Grand amateur de street food, Moïse Sfez a fait le pari un peu fou d’importer en France le sandwich le plus chic de New York : le lobster roll. Un petit pain brioché garni de homard, de mayonnaise et autres condiments, découvert lors d’un grand voyage outre-Atlantique organisé à l’occasion de la bar-mitzvah de son frère. Se produit alors une épiphanie : il existe en Europe un potentiel certain pour un tel produit. Sfez se jette à corps perdu dans la bataille. Il pousse les portes, use de son bagout pour décrocher un stand au Food Market de Belleville. D’emblée, les foodies se ruent sur ses recettes inédites. La suite sera menée tambour battant. « En janvier 2018, j’ouvre mon premier restaurant. Tout s’enchaîne alors rapidement », se souvient-il. « Quelques mois plus tard, un palace parisien me propose une première collaboration. En juillet 2018, je remporte le concours du meilleur lobster roll des États-Unis à Portland, dans le Maine. C’est un boost incroyable qui m’a permis de cuisiner pour l’ambassadrice des États-Unis en France, puis aux côtés de nombreux chefs étoilés. »
L’itinéraire de Moïse Sfez trouve ses origines en banlieue parisienne, dans une famille juive tunisienne de la classe moyenne. Ses parents travaillent alors dans le prêt-à-porter et font de leur foyer un lieu chaleureux propice aux réunions de familles. « À la maison, les tablées étaient généreuses. On recevait beaucoup, il y avait cette envie constante de rassembler autour de bons plats. Mes parents m’ont éduqué au goût, ils aimaient les bons restaurants, nous apprenaient à faire la part des choses entre le bon et le moins bon, à choisir le juste assaisonnement et la cuisson parfaite. C’est grâce à eux que mon palais s’est aiguisé », explique Moïse Sfez. Les saveurs évoquant cette époque sont à la fois enracinées dans la tradition juive séfarade et marquées par une ouverture sur diverses influences culinaires, allant de la cuisine normande au beurre à la cuisine chinoise : « On mangeait casher à la maison mais pas en dehors, ce qui ouvrait pas mal de possibilités ! », confie-t-il.
Se dessine dès l’enfance une fascination pour l’Amérique qui finira par tout emporter. « J’ai sept ans lorsque je vais aux États-Unis pour la première fois. C’est un choc immédiat, au point de demander à mes parents ce qu’il faut faire pour pouvoir y vivre. “Il faut le bac !”, me répond ma mère ! J’ai avancé avec cette idée en tête. J’y suis retourné plusieurs fois, en Californie, mais surtout sur la côte Est, à New York, Miami, Boston, Orlando. »
Un petit empire de la street food
Une fois le bac en poche, le rêve demeure. Sfez est accepté à l’École Vatel, et entreprend un cursus qui lui permet d’acquérir les bases de l’univers de la restauration. « Autour de moi, il n’y avait que des fils d’hôteliers, de restaurateurs, de chefs. J’étais le seul Juif de ma promo, un peu à part, du fait de mon profil et mon envie d’entreprendre », raconte Moïse Sfez. Le jeune homme décroche un premier stage au Peninsula, à Paris, et fait ensuite ses classes chez Ducasse, à Londres. « J’y apprends la rigueur, je tire profit de tout ce que je vois, de ce qui me plaît comme de ce que je ne souhaite pas reproduire… » Se forge alors la méthode qui fera le succès retentissant d’Homer Lobster (huit restaurants) et de Janet, auxquels il convient d’ajouter des collaborations avec le Royal Monceau, le Carlton à Cannes, le Negresco à Nice et le Christopher à Saint-Barthélemy. Un petit empire de la street food qui compte aujourd’hui 60 salariés, avec un chiffre d’affaires de douze millions d’euros – chiffre qui devrait encore progresser avec de prochaines ouvertures à l’international (à Dubaï notamment) et un tout nouveau concept baptisé « Maurice Sfez Café ».
Après le sandwich au pastrami, Moïse Sfez s’attaque ici à un symbole belge : les gaufres. Une idée venue sur le terrain : « Je me suis rendu à Liège en 2021, et j’y ai goûté des gaufres incroyables ! J’ai soudain compris qu’en France, on ne connaissait rien aux gaufres. Un vrai Liégeois vous dira que cela se mange tiède ou froid, pas chaud. C’est à cela que l’on reconnaît une bonne gaufre : elle reste moelleuse même en refroidissant, on a une texture particulière, un cœur légèrement cru et un goût de vanille caractéristique. Pour reproduire ça, j’ai consacré neuf mois et beaucoup de nuits blanches : il fallait référencer la bonne vanille, faire venir de Belgique le gaufrier artisanal et le sucre perlé d’un calibre très particulier. » En ligne de mire, une possible ouverture à Bruxelles.