Kahane est mort, son idéologie raciste est vivante

Nicolas Zomersztajn
Meïr Kahane a été tué à New York en 1990, mais son idéologie raciste et antidémocratique lui a survécu. Elle est aujourd'hui portée par un député kahaniste élu en mars dernier après de multiples interdictions. Même si le poids électoral de ce mouvement est marginal et que son influence auprès des Juifs d'Europe est insignifiante, sa percée témoigne de la banalisation du racisme et de l'affaiblissement des forces démocratiques israéliennes.
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Lorsque les émeutes ont éclaté à Jérusalem-Est, des groupes de l’extrême droite religieuse se sont immédiatement rendus dans ces quartiers arabes pour apporter leur soutien aux colons cherchant à exproprier les Palestiniens et pour faire le coup de poing avec ces derniers. Parmi ces militants les plus violents de la mouvance nationaliste religieuse, il y a un homme qui ne passe pas inaperçu : Itamar Ben Gvir. Cet avocat spécialisé dans la défense des Israéliens accusés de violences envers les Palestiniens, est depuis le 23 mars dernier le seul député ouvertement kahaniste de la Knesset. Il doit son élection à la constitution orchestrée par Benjamin Netanyahou de la liste commune de l’extrême droite religieuse (Sionisme religieux) regroupant le parti fasciste et raciste Otzmat Yehudi d’Itamar Ben Gvir, le parti homophobe Noam et le parti nationaliste religieux Union nationale. Son élection à la Knesset n’a pas eu pour effet de calmer ce militant fidèle à l’idéologie de Meir Kahane, fondateur de Kach, ce parti fasciste, raciste et homophobe qui a défrayé les annales parlementaires israéliennes avant son interdiction en 1988. Excédé par ses multiples incitations à la violence, le commandant en chef de la police israélienne, Kobi Shabtai a même indiqué au Premier ministre Benjamin Netanyahou qu’Itamar Ben Gvir est responsable des émeutes arabo-juives en cours. Au cours d’un briefing matinal, Kobi Shabtai a expliqué qu’à chaque fois que la police semble maîtriser une zone, Itamar Ben Gvir, se présente sur les lieux avec des militants de Lehava, une organisation raciste s’opposant aux mariages mixtes, aux LGBT, aux initiatives judéo-arabes et à toute activité publique des non-juifs en Israël. Non seulement Ben Gvir est l’avocat de cette organisation kahaniste mais il en est également un des membres actifs.

Obsession de l’interdiction des mariages mixtes

Même si ces dernières années, Itamar Ben Gvir a cherché à se distancier de l’image sulfureuse de Meir Kahane, il ne manque pas une occasion pour réhabiliter l’idéologie kahaniste dans le débat public. Ancien responsable des jeunesses de Kach, Ben Gvir a été condamné pour incitation à la violence et soutien à une organisation terroriste dans ses jeunes années avant de devenir un avocat spécialisé dans la défense de Juifs ultranationalistes accusés d’avoir commis des crimes haineux et des attaques terroristes contre des Palestiniens. Il faut être aveugle et sourd pour ne pas voir que Ben Gvir entretient la flamme idéologique du seul mouvement raciste et fasciste qu’a connu Israël. De nombreux observateurs politiques israéliens l’ont écrit en 1990 : la disparition de Kahane et l’interdiction de son parti Kach n’ont pas entrainé la fin du kahanisme. Cette idéologie raciste et suprémaciste a réussi à survivre parce qu’elle dépasse la personne de Kahane, même si elle est incontournable dans la présence d’un mouvement de ce type en Israël. Comme dans les années 1980, le kahanisme se traduit par la violence et la discrimination raciale envers les Arabes, la haine de la gauche, des juges, des Juifs libéraux ou réformés, des homosexuels et l’obsession raciste de l’interdiction des rapports et des mariages entre Juifs et non-juifs. Il exprime surtout la volonté politique de se débarrasser de la démocratie pour instaurer un régime d’inspiration théocratique entre la Méditerranée et le Jourdain où les Juifs dominent les minorités non-juives réduites à un statut d’infériorité.

Les « bons » et les « mauvais » Arabes

Le climat délétère de polarisation et de corruption morale alimenté par les dérives illibérales de Benjamin Netannyahou est évidemment propice à la percée d’Itamar Ben Gvir. En dépit de son très faible poids électoral, il a réussi à devenir une des figures politiques incontournables dans les médias qui se l’arrachent pour un débat ou un talk-show. Selon une société israélienne d’études des médias, il est le troisième homme politique le plus vu à la télévision et la radio après Benjamin Netanyahou et Naftali Bennett ! Itamar Ben Gvir a réussi là où tous les Kahanistes ont échoué : passer le filtre de la commission électorale de la Knesset et se faire élire. « Comme tout dirigeant d’extrême droite raciste, Itamar Ben Gvir est confronté à un problème stratégique complexe », observe Simon Epstein, historien israélien spécialiste de l’antisémitisme et auteur du livre Les chemises jaunes (éd. Calmann-Lévy) consacré à l’extrême droite raciste en Israël. « Il doit recourir à un langage camouflé pour éviter les condamnations pénales mais il ne peut aller trop loin sur la voie de la modération et ne peut se dissocier de l’action violente de ses partisans ni de leurs outrances verbales, racistes et homophobes. Jusqu’à présent, Itamar Ben Gvir a su trouver la ligne médiane grâce à son habilité et à son charisme personnel. Il a bénéficié, tout autant, de l’aide du Premier ministre qui a tout fait pour qu’une liste unifiant l’extrême droite racisto-religieuse se constitue et soit représentée au Parlement ». Sans dissimuler ses idées fondamentalement racistes, il pratique une tactique qui lui permet de ne pas tomber sous le coup des lois antiracistes. « Pour ce faire, il distingue les “bons Arabes” des “mauvais Arabes” », explique Simon Epstein. « Tous les Arabes ne sont pas des ennemis que Ben Gvir souhaite éliminer. Les “bons Arabes”, ceux qui acceptent qu’Israël est un pays juif, créé pour les Juifs et dominé par les Juifs, sont les bienvenus. Il les salue même en arabe d’un “Ahlan wa sahlan” tonitruant. En introduisant cette notion de bon Arabe, il a habilement évité d’être sanctionné par la commission électorale. Il s’est présenté aux élections de mars 2021 et a été élu ». Même si le kahanisme porté par Otzmat Yehudi demeure encore marginal, il n’en est pas moins dangereux parce qu’il banalise le racisme et affaiblit les fondements démocratiques d’Israël. Ces atteintes à la démocratie tiennent à la faiblesse croissante des forces israéliennes capables de la défendre. Il est difficile pour les partis politiques, capables de mobiliser leurs militants et leurs sympathisants, de clamer haut et fort qu’il y a des limites à ne pas dépasser. Si la question des atteintes à la démocratie et à l’Etat de droit mobilisent peu et mal les Israéliens, c’est parce qu’elle ne vise que les Arabes, la Cour Suprême, les ONG défendant les droits de l’homme et les universitaires jugés trop à gauche. L’Israélien moyen se fiche du sort réservé à ces milieux. Il a donc tendance à penser que ces atteintes à la démocratie ne le concernent pas et ne visent que des groupes qu’il n’aime pas. Par le passé, Meir Kahane faisait face à 119 députés qui le boycottaient systématiquement. Aujourd’hui, la perspective est différente. Le cordon sanitaire autour de Ben Gvir et du kahanisme a sauté. Au Likoud et dans les partis religieux, certains seraient prêts à considérer Ben Gvir et ses alliés de la liste Sionisme religieux comme des partenaires éventuels de coalition gouvernementale. On voit mal Benjamin Netanyahou refuser un tel soutien et se condamner à l’opposition pour des scrupules qu’il n’a jamais nourris.

« Programme similaire aux lois de Nuremberg »

La seule source d’optimisme dans cette dérive déprimante se trouve dans l’horreur et le dégout que l’idéologie raciste de Kahane et ses héritiers suscite dans les communautés juives américaines et européennes. Leur attachement aux valeurs démocratiques et à l’Etat de droit les empêche de nourrir la moindre sympathie pour un parti israélien raciste, ségrégationniste, homophobe et violent. Il se peut que sur les réseaux sociaux, des groupes ou des individus s’en prennent aux personnalités juives ayant dénoncé ouvertement le caractère raciste ou suprémaciste des kahanistes israéliens, mais ces expressions marginales de blocage concernant la perception de la nature de ce mouvement politique ne remettent pas en cause l’imperméabilité au kahanisme de l’immense majorité des Juifs d’Amérique et d’Europe. A l’image de la communauté juive de Belgique, la structuration pluraliste de ces judaïcités et le consensus autour du rejet des tendances extrémistes ne font pas de ces communautés juives des relais d’un mouvement que Haïm Herzog, président de l’Etat d’Israël entre 1983 et 1993, accusait « de présenter un programme similaire aux lois raciales de Nuremberg ».

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