Les diamantaires anversois, nouveaux héros d’une série Netflix

Florence Lopes Cardozo
Vous avez aimé Unorthodox, Shtisel ? L’un des scénaristes de Fauda a choisi le décor d’Anvers et du quartier diamantaire pour planter ses intrigues policières. Certains ont trouvé le thriller yiddish jouissif, d’autres rébarbatif.
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Imaginé par Rotem Shamir et Yuval Yefet, co-produit par les sociétés, israélienne Keshet et belge De Mensen, Rough Diamonds (Diamants bruts) s’est d’emblée hissé à la 3e place mondiale dans les séries étrangères, à la 1ère place en Belgique, à la 6e en France. Et son accueil global, dans la presse, fut plutôt élogieux. Alors bienvenue 8 x 50 minutes chez les Wolfson, l’une des plus anciennes familles diamantaires anversoises, juive ultra-orthodoxe, renommée dans le monde entier (du diamant). Suite au suicide du fils cadet, son frère Noah, qui a tiré un trait sur la religion et qui évolue dans le monde du crime à Londres, revient à Anvers où il découvre l’entreprise familiale sous la coupe de la mafia albanaise et au bord de la faillite. Parce qu’il porte bien son nom, il tentera de sauver l’affaire et l’honneur de la famille dans des combines, il faut bien le reconnaître, pas très casher. Sa sœur et son autre frère ne s’attendaient pas à son retour.

Les rares choses incontestables de ce thriller aux allures documentaires sont, d’une part, l’écrin authentique de ce microcosme (le quartier diamantaire, la Hoveniersstraat, la Bourse du diamant, ses bureaux, la synagogue), d’autre part, la spécificité polyglotte des diamantaires juifs anversois qui glissent, dans une même phrase, du yiddish au néerlandais tout en s’adressant à un ami en français, à un client en anglais voire à un autre contact en hébreu.

Recruté par la production, le diamantaire Arthur Langerman – également président d’un groupe de yiddishistes et traducteur en français de deux recueils de nouvelles de Sholem Aleikhem – a traduit les dialogues de la série en yiddish qu’il a transcrit en phonétique néerlandaise à l’attention de huit acteurs flamands : « Aucun d’eux n’avait la moindre idée du yiddish. Je les ai chacun rencontrés une dizaine de fois pour travailler. Au-delà de la prononciation des mots et des intonations, je leur ai également indiqué le langage corporel, la gestuelle des Juifs qui parlent aussi avec le visage, avec les mains et tout le corps. Je les ai ensuite suivis sur le plateau où nous avons repris, au besoin, des scènes pour l’exactitude du yiddish. Tant et si bien, qu’à la fin du tournage, j’ai surpris les acteurs flamands attablés avec les Juifs orthodoxes… en train de parler yiddish ! C’était amusant à voir », complète celui qui a eu le plaisir de coacher, notamment, Kevin Janssens, Ini Massez et Robby Cleiren. Tous se sont montrés ouverts, accueillants et engagés dans leurs rôles. Pour apprécier ce flux naturel entre le yiddish, le flamand, l’anglais et le français, il faudra visionner la série en version originale sous-titrée.

« Tout le monde avait l’air orthodoxe »

Alors que certains Juifs orthodoxes ont mis toute leur énergie pour arrêter la réalisation, d’autres parties de la communauté se sont impliquées dans la série, y compris en tant que figurants et petits rôles à l’écran. Les autorisations pour tourner dans les lieux stratégiques du diamant ont été délivrées et le premier « action ! » a été crié en octobre 2022. Des figurants juifs et non-juifs ont déferlés, affublés d’attributs traditionnels – shtreimels, barbes et paillotes : « tout le monde avait l’air orthodoxe », sourit Arthur Langerman. Les trois interprètes principaux, frères et sœur dans la série, sont des acteurs belges non Juifs tandis que leurs parents à l’écran sont joués par les acteurs israéliens Yona Elian et Dudu Fisher, chanteur par ailleurs. Quant aux réalisateurs israéliens, secondés de conseillers et de traducteurs, ils ont dirigé les acteurs dans des langues qu’ils ne connaissaient pas, comme ce fut déjà le cas pour les acteurs arabes dans Fauda. Et en avril 2023, la série sortait aux quatre coins du monde.

Plutôt enthousiaste et positive, la presse y a vu un drame familial et policier sur double fond, juif orthodoxe et diamantaire, ce qui rendait l’intrigue exotique au carré. Les personnages de femmes fortes ont été appréciés, on a parlé de tragédie grecque, de polar à tiroirs, de thriller divertissant et bien ficelé, de sens du détail, de l’honneur, de loyauté et d’universalité dans le particularisme. La comparaison « Mi-Parrain mi-Shtisel » pourrait convenir tandis que les termes : « authentique / expérience immersive / images et métaphores puissantes / racines puisées dans la réalité/ crédible, etc. » invitent à la prudence. Les représentations sont biaisées, les raccourcis improbables : il ne faudrait pas que la presse et le public prennent cette série comme argent comptant.

Malaise dans le diamant

Et donc, si quelques diamantaires ont pris cette fiction comme un pur divertissement truffé de drogue, de mafia et de trahisons, dans la ligne de nombreuses productions Netflix – beaucoup n’ont pas attendu la fin du deuxième épisode pour fermer la télé et s’extirper de ces invraisemblances et amalgames. Arthur Langerman, qui n’a pas boudé ses plaisirs yiddishs et cinéphiles, a néanmoins trouvé le scénario scabreux. « Dépeindre les diamantaires comme des pourris dans une série populaire – un format qu’on dit documenté – m’a choqué. Bien sûr qu’il existe des malfrats dans le secteur mais c’est rarissime. Le diamant a une déontologie, nous sommes respectueux des gens avec lesquels nous travaillons, il y a de l’entraide. Je travaille avec des clients depuis plus de 50 ans, c’est dire la qualité de notre engagement », détaille-t-il. « L’industrie du diamant est très importante pour la ville d’Anvers. Et nous avons, moralement et économiquement, le devoir d’exercer notre métier de manière honorable. C’est sur base de cette confiance que la ville nous octroie des avantages spécifiques comme la taxe diamant qui est calculée sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices. Imaginons que cette fiction ébranle les autorités et cette confiance établie, ce serait néfaste pour la profession. Ma conception du métier n’est clairement pas ce qui est montré dans le film. A un tout autre niveau, ce traitement m’a fait penser au film La vérité si je mens. Des spectateurs ont pu croire à l’époque que les Juifs algériens du Sentier, les fringues et les magouilles ne faisaient qu’un… ».

Un autre diamantaire hallucine devant des éléments fantaisistes et obsolètes de la série, rectifiant qu’excepté une très grosse compagnie historique, effectivement tenue par une famille orthodoxe, très peu de Juifs dans le diamant sont très religieux ; les femmes diamantaires sont rarissimes ; 85% des sociétés diamantaires sont aujourd’hui indiennes ; il n’y a plus de banque parallèle depuis belle lurette, toutes les transactions sont désormais tracées ; le monde du diamant brut n’est pas représentatif du monde du diamant et inversement. Et qu’a-t-on appris du métier ? s’étonne-t-il ; que sait-on, des productions minières, des centaines de personnes par lesquelles une pierre transite avant d’arriver dans la main d’un particulier, de la certification des diamants ? L’Albanie a changé, pourquoi continuer à lui coller cette image mafieuse, s’indigne-t-il.

Stigmates antisémites ?

Le spectateur lambda pourra-t-il séparer le bon grain de l’ivraie ? Et comment le pourrait-il ? Autour de l’exposition de certaines traditions juives plus ou moins connues, de l’éveil d’un intérêt pour l’industrie du diamant ou des rites orthodoxes, nous ne sommes pas à l’abri de raccourcis fâcheux et d’associations périlleuses. Un ami s’enflamme : en plus de s’être ennuyé, il a exécré le protagoniste, « un Juif européen assimilé, amoral, dénué de toute sensibilité, détestable. Et de poursuivre, qu’en rejetant tous les signes extérieurs du Juif pratiquant, il devient “indétectable” et se cache sournoisement dans la société pour faire le mal, ce qui n’est pas sans rappeler, » reproche-t-il, « la logorrhée antisémite des nazis… »

« Je ne dirais pas que cette série a un caractère antisémite parce qu’elle a été faite par un Israélien mais comment dirais-je, c’est provocant », résume Arthur Langerman qui a fait remarquer au metteur en scène que si Israël compte, parmi les siens, des gangsters, des prostituées, de la drogue, du fait qu’il s’agit d’un pays, en diaspora, les Juifs sont globalement honnêtes et soucieux de véhiculer des valeurs humanistes. A cela, le réalisateur lui aurait répondu que Rough Diamonds est une fiction, une histoire « romancée » qui ne reflète pas forcément la vérité, à l’image de The Crown qui n’est pas l’histoire de la famille royale britannique mais une fiction, un fantasme.

Netflix aurait peut-être pu insérer un avertissement en début de chaque épisode. Et puis disons que ce polar a effectivement quelque chose de brut à défaut de facettes subtiles et brillantes. Et vous, avez-vous déjà vu cette série ? L’avez-vous aimée ? L’avez-vous trouvée clivante ? Dérangeante ? Intéressante ? C’est vous qui voyez.

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