La puissance et la vigueur de l’image antisémite

Nicolas Zomersztajn
Nous avons décerné cette année le titre de Mensch à Arthur Langerman. Ce collectionneur a réuni depuis des dizaines d’années 10.000 objets antisémites. Conscient de la valeur didactique de cette collection unique au monde, Arthur Langerman a décidé d’en faire don à un centre de recherches sur l’antisémitisme d’une université allemande.
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S’il a saisi très tôt le rôle et la puissance de l’image dans la diffusion de la haine des Juifs, il est probable qu’en 1960, lorsqu’il a commencé cette collection, Arthur Langerman n’a pas pensé que cette image connaitrait un regain de popularité au début du 21e siècle comme l’illustrent les chars antisémites du carnaval d’Alost.

Concernant ce carnaval, l’alibi d’une vieille tradition locale de provocations folkloriques de mauvais goût ne peut être invoqué. Ces chars et ces déguisements ne ressem-blent en rien à tous ceux qui moquent grossièrement, mais de manière potache, les personnalités politiques et médiatiques flamandes. Car en en s’attaquant aux Juifs comme ils le font, ils puisent dans le registre ancien et relativement restreint de l’image antisémite : celle de monstres répugnants, conspirateurs et perfides utilisant leur puissance financière et leur cupidité pour étendre leur domination sur le monde. Et pour accentuer la monstruosité des Juifs, des traits physiques hideux leur sont systématiquement attribués : gros nez crochus, yeux globuleux, oreilles décollées, etc. Un mécanisme que la collection d’Arthur Langerman met bien en évidence.

Quant à la puissance de l’image, elle n’a pas échappé aux antisémites les plus fanatiques. Lorsqu’il lance en juillet 1893 La Libre parole illustrée, Edouard Drumont, journaliste antisémite, annonce dans le premier numéro que « L’image doit compléter l’œuvre de la plume. Elle doit s’adresser à ceux que l’écriture n’a pas encore touchés… ». Plus que les mots qui concernent avant tout les gens éduqués, l’image joue un rôle majeur dans la déshumanisation des Juifs. Et comme l’image va à l’essentiel, elle frappe les affects. Ainsi, la représentation de Juda avec le nez crochu dans la peinture italienne du Quattrocento s’est imposée à travers les siècles pour fabriquer l’image négative du Juif ne correspondant pas à la réalité, mais hélas encore aujourd’hui présente dans l’inconscient collectif.

C’est la raison pour laquelle il est incompréhensible que le monde politique flamand et UNIA, le centre interfédéral de lutte contre le racisme demeurent apathiques et complaisants à l’égard d’une manifestation qui n’a cessé d’exacerber les pires préjugés antisémites. Même les condamnations fermes de l’Union européenne, de l’UNESCO, ne les avaient pas conduits à mettre fin à cette impunité insupportable.

Il est donc nécessaire d’établir une jurisprudence nouvelle en la matière, même si certaines plumes influencées par la littérature décoloniale, à l’instar d’Henri Goldman (rédacteur en chef de Politique), estiment qu’on « va encore tartiner sur les Juifs intouchables » ! Une antienne qu’Henri Goldman ne cesse de répéter : les Juifs bénéficieraient d’un traitement de faveur parce qu’ils ne se dissocient pas de la domination « blanche » dont le racisme structurel l’empêche de protéger avec la même vigueur les musulmans contre l’islamophobie. Suivant ce délire identitaire opposant des dominés « noirs » à des dominants « blancs » chouchoutant les Juifs, il en arrive même (sur son blog) à comparer les caricatures de Charlie Hebdo visant les islamistes aux chars antisémites d’Alost ! « Charlie-Alost, même combat », écrit-il. En faisant cette comparaison douteuse, Henri Goldman oublie que dix membres –tous antiracistes- de la rédaction de Charlie Hebdo ont été assassinés par des fous de Dieu dont ils se moquaient et que que les images antisémites d’Alost traduisent une déshumanisation des Juifs qui en ont fait des cibles à abattre.  

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