Les histoires vraies de Guy Birenbaum

Laurent-David Samama
Mille vies, les siennes principalement, résumées par bribes. Voilà le concept de Toutes les histoires sont vraies (éd. Braquage), premier roman de Guy Birenbaum, jadis professeur, éditeur, journaliste puis éditorialiste à la langue bien pendue. Un livre nostalgique et touchant.
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Vous publiez votre premier roman à 61 ans. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour vous mettre à la littérature ?

Je n’avais jamais osé. Mais lorsque j’ai sorti mon livre Vous m’avez manqué sur ma dépression, en 2015 -c’était un essai – un ami cher à moi, l’auteur et cinéaste Diastème, m’avait dit en substance quelque chose comme « si tu avais mis roman sur la couverture, c’était un des meilleurs livres de la rentrée littéraire ». Il exagérait un peu parce qu’on s’aime, mais ça m’a trotté dans la tête. Donc j’ai osé et je ne le regrette pas, car la forme littéraire qui s’est imposée à moi pendant l’écriture m’a permis, à mon avis, d’écrire mon meilleur livre. Mais ça, ce n’est que mon avis

Vous faites le choix de raconter votre parcours par bribes. Pourquoi ce choix ? Serait-ce la meilleure façon d'évoquer une suite de souvenirs marquants ?

Aussi étrange que cela puisse vous paraître, cela s’est fait « comme ça ». D’abord parce que la mémoire est un muscle, que les histoires sont remontées à la surface par bribes, comme vous le dites et que donc, j’ai écrit ce livre dans le désordre le plus total, sans aucun fil chronologique. Il aurait été à mon sens malhonnête de le reconstruire a posteriori dans un ordre trop rigide. Cela étant, je me suis livré à un énorme travail de montage, plus largement fondé sur les émotions, les images, les ambiances, les lieux, les objets, que les périodes.

Votre livre est également traversé par la question des origines, ashkénazes en l'occurrence. A l'inverse de ce qu'on lit habituellement, on y parle peu de Shoah mais beaucoup de reconstruction...

Mes parents et mes grands-parents ont tous survécu alors qu’ils ont été dans des situations terrifiantes, en plein Paris. Moi je ne crois pas que le sujet soit la reconstruction. Ce qui m’a interrogé, préoccupé et obsédé c’est « comment vit-on après ça » Et « que transmet-on à ses enfants, petits-enfants, que leur lègue-t-on lorsque l’on a vécu un tel traumatisme ? » C’est pour moi le cœur de mon roman.

Finissons par une ultime question, que je ne peux m'empêcher de vous poser : finalement, c'était mieux avant ?

Si j’étais joueur, je vous répondrais « Avant quoi ? » Non. Avant, c’était différent. C’était autrement. Le temps s’écoulait plus lentement. Rien n’était aussi instantané et direct. L’ennui existait encore, alors que le numérique a supprimé la possibilité de l’ennui. Disons que notre rapport au temps s’est modifié, mais je refuse de choisir entre un « avant » et un « après ». La covid a entrainé des discours totalement ridicules sur un prétendu « monde d’après », qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

En bref

Il fut docteur puis enseignant en sciences politique, spécialiste de l’extrême-droite française puis intervieweur à la radio et à la télévision (Europe1, France Info, RTL). Guy Birenbaum fut ce que l’on appelle un bon client pour les médias, un éditorialiste capable de dégainer la formule qui fait mouche et de donner un avis en quelques secondes… Jusqu’au trop-plein ! Accro au rythme intenable de l’info en continu, l’intellectuel devenu journaliste fit une dépression et décida, pour se relever, de stopper net avec ses anciennes habitudes. Il prit donc du recul, du temps, et nous le retrouvons aujourd’hui à 61 ans, s’attelant à un nouvel exercice à la fois patient et exigeant : celui du premier roman. Dans Toutes les histoires sont vraies, le néo-romancier remonte le fil de sa vie, le détricote aussi. Puisque les souvenirs sont nombreux, son livre se constitue d’une suite de textes fulgurants, prenant la forme d’un puzzle aux pièces enchevêtrées. On y trouve le récit touchant des années 60 et 70 avec leur euphorie, leur drôlerie, leur ennui propice au développement d’un imaginaire fécond. On y lit l’éveil à la culture et la politique d’un parisien qui prend l’air au bord des plages de Normandie. En guise de fil rouge, l’auteur raconte sa vie de famille, grands-mères et parents en tête. Un petit monde imprégné de l’esprit d’un Yiddishland dont ne subsiste désormais plus que le doux souvenir. Au fil des pages, c’est un tableau poétique, tendre et nostalgique, qui se dessine. Ce premier roman devrait, on l’espère, en appeler d’autres. Il est d’autant plus touchant qu’il est mené avec l’honnêteté et le recul d’un auteur revenu du jeu social et des mondanités. Devenu sexagénaire, Guy Birenbaum est bien décidé à vivre sa vie pour lui plutôt que dans l’agitation d’une époque se réalisant dans le buzz permanent.

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