La sortie de Lettre d’amour sans le dire a été repoussée pour cause de coronavirus. Cette longue pause a-t-elle été propice à la création ?
Je pense qu’un auteur crée tout le temps et encore plus dans les moments dans lesquels il n’écrit pas. Jean Philippe Toussaint l’a décrit avec merveille dans « l’urgence et la patience ». Je sortais d’un « confinement volontaire », car je venais de terminer mon roman et tous les auteurs se retranchent du monde pour écrire. Mais nous n’écrivons retranchés que si la ruche autour continue à bourdonner, si on sent la vie. Je ne sais pas encore ce que cette « pause » a créé en moi, à part de l’angoisse. J’ai beaucoup dessiné, j’avais envie d’un retour à des choses de l’enfance, ça me rassurait sans doute. Disons que j’en saurai plus dans quelques mois.
Votre nouveau roman fait la part belle aux sentiments. L’époque aurait-elle plus que jamais besoin de romantisme ?
Je ne pense pas dans ces termes quand j’écris un livre, mais j’espère que les sujets qui me choisissent font écho à ce que les gens attendent peut-être sans le savoir. Plus que de romantisme, je pense que nous avons besoin d’espoir. Je suis usée du cynisme, de la violence, je voudrais penser que les illusions perdues peuvent se retrouver, se réinventer. J’aime les secondes chances. La seule chose qui lie tous les êtres humains, la seule drogue au-dessus des drogues, la seule croyance au-dessus des autres religions : c’est l’espoir en l’amour.
Le roman est traversé par la question féministe. Parlez-nous de votre héroïne, de son profil…
Alice a 48 ans, c’est une femme empêchée, prisonnière d’elle-même, de ses origines modestes, de ses peurs, de ses souvenirs douloureux… Il est difficile de parler d’amour aujourd’hui sans se poser la question de l’impact qu’a l’évolution du rôle des femmes dans la société. L’équilibre n’a pas été retrouvé et j’ai le sentiment que beaucoup de femmes « paient » leur réussite et leur capacité à assumer leur indépendance, car elles effraient un grand nombre d’hommes. Ce sera différent dans la génération de mes fils, mais pour l’heure, nous sommes la génération sacrifiée, sans repères.
L’autre fil rouge du roman, c’est la question de l’Autre, de l’étranger, qui peut nous permettre de nous réinventer…
Avec la mondialisation, il est de plus en plus difficile de trouver une culture qui ne soit pas proche de la nôtre. Tous les grands pays connaissent une certaine forme d’uniformisation culturelle. Le Japon, lui, résiste. Je trouve qu’il y a dans cette culture la magie et l’émotion que peuvent procurer la rencontre avec « l’Autre » et incarner ainsi à perfection l’émerveillement amoureux : on découvre un monde différent, qui nous enchante, dont on avait entendu parler, mais dont on ignorait jusque-là l’existence réelle…
Alice est une femme abimée par la vie. Confinée dans une trajectoire obligée. Arrivée à la cinquantaine, le bilan qu’elle dresse de son existence est bien terne. Originaire d’un milieu modeste, fille-mère chassée par ses parents, puis étouffée par des hommes qui l’ont toujours forcée ou ne l’ont jamais aimée, elle n’a jamais vécu d’aventures pleinement épanouissantes. Ancienne professeure de français, cette dernière s’est réfugiée dans les livres. Un peu contre son gré, la voilà désormais retraitée et installée auprès de sa fille, devenue grande bourgeoise, à Paris. La voilà qui erre, au hasard, dans les rues de la capitale. Et tout bascule… Un jour de pluie, Alice se réfugie dans un salon de thé. Elle y est révélée à elle-même, dans une expérience sensorielle enveloppante, par un masseur japonais qui la réconcilie avec son corps et lui fait entrevoir la possibilité d’un ailleurs. Un nouveau chapitre s’ouvre. L’homme devient soudain le centre de son existence. Dans un élan passionnel, Alice va tout entreprendre pour se rapprocher de cet Autre qui la fascine. Elle apprend la langue de sa nouvelle obsession, lit les classiques de la littérature nippone, s’imprègne d’une culture qui lui tend chaque jour un peu plus les bras. Les mois passent. Le jour où Alice parvient enfin à maitriser assez de japonais pour exprimer ses sentiments, voilà que l’homme a disparu… De ce livre qui se lit d’une traite ressort le sentiment d’une quête idéaliste. A l’heure du port obligatoire du masque et de la méfiance énéralisée, Amanda Sthers propose ici une jolie contre-programmation romantique.