07/11/2022
Regards n°1090

Le témoignage précieux de Ginette Kolinka

A l’initiative d’une enseignante en histoire de l’Athénée Royal Jourdan de Fleurus et avec le concours du Centre d’Education à la Citoyenneté du CCLJ, plus de 250 élèves des 4e, 5e et 6e secondaires ont eu le privilège d’entendre le 14 octobre dernier le témoignage de Ginette Kolinka, une des dernières rescapées d’Auschwitz-Birkenau encore en vie.

Témoigner n’est pas une tâche aisée car pour le survivant de la Shoah. Qu’il ait déjà témoigné ou qu’il le fasse pour la première fois, cet instant est toujours pour lui attendu et craint à la fois. C’est évidemment le cas de Ginette Kolinka. Cette Parisienne de 97 ans est une des dernières survivantes d’Auschwitz-Birkenau Quand elle parle, Ginette Kolinka ferme les yeux. « Je parle toujours les yeux fermés. Comme ça, je revois les choses. Si je savais dessiner, je pourrais représenter toutes les scènes qui sont restées dans ma tête ».

« Les choses ». Une expression pleine de pudeur pour évoquer ce qui a bouleversé tragiquement la vie insouciante d’une adolescente juive parisienne. La fuite à 15 ans en zone libre en 1942 pour échapper aux déportations, l’arrestation à Avignon le 13 mars 1944, la prison des Baumettes, à Marseille, le camp de rassemblement de Drancy, le départ vers Auschwitz-Birkenau dans le convoi N°71 (le même que celui de Simone Veil) le 12 avril 1944. Les « choses », c’est aussi la promiscuité dans les wagons à bestiaux, les coups à l’arrivée sur la Judenrampe le 16 avril 1944, le dernier regard sur son père, son petit frère (tous deux gazés à leur arrivée) et son neveu qu’elle ne reverra plus. C’est aussi le froid, la saleté, la faim, la solidarité ou au contraire l’indifférence entre les déportées. Et enfin, les « choses », c’est aussi le retour en France en juin 1945 après être passée par Bergen-Belsen et Theresienstadt. Retrouver Paris alors qu’elle ne pèse plus que 26 kilos. Apprendre à sa mère et à ses sœurs que papa et Gilbert (son frère) ne reviendront pas. Mais heureusement, il y a aussi la vie qui l’emporte. En 1952, elle se marie avec Albert Kolinka avec elle tiendra pendant plus de quarante ans un étal de bonneterie sur un marché d’Aubervilliers.

Pendant cinquante ans, Ginette Kolinka n’a jamais pas parlé de ces « choses » ni témoigné. Pas par honte, mais pour ne pas embêter les gens. « Je me souviens de ma mère qui me rabâchait les oreilles avec ses souvenirs de la Première Guerre mondiale. Qu’est-ce qu’elle a pu me casser les pieds avec les bombardements de la grosse Bertha », se souvient Ginette Kolinka. Ce n’est qu’en 1997 qu’elle accepte de briser le silence en acceptant, après de nombreux refus de sa part, qu’un réalisateur vienne la filmer pour recueillir son témoignage. Fréquentant chaque semaine l’Union des anciens déportés d’Auschwitz depuis le décès de son mari, on lui demande un jour de remplacer un ancien déporté pour un voyage scolaire à Auschwitz-Birkenau. D’instinct, elle décline. « Je suis une fille simple sans instruction et je n’ai rien d’intéressant à dire », explique-t-elle avec une franchise déconcertante. Elle finit par accepter de témoigner et de retourner à Auschwitz 55 après. Et depuis lors, elle sillonne la France et les écoles pour témoigner de ce qu’elle a vécu entre 1942 et 1945.

Raconter ce qu’elle a vu et ce qu’elle a vécu

« Je raconte mon histoire et puis tout », souligne-t-elle. C’est vrai et c’est l’essentiel. Avec sa gouaille des quartiers populaires de l’Est parisien et son humour, elle s’adresse aux jeunes dans des termes simples sans jamais se perdre dans des considérations générales sur l’Histoire ni dans des leçons de morale inutiles. Ginette Kolinka raconte précisément ce qu’elle a vu et ce qu’elle a vécu. Et les 250 élèves de l’Athénée Royal Jourdan de Fleurus venus l’écouter ce 14 octobre 2022 le comprennent rapidement. Ils l’écouteront trois heures sans pause ! Ils le feront dans le calme, sans jamais consulter leur sacro-saint téléphone portable. Une fois son exposé terminé, ils lui poseront de nombreuses questions, très pertinentes d’ailleurs, auxquelles elle répond aussi spontanément que justement. Pour terminer cette matinée de témoignage, elle entonne Le Chant des marais évoquant l’enfer des camps mais dont le dernier couplet souligne l’espoir d’être libre : « Mais un jour dans notre vie, Le printemps refleurira, Liberté, liberté chérie Je dirai : Tu es à moi ! ». Ce chant est à l’image de Ginette Kolinka : il procède de la volonté de rendre compte de ce passé indicible tout en étant plein d’espoir pour l’avenir.

Écrit par : Véronique Lemberg

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