Cinéaste et écrivain, David Teboul donne la parole à quatre survivantes d’Auschwitz-Birkenau dans une approche singulière de la mémoire de la Shoah.
Décliné sous la forme d’un film et d’un livre qui vient de paraître, Les filles de Birkenau, est un projet collectif fondé sur l’art de l’écoute et de la conversation. Il raconte l’expérience longtemps occultée de ces rescapées dont la parole libérée dépasse le cadre des souvenirs douloureux et des témoignages émouvants.
C’est avec des célébrités telles que Simone Veil et Marceline Loridan que les « filles de Birkenau » sont entrées dans l’histoire. Les protagonistes du projet mémoriel novateur de David Teboul étaient adolescentes au moment de leur déportation : Ginette Kolinka, à présent centenaire, est la plus médiatisée des survivantes d’Auschwitz-Birkenau en France. Comme Ginette, Esther Senot, née en Pologne et déportée à 15 ans depuis Drancy, témoigne dans les écoles, de même que Isabelle Choko, victime de la liquidation des Juifs du ghetto de Łódź vers Auschwitz en août 1944. Déportée le même été, de Transylvanie à Birkenau, Judith Elkán-Hervé n’a jamais témoigné dans les écoles.
Elles discutent, rient, se chamaillent
Diffusé sur France 5 le 2 juin 2024, le film repose sur une mise en scène ingénieuse : David Teboul réunit ces femmes autour d’une table dressée avec des produits iconiques de la cuisine ashkénaze (gefilte fish, gehakte leber, shtrudel…), les incitant à partager leurs souvenirs. Elles mangent, discutent, rient, se chamaillent ! Pas de narration en voix-off : tout est laissé à la parole des survivantes, souvent cadrées en gros plan. Comme l’écrit David dans sa préface du livre : « Pas de rôles, pas de personnages, mais des femmes à table, qui vivent absolument le moment présent et s’engagent dans leur parole. » Le film repose sur la parole, les silences, la présence des corps ridés de ces rescapées, et des photos de famille qui illustrent leurs parcours de vie.
Le livre, paru aux Éditions Les Arènes, approfondit cette approche de la parole des filles de Birkenau. Comme le note David Teboul : « Leur conversation et leurs récits se contredisent parfois et s’enrichissent souvent. » Confrontant les mémoires, cette conversation met en lumière la singularité de l’expérience individuelle, influencée par les lieux d’enfance, l’origine sociale, la situation familiale avant la déportation. L’édition très soignée et bien illustrée de ce livre enrichit les propos échangés par ces survivantes et leurs témoignages individuels, suivis parfois de dialogues avec David. Juive anversoise, principale protagoniste de la mémoire des femmes d’Auschwitz, Mala Zimetbaum est évoquée plusieurs fois dans Les filles de Birkenau. Figure quasi-mythique, évoquée au cinéma par Wanda Jakuboswka dans La dernière étape (1947), le souvenir de Mala, de sa solidarité avec les autres détenues et de sa mort héroïque, contraste avec les récits des rescapées « par chance » qui relatent son histoire de résistante.
Les filles de Birkenau nous rappelle que la mémoire de la Shoah n’est pas seulement une question d’archives et de commémorations, mais une expérience humaine, marquée par la parole, les silences et l’émotion. Teboul souligne la nécessité d’entendre ces voix dans toute leur complexité, sans les réduire à des récits édifiants, dans une période où la transmission de cette mémoire devient plus nécessaire que jamais : les derniers témoins disparaissent, alors que l’antisémitisme et le négationnisme explosent !