Zaida, l’éternel adolescent

Pierre Briand
Dans Zaida, l’éternel adolescent (Éditions Caya), Alexandre Janvier, nom de plume de David Salomonowicz, nous plonge dans un voyage à la fois intime et universel, où les trames familiales qui composent nos « petites » histoires se mêlent à la « grande » Histoire. Un travail de documentation intense au service de ceux et en particulier de celles qui se retrouvent gommés des récits familiaux.
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« Promets-moi que tu écriras un jour sur moi… », c’est la demande de votre grand-père Szapsia, survivant de la Shoah, peu de temps avant sa mort. Comment décririez-vous la construction de ce livre ?

Alexandre Janvier Il s’agit d’une réflexion de plusieurs années suivie d’un travail de trois années de recherches, basé sur les Archives générales du Royaume qui ont conservé intégralement les rapports de police sur la famille de ma grand-mère paternelle de la période d’avant-guerre. Puis sur les archives allemandes et principalement le témoignage de mon grand-père – les archives polonaises sur les Juifs ayant disparu pour la plupart et le contact avec les autorités polonaises concernées n’ayant pas été des plus cordiaux. En ce qui concerne la période d’après-guerre, les témoignages familiaux ont été essentiels pour moi. L’idée était de déconstruire chronologiquement ces témoignages, de les confronter à la réalité des sources et des dates quand c’était possible, et de les recontextualiser.

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Lancement du livre “Zaida” d’Alexandre Janvier

 Ce récit est aussi une histoire de résilience, d’hommage aux oubliés. De par la situation qui est la vôtre, distante de deux générations de la Shoah, ce livre est-il aussi écrit pour celles et ceux qui portent, comme vous l’écrivez, « Hitler sur leur épaule » ?

a.j.  Ce sentiment a pu jouer un rôle à certains moments dans ma vie, mais l’idée était justement de me confronter à cette histoire, pour ne plus avoir à seulement en subir les conséquences, pour mener à une forme de résilience. C’était aussi pour moi une occasion de rendre la parole à certaines personnes, et en particulier à ma grand-mère qui avait été complètement effacée, de lui rendre justice à elle et aux femmes de cette famille de manière générale. Le livre décentre ainsi l’histoire de la seule focale du témoignage de déportation de mon grand-père, qui a souvent écrasé l’entièreté du récit familial. D’une certaine manière, c’est la distance que j’avais face à cette histoire qui m’a permis de fournir le travail de la manière la plus objective possible, de recevoir ces informations, de les analyser et « d’accoucher » finalement de ce récit. Avec une honnêteté totale, mais tout en restituant l’amour et le respect que j’ai pour ces personnes. J’avais également l’espoir qu’à travers ce livre mon fils possède certaines des réponses qui ont pu me manquer pendant des années.

 Votre livre contient également une partie autofictionnelle qui aborde la question de deux autres génocides du XXe siècle, celui des Hereros et des Namas en Namibie, et celui des Arméniens. Comme des jalons antérieurs mais parallèles à l’histoire de la Shoah, sont-ils manière de rappeler que ces processus de déshumanisation sont similaires, et non pas le fruit de la fatalité ?

a.j. Je le vois comme une veille nécessaire sur toutes les formes d’extrémisme. J’ai ressenti une sorte de fascination, de vertige devant ce chemin qui mène aux exterminations, à ces volontés d’effacement d’une population et souvent validées scientifiquement, moralement ou religieusement. Je souhaitais explorer la question des narratifs familiaux et de leur réécriture, mais sans forcément intégrer un personnage qui aurait été le « grand-père nazi caché » un peu caricatural. En explorant la période en amont de la Seconde Guerre mondiale et les génocides qui ont eu lieu, j’ai découvert leurs parallélismes avec la Shoah : eugénisme, pureté de la race, déshumanisation. Cela permettait aussi de dresser comme un avertissement, de rappeler les redondances et les volatilités des situations puisque de nombreux exemples, de la Yougoslavie au Rwanda, nous ont prouvé que ces déchaînements étaient encore possibles. L’extrême vigilance reste de mise.

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