Hommage à Chantal Akerman

Florence Lopes Cardozo
Du 25 janvier au 15 mars 2021, LaCinetek propose une rétrospective autour de la réalisatrice belge. Huit des dix films sélectionnés ont été restaurés par la Cinémathèque royale de Belgique.
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Cela aurait pu se passer au Flagey, à la Cinematek de Bruxelles, à la Cinémathèque de Paris, il y aurait eu des retrouvailles, celles de ses amis, de sa famille, de sa famille de cinéma, des inconditionnels, des curieux, il y aurait eu des embrassades, des chuchotements, des voix, des sourires, des saluts de la tête. Cela se passera en fin de compte, chacun chez soi, sur la magnifique plateforme de LaCinetek. Selon le principe fondateur du site, chaque réalisateur répertorié mentionne ses références cinématographiques. Ainsi, en regard des 10 films choisis dans la filmographie de Chantal Akerman – assortis de bonus, d’archives de l’INA et d’interviews exclusives – il sera également possible de découvrir et visionner ses propres coups de cœur du septième art.

La rétrospective qui lui est consacrée s’étend de 1968 à 2000, de son troublant premier court-métrage Saute ma ville à La Captive, dix belles escales émanant d’une œuvre aussi abondante que protéiforme. Chantal Anne Akerman semble avoir emprunté de nombreux chemins et supports pour se raconter. « Il n‘y a rien à dire, disait ma mère et c’est sur ce rien que je travaille », expliquait-elle. On pourra, dans la présente sélection, embrasser ces rendez-vous par genre : portraits de femmes qui semblent être autant de facettes de la réalisatrice ; carnets de voyage, comédie musicale, adaptation d’une œuvre de Proust ou amorcer son œuvre chronologiquement.

Arrêts sur images

Ce parcours commencerait par 13 minutes en noir et blanc où Chantal Akerman apparaît tout en rondeur et malice. La folie, la joie, le plaisir, des mots qui ne sortent pas, la légèreté, des notes chantées et l’autodestruction, telle une troublante parabole, envahissent l’écran. « Et je suis partie » sont les premiers mots de Je, tu, il, elle où la cinéaste interprète aussi le premier rôle. Sa voix off, encore fluette, ponctue l’image. On l’y voit cloîtrée dans une pièce, en pensées, en mouvement. Elle se dépouille de tout, explore, se met à nu, dans tous les sens du terme. Niels Arestrup, en routier, joue une belle partition. Une troisième partie célèbre la joie des corps féminins qui s’unissent telle une sculpture vivante. L’éclairage et la volupté de cette séquence audacieuse, avec Claire Wauthion, révèlent une beauté muséale. « Jeanne Dielman est le film créateur d’une nouvelle méthode de réalisation, d’une nouvelle façon de raconter des histoires, d’une nouvelle façon d’exprimer le passage du temps », précise Nicola Mazzanti, conservateur de la Cinémathèque royale de Belgique.

Poursuivons. Chantal Akerman est déjà à New York en 1977. Tandis que sa caméra épouse l’architecture de la grande pomme, saisit les déplacements dans la mégapole, on l’entend lire, statique, les lettres languissantes de sa mère à Bruxelles. Aurore Clément interprète son double, complexe, dans Les rendez-vous d’Anna. Il y est question de solitude, de rencontres, d’Allemagne, de quais, de trains, de dialogues presque lus, artificiels, on peut y déceler des tableaux de Paul Delvaux et la présence, encore, de sa mère, survivante de la Shoah. L’Homme à la valise, une commande pour la télévision, est un combat intime pour préserver son espace envahi. Sur-joué, le film n’est pas dénué d’humour. Golden Eighties est une comédie musicale aux tons acidulés, il souligne le poids des conventions, de la famille, sa chaleur. Tout le monde attend de vivre sa vie, espère, se résigne. Les affres de l’amour et de la fidélité y sont chantées. Charles Denner, Delphine Seyrig et Lio, notamment, y sont touchants. D’Est est une longue fresque sans mots qui en dit beaucoup. Enfin La Captive est une adaptation bouleversante et esthétique où l’intensité dramatique est portée à son comble.

Alors ? Osez entrer dans les mondes singuliers de Chantal Akerman, percevez la texture de ses images, traversez ses zones d’ombres et obscurités travaillées, admirez sa rigueur de l’image, du son, du temps, contemplez ses quasi photos d’art, voyez ses tableaux créés ou reconstitués, ses éclairages, ses palettes de couleurs, ses vents et ses grisailles, ses patines intimes, entendez les silences, accueillez ses thèmes ou les vrombissements assourdissants qui s’étendent comme un acouphène mental, notez tous ces trains, ces rails, écoutez ces mots écrits ressuscités par la lecture, suivez ses perspectives et lignes de fuite intimes et artistiques.

++++

INFOS :

Jusqu’au 15 mars 2021.

Films disponibles à la location aux tarifs habituels (2,99 € en SD et 3,99 € en Haute Définition pour grands écrans).

Infos : www.lacinetek.com

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