Regards n°1091

L’Edito – Le mirage de l’apolitisme du sport

« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » affirmait Héraclite lorsqu’il soutenait au 6e siècle avant notre ère que tout est perpétuel changement. Pourtant, avec l’organisation de la Coupe du monde de football au Qatar et tous les scandales de corruption et de violations de droits de l’Homme qui entachent cet événement sportif, nous éprouvons le sentiment troublant de ne pas vivre une expérience nouvelle, ni inédite.

En martelant que « la politique et le sport sont deux domaines absolument séparés » (Michel D’Hooghe, ancien président de la Fédération belge de football et ancien membre du Comité Exécutif de la FIFA) ou qu’il ne faut pas « laisser le football être entraîné dans toutes les batailles idéologiques ou politiques qui existent » (Gianni Infantino, président actuel de la FIFA), les hiérarques du football international se cachent derrière la fausse dissociation entre le sport et la politique établie par tous leurs prédécesseurs expliquant que le football est une entité pure et apolitique, qui n’a jamais été compromise par sa collaboration organique avec les dictatures ou les régimes autoritaires violant les droits les plus fondamentaux.

Ce mirage de l’apolitisme du sport mis en avant aujourd’hui par la FIFA (Fédération internationale de football association) s’inscrit bel et bien dans une séquence inaugurée il y a plus de 85 ans avec les Jeux olympiques de Berlin en août 1936. La rhétorique et les éléments de langage établis par les Comité international olympique (CIO) sont encore en vigueur aujourd’hui même si David Guetta a détrôné Maurice Chevalier et les réseaux sociaux ont supplanté la puissance de la presse papier. Lorsque Gianni Infantino sermonne violemment les pays qui critiquent l’organisation de la coupe du monde au Qatar au nom des droits de l’Homme et qu’il déclare que « le Qatar est prêt. Et ce sera la plus belle Coupe du monde de l’histoire », il ne fait que reproduire l’attitude du président du CIO en 1936, le Belge Henry de Baillet Latour, qui ne cessait de s’en prendre aux démocrates au lieu dénoncer les abus de pouvoir, les exactions, les répressions, les persécutions et les crimes de l’Allemagne nazie. Ce diplomate belge virulemment anticommuniste et complètement antisémite estimait que « les conditions requises par la Charte olympique ont été respectées par les Allemands. […] La campagne de boycottage n’émane pas des comités olympiques nationaux et n’est pas appuyée par aucun de nos collègues. Elle est politique, basée sur des affirmations gratuites, dont il m’a été aisé de démasquer la fausseté. […] Puissent ceux dont la bonne foi a été surprise reconnaître leur erreur et collaborer avec nous en toute sincérité à faire des Jeux de Berlin et de Garmisch-Partenkirchen une manifestation dont la jeunesse du monde retirera les bienfaits » ! Quand les Jeux furent terminés, Hitler reprit sa politique expansionniste ainsi que la persécution des Juifs.

Sans atteindre la folie meurtrière et génocidaire d’Hitler, d’autres tyrans se sont payés une Coupe du monde de football ou des Jeux olympiques pour légitimer leur régime et gagner de l’influence. A l’instar de la noblesse revenant en France après la chute de Napoléon en 1814, incapable de comprendre que durant son absence un autre monde était né, les dirigeants du CIO et de la FIFA n’ont décidément « rien appris, ni rien oublié » (Talleyrand). Le précédent des Jeux de Berlin ne semble pas avoir modifié leur perception du monde. Ils préfèrent cautionner des régimes despotiques, autoritaires et totalitaires qui mettent l’humanisme de pacotille des statuts de la FIFA au service de leur politique répressive, quitte à violer allègrement les dispositions générales de ces mêmes statuts lorsqu’ils précisent que « La FIFA s’engage à respecter tous les droits de l’homme internationalement reconnus et mettra tout en œuvre pour promouvoir la protection de ces droits » (article 3) et que « Toute discrimination (…) est expressément interdite, sous peine de suspension ou d’exclusion » (article 4).

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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