Regards n°1111

Réfugiés grecs d’Asie Mineure : la Grande Catastrophe

En 1914, plus de 20 % de la population de l’actuelle Turquie était chrétienne. Tombé à 2,6 % en 1927, ce pourcentage se réduit à moins de 0,5 % aujourd’hui.

Le 31 janvier 1917, le chancelier allemand von Bethmann Hollweg note à propos des déportations de Grecs d’Asie Mineure qu’organisent les autorités turques : « Tout ce qui a été fait aux Arméniens se répète avec les Grecs. » Selon Dror Ze’evi et Benny Morris, dans The Thirty-Year Genocide (2019), environ 1,5 à 2,5 millions de chrétiens de Turquie – Arméniens, Grecs et Syriaques – sont massacrés, affamés ou contraints à l’exil entre les années 1890 et 1920. Ces violences sont le fruit de politiques visant à homogénéiser la société turque. Après la défaite ottomane en 1918, les Alliés échouent à traduire en justice les responsables du génocide arménien, ainsi qu’à prévenir les crimes ultérieurs visant les chrétiens. Suite au débarquement de l’armée grecque à Smyrne (1919), assassinats, massacres et déportations de chrétiens accompagnent la guerre de libération kémaliste, qu’achève en septembre 1922 l’incendie de Smyrne, marqué par la destruction des quartiers arménien et grec. Le traité de Lausanne (1923), entérine l’échange forcé de populations, touchant 1,5 million de Grecs d’Asie Mineure et 500 000 Turcs de Grèce.

Au Musée historique national d’Athènes, une exposition évoque cette « Grande Catastrophe » et l’impact de l’afflux massif de réfugiés d’Asie mineure sur la société grecque. Natassa Kastriti, co-curatrice, explique que cette tragédie humanitaire s’inscrit dans un siècle de déplacements forcés de populations grecques, depuis la révolution de 1821 : les récits de survivants des massacres de Chios en 1822 annoncent ceux de rescapés de l’incendie de Smyrne en 1922. « Peu importe l’époque, la condition de réfugié est la même », souligne-t-elle. Elle insiste sur les mêmes sentiments universels qui traversent les récits de réfugiés : la peur, le désespoir, mais aussi la résilience et la solidarité. Installée au premier étage de l’ancien parlement grec, cette captivante exposition bilingue (grec et anglais) relate une histoire d’exil et de renaissance. Faits historiques et témoignages documentent les causes des migrations forcées de Grecs d’Asie Mineure de 1821 à 1923, et retracent les parcours périlleux des réfugiés, jusqu’aux rivages de cette Grèce inconnue, dont beaucoup ne parlent même pas la langue !

Symboles de survie, de rares objets de valeur que ces réfugiés parviennent à conserver malgré les épreuves. Photos, plans, extraits de films, montrent les défis de l’accueil et de l’intégration : à Athènes de nombreux réfugiés vivent sous tente, avant de peupler de nouveaux quartiers à Kaisariani, Nikaia, Vyronas ou Nea Smyrni… Les initiatives de l’État grec, soutenues par des aides internationales, permettent une lente réinstallation. Enfin, la section consacrée à la mémoire explore la façon dont l’héritage de la Grande Catastrophe a façonné la société grecque, à travers la littérature, la musique, et les récits familiaux.

Des étudiants de l’Akto Art & Design College d’Athènes ont créé des clips d’animation pour l’exposition. Certains s’inspirent de témoignages familiaux. Des réfugiés contemporains, notamment d’Afghanistan, vivant en Grèce, retrouvent dans l’exposition des échos de leur propre expérience, les itinéraires migratoires restant similaires. Tissant un lien entre l’histoire des réfugiés grecs d’Asie Mineure et les défis migratoires actuels, l’exposition propose une réflexion actuelle sur l’expérience de l’exil. « La Grèce d’aujourd’hui serait très différente sans cet épisode de son histoire », conclut Kastriti. Tragédie et résilience s’entrelacent dans le récit de cette exposition, offrant un témoignage poignant sur les migrations forcées et leur impact durable.

Exposition jusqu’au 30 Juin 2025 From Greater… to Contemporary Greece (II) : Refugees Musée d’histoire nationale d’Athènes. Ancien parlement – place Kolokotronis, Stadiou 13, Athènes 10561 Mardi-vendredi 9-16h, Sa-Di 10-16h www.nhmuseum.gr

Écrit par : Roland Baumann

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