Une diaspora juive fermement attachée à Israël et à la démocratie

Nicolas Zomersztajn
La crise politique israélienne suscitée par la réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou a sérieusement remis en cause le dogme du soutien inconditionnel de la diaspora au gouvernement israélien quel qu’il soit, à travers les nombreuses dénonciations des organisations juives de cette réforme, les Juifs de diaspora ont également marqué leur attachement indéfectible à l’état de droit et aux valeurs démocratiques.
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Ron Lauder, président du Congrès juif mondial ©Reuters/TT News Agency

La réforme judicaire adoptée par le gouvernement Netanyahou a évidemment suscité le rejet d’organisations juives de diaspora affichant traditionnellement un soutien critique à Israël. Ainsi, dans un communiqué de presse publié le 24 juillet 2023, J Street, cette organisation juive américaine privilégiant la solution à deux États à travers la fin de l’occupation des territoires palestiniens, déplore « le coup terrible porté à la démocratie israélienne et aux droits des Israéliens et des Palestiniens » en ajoutant que « ce gouvernement d’extrême droite disposera d’une marge de manœuvre de plus en plus grande pour réaliser son programme comprenant très certainement de nouveaux actes d’annexion et d’expropriation profondément nuisibles en Cisjordanie, il  poursuit l’ambition cauchemardesque de maintenir un État unique, avec une occupation permanente et une souveraineté exclusive entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Il continuera à saper les droits des femmes, des personnes LGBTQ+, des Palestiniens (qu’ils soient citoyens israéliens ou qu’ils vivent dans les territoires occupés), des Juifs non orthodoxes et de bien d’autres encore ». En Europe, le Centre communautaire laïc juif (CCLJ) n’a pas non plus ménagé ses efforts pour critiquer cette réforme en apportant son soutien aux manifestants défilant chaque semaine dans les rues israéliennes. « Quel exemple remarquable que de voir des centaines de milliers d’Israéliennes et d’Israéliens se lever à travers le pays pour défendre l’état de droit et la démocratie. Ils se mobilisent contre la dérive illibérale – voulue par la coalition en place associant l’extrême-droite et les populistes en tout genre. Ils se mobilisent aussi car la démocratie judiciaire est un préalable nécessaire à la paix intérieure et avec leurs voisins », soutient Benjamin Beeckmans dans un communiqué publié le 27 juillet dernier. « Ce mouvement pour la démocratie judiciaire en Israël est un événement politique majeur. Il doit inspirer de manière universelle les partisans de la démocratie et les combattants de la liberté en Europe et dans le monde entier à se battre pour ce qui est juste ».

Tirer la sonnette d’alarme

Mais le rejet de la réforme judiciaire israélienne n’est pas exprimé seulement par des organisations juives « critiques ». Depuis des mois, on ne compte plus en Europe et en Amérique du Nord les tribunes, les lettres ouvertes, les communiqués, les conférences et les rassemblements dénonçant cette réforme judiciaire. Il est bel et bien révolu le temps du soutien inconditionnel à Israël, quel que soit son gouvernement. Il est même difficile de trouver un dirigeant communautaire affirmant qu’il ne faut jamais critiquer Israël tant qu’on n’a pas pris la citoyenneté. La réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou a fait voler en éclat ce positionnement. En voyant s’éloigner l’État d’Israël des valeurs démocratiques qu’ils défendent vigoureusement dans leurs pays respectifs et des valeurs juives qui les guident, de plus en plus de dirigeants juifs de diaspora prennent la parole pour tirer la sonnette d’alarme.

Même si dans la plupart des cas ils s’efforcent de ne pas s’en prendre frontalement au gouvernement israélien, ils appellent tous le gouvernement à préserver l’État de droit et les fondements démocratiques d’Israël. Le plus souvent, cette modération réside dans les appels à ne pas sombrer dans des divisions irréconciliables au sein de la société israélienne. Ainsi, le 24 juillet, le Congrès juif européen « exprime sa tristesse et son inquiétude face à la division actuelle de la société israélienne résultant de la réforme judiciaire du gouvernement. (…) Nous appelons les dirigeants d’Israël à s’unir autour des valeurs de notre seul et unique État juif ». Le lendemain, le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB) fait état de son inquiétude face aux « divisions grandissantes au sein de la société israélienne » et appelle ensuite « toutes les parties concernées pour qu’elles renouent rapidement un dialogue respectueux et responsable et parviennent à une solution consensuelle, en accord avec les principes fondamentaux démocratiques sur lesquels repose l’État d’Israël, à un moment grave de son histoire ». Le président du Conseil représentatif des institutions juives de Franc (CRIF) ne disait pas autre chose le 17 mars lorsqu’il appelait « le gouvernement israélien à suspendre la réforme en cours pour rétablir au plus vite le calme et le dialogue avec toute la société. (…) Compte tenu de la division générée dans le monde juif tout entier, il ne s’agit plus de mesures politiques qu’il ne nous appartiendrait pas de commenter mais bien de préserver l’unité du peuple juif ».

« Israël au bord du gouffre »

Ce sentiment d’urgence et d’extrême inquiétude est aussi clairement exprimé par l’homme le plus puissant et le plus influent de la diaspora juive : Ron Lauder, le président du Congrès juif mondial, la seule fédération internationale de communautés et d’organisations juives à travers le monde, le « bras diplomatique du peuple juif ». Ce milliardaire américain ayant longtemps soutenu le Likoud et Benjamin Netanyahou n’a jamais été un adepte des prises de position contre le gouvernement israélien. à l’image de ses coreligionnaires en Amérique du Nord et en Europe, il est sorti de sa réserve pour publier en juillet dernier dans le très prestigieux quotidien The New York Times une opinion dont le titre ne souffre d’aucune équivoque : It’s Mayday For The Jewish People (« Appel de détresse pour le peuple juif »). « Nous, les Juifs de la diaspora, nous nous abstenons généralement de nous mêler de la politique israélienne. Nous aimons Israël et nous sommes attachés à ce pays. Mais nous veillons toujours à respecter sa souveraineté. Aujourd’hui, l’avenir d’Israël est en jeu. Le seul et unique État du peuple juif est confronté à un danger existentiel imminent. Une combinaison de menaces externes et internes sans précédent a conduit Israël au bord du gouffre », écrit-il en introduction. Après avoir évoqué rapidement la menace nucléaire iranienne, Ron Lauder s’est longuement attaché à expliquer pourquoi la réforme judiciaire, le poids politique démesuré des ultra-orthodoxes et des nationalistes religieux exacerbent la division de la société israélienne. « Alors que je vois Israël se déchirer tandis que ses ennemis se renforcent, je dois prendre position et m’exprimer. “Une maison divisée contre elle-même ne peut subsister”, a déclaré Abraham Lincoln avant la guerre de Sécession », s’exclame avec emphase Ron Lauder. « Il en va de même pour un Israël divisé contre lui-même. En tant que Juifs, nous devons tirer les leçons de notre histoire tragique. Nous sommes obligés de ne pas répéter les erreurs que nous avons commises lorsque nous avons laissé les divisions internes faire tomber le Premier et le Deuxième Temple. Il incombe aux Juifs de la diaspora et aux Juifs israéliens d’assurer l’avenir du TroisièmeTemple ». En guise de conclusion, il fait ce qu’aucun président du Congrès juif mondial ni aucun dirigeant juif de diaspora n’a jamais fait auparavant : il ordonne au Premier ministre et aux deux leaders de l’opposition (Benny Gantz et Yaïr Lapid) de former un gouvernement d’union nationale ! « Nous ne devons pas nous unir uniquement lorsque nous sommes attaqués. Nous devons réaliser maintenant que seule une coalition de modérés peut libérer Israël de l’emprise des fanatiques et des zélotes locaux. Seule l’unité nationale peut préparer la nation à l’épreuve nationale suprême qu’elle pourrait bientôt rencontrer ».

Derrière cet impératif d’unité, tous ces dirigeants juifs de diaspora témoignent consciemment ou inconsciemment, de leur volonté de défendre les valeurs démocratiques et l’État de droit. Comme si cette crise israélienne avait révélé au grand jour que ces valeurs étaient inscrites au cœur de leur identité juive et de leur expérience historique de minorité ethnoreligieuse marquée par les persécutions et les discriminations. Ils ne peuvent ainsi envisager un État juif qu’à la condition qu’il soit démocratique. En effet, comment imaginer sérieusement que des communautés juives puissent sacrifier leurs convictions démocratiques et leur participation active à la défense des minorités religieuses, ethniques et de genre sur l’autel du soutien à un État qu’ils aiment mais qui se mue en un régime illibéral ? C’est impossible, sauf pour une poignée de fanatiques religieux et d’ultra-nationalistes pour qui la démocratie libérale et l’Etat de droit sont des « trucs pour les goyim ».

Au-delà de la critique, il y a non seulement une profession de foi des Juifs d’Europe et d’Amérique du Nord en faveur de la démocratie, mais aussi un cri du cœur adressé à Israël dont l’existence ne peut se conjuguer que sur le mode démocratique. Pendant des années ils n’ont cessé d’affirmer avec passion et fierté qu’Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient. Si l’état de droit devait s’effondrer, si le pays ne parvenait pas à garantir les fondements démocratiques, si les droits et les libertés individuelles étaient abrogés, alors Israël deviendrait un pays auquel ils ne pourraient plus s’identifier et ce serait la plus grande tragédie de leur existence collective depuis 1945.

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