc lieu central pour rendre compte de l’histoire de la Shoah aux Pays-Bas, avec le Hollandsche Schouwburg, lieu de rassemblement des Juifs avant leur déportation et, de l’autre côté de l’avenue, le musée national de l’Holocauste, installé dans l’ancienne Hervormde Kweekschool, où des centaines d’enfants juifs ont été soustraits à la mort.
Le Hollandsche Schouwburg rénové reste un lieu de mémoire et de réflexion. Aux murs des galeries latérales, des gouttes de verre renferment les photos de Juifs détenus dans le théâtre entre 1942 et 1943, que le visiteur peut entendre témoigner avec son audioguide interactif. Derrière le pilier commémoratif, un nouveau jardin de réflexion avec un « arbre généalogique », sculpté par l’artiste Gabriel Lester : Family Tree. L’exposition permanente du nouveau musée national de l’Holocauste occupe les deux étages de l’ancienne école, dont le rez-de-chaussée compte un auditorium, une salle d’exposition temporaire, actuellement consacrée aux « coulisses » de la création du musée (Achter de Schermen), une salle dédiée aux Justes et, dans le jardin, une évocation de l’exfiltration des enfants de la crèche. En janvier dernier, un monument a été inauguré dans la cour intérieure du musée, dédié par les survivants de la Shoah aux Néerlandais qui les ont aidés dans la clandestinité (Nationaal Dankteken). Le parcours historique démarre au deuxième étage, avec la photo du petit Sieg Maandag, marchant entre des cadavres, à Bergen-Belsen, le 20 avril 1945. L’étage se divise en douze stations montrant, entre autres, la vie juive aux Pays-Bas avant la Shoah, la montée du nazisme, l’occupation, l’isolation des Juifs par les nazis, ponctuée par une chronologie tapissant les murs de la galerie eux-mêmes couverts des textes des mesures anti-juives.
Le multimédia anime habilement les centaines d’objets mis en scène et soigneusement identifiés, permettant aux visiteurs de découvrir l’histoire de leurs propriétaires disparus. « Nous voulons rapprocher le visiteur des histoires personnelles des victimes, pour qu’il n’oublie pas que les statistiques de la Shoah concernent des individus », souligne Annemiek Gringold. Parmi les dispositifs ingénieux de la scénographie, citons les Vergeet-me-nietjes, singuliers présentoirs répartis dans toute l’exposition, comportant tantôt un objet personnel, tantôt un portrait photo ou une vidéo, un bref texte, un clip audio, révélant la vie de victimes de la Shoah. Évoquant, en guise de conclusion, le long travail de mémoire des survivants après 1945, ce nouveau musée retrace magistralement l’histoire du génocide juif aux Pays-Bas et son importance actuelle dans la mémoire collective.