Regards n°1092

L’Edito – Vassili Grossman et les perroquets de Vladimir Poutine

Au lieu de dénoncer la terreur qu’inflige le président russe à l’Ukraine, ils en appellent à la paix. « Non à une Troisième guerre mondiale pour le Donbass », scande l’avocat Arno Klarsfeld dans une pétition qu’il a lancée. Avec plus de nuance que son collègue du barreau de Paris, Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’Etat au Commerce extérieur de Nicolas Sarkozy, s’oppose à l’aide militaire massive apportée à l’Ukraine qui, selon lui, « risque de ne pas permettre de résoudre le conflit, mais de l’aggraver ». Enfin, se prévalant de sa « pensée complexe » et de son allergie « à une propagande qui non seulement exalte tout ce qui est ukrainien, mais occulte tout ce qui pourrait susciter interrogation ou critique », le sociologue Edgar Morin s’inquiète surtout « d’une nouvelle guerre mondialisée » et de « la volonté impériale des Etats-Unis ».

 Ces personnalités juives prompts à défendre les valeurs démocratiques préfèrent répéter comme des perroquets la propagande du Kremlin plutôt que de voir que l’invasion russe de l’Ukraine ravive surtout la mémoire de tous ceux qui ont résisté à l’oppression du totalitarisme, et tout particulièrement les écrivains. Parmi ceux-ci, on peut citer Vassili Grossman (1905-1964). Avec Vie et destin, l’un des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, qui décrit la victoire soviétique sur la barbarie nazie à Stalingrad en février 1943, il a révélé l’effroyable terreur du totalitarisme communiste.

C’est en tant que correspondant de guerre du journal de l’armée soviétique, L’Etoile rouge, que Vassili Grossman a mûri les observations de son chef-d’œuvre écrit une dizaine d’années plus tard. Présent sur le front, il rencontre la mort par centaines de milliers de cadavres. Il y apprend l’envers des communiqués officiels et de la propagande. Il voit le courage des soldats de l’Armée rouge mais aussi les fameux « détachements d’interception du NKVD », placés derrière les lignes russes pour tuer les soldats tentés de fuir. Avançant jusqu’à Berlin avec les armées soviétiques, Grossman découvre aussi la terrible catastrophe qui s’est abattu sur le peuple juif auquel il appartient. Il traverse de nombreux lieux d’exécution de la « Shoah par balle », que ce soit à Kiev, Odessa ou Berditchev où sa mère a été assassinée. Il est aussi l’un des rares journalistes à pénétrer dans les centres d’extermination de Majdanek et Treblinka. Son témoignage sera même repris lors du procès de Nuremberg et il coécrira avec Ilya Ehrenbourg Le Livre noir sur l’extermination des Juifs dont la publication sera interdite par le pouvoir soviétique.

Livre également interdit de publication en URSS suite à « l’arrestation » de son manuscrit en février 1961, Vie et destin constitue surtout l’un des actes d’accusation les plus implacables contre le régime soviétique jamais écrit par un écrivain russe. Dans un passage entré dans la postérité, il établit la parenté idéologique entre le stalinisme et le nazisme lors d’une discussion entre Liss, un officier SS, et son prisonnier Mostovskoï, un vieux responsable bolchevique. « Quand nous nous regardons, nous ne regardons pas seulement un visage haï, nous nous regardons dans un miroir », lance le SS au bolchevique.

Mais la réflexion de Vassili Grossman va bien au-delà de la gémellité des deux totalitarismes. Dans Tout passe, un autre livre interdit, il dénonce tous les autres aspects meurtriers de la terreur soviétique : la déportation de peuples entiers considérés comme ennemis du régime, la famine délibérément provoquée de plusieurs millions de paysans ukrainiens, la répression quotidienne et les abus de pouvoir du Kremlin.

Aujourd’hui, l’œuvre de Vassili Grossman entre en résonance avec l’effroyable guerre que mène Vladimir Poutine en Ukraine. De la même manière qu’elle permettait de distinguer la vérité abjecte de la guerre des mensonges de la propagande stalinienne, elle nous éclaire aussi sur l’imposture dont Poutine justifie sa guerre en prétendant « dénazifier » l’Ukraine et empêcher une « solution finale » du peuple russe, alors qu’en bon héritier du totalitarisme soviétique, il soumet par la force et la terreur un pays entier que ses armées ont envahi.

 

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