Deux cents universitaires ont publié un document intitulé « Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme » qu’ils proposent d’utiliser en lieu et place de la définition dite opérationnelle de l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance) qu’ils jugent confuse et conflictuelle. En réalité, rien n’est moins sûr ! A priori, la déclaration n’a rien de vraiment révolutionnaire ni scandaleux en soi, n’étaient certains signataires (antisionistes radicaux avérés) et l’une ou l’autre considérations contestables.
La déclaration se focalise d’abord, essentiellement, sur le vieil antisémitisme de droite, oubliant largement les deux autres matrices de l’antisémitisme contemporain, gauchiste et arabo-musulmane. Elle pose, ensuite, l’antisémitisme, à l’origine pourtant de la Shoah, comme une forme parmi d’autres d’intolérance à l’égard de l’Autre. Pourtant la haine des Juifs ne se réduit ni au racisme ni à la xénophobie ordinaire. Les Juifs figurent bien moins l’étranger que le Mal en soi. En Allemagne, les Juifs n’étaient pas des étrangers. L’antisémitisme précède de plus de 15 siècles l’invention du racisme proprement dit. Cette haine particulière est ancienne : elle est d’origine religieuse. Elle naît de l’opposition rageuse et jalouse, du christianisme d’abord, et de l’islam ensuite envers le judaïsme, leur père en religion ; d’où des stratégies de déni puis de dénigrements parfois violents qui poseront, à partir du 11e siècle les Juifs en boucs émissaires naturels des crises et catastrophes. Progressivement, en effet, s’installera l’idée que les Juifs sont à l’origine du Mal, catastrophes naturelles, épidémies, morts d’enfants inexpliquées. Cette construction idéologique, qualifiée par Léon Poliakov de causalité diabolique, sera érigée progressivement en code culturel. Elle explique pourquoi, durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis ne condamnèrent que les Juifs et nulle autre minorité à la mort immédiate et industrielle. Elle explique encore pourquoi les Juifs se retrouvent aujourd’hui au cœur des explications complotistes relatives à la Covid-19.
BDS disculpé de tout antisémitisme
La Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme assène surtout de manière dogmatique certaines vérités qui vont à l’encontre de toutes les récentes enquêtes scientifiques menées sur le terrain par des enquêteurs et sondeurs indépendants. Sans compter qu’elle disculpe d’emblée le mouvement de boycott d’Israël BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) de tout antisémitisme. Un rien réducteur. Au-delà de ces considérations pour le moins discutables, ce qui pose surtout question, c’est la raison pour laquelle ces universitaires en sont venus à proposer une « nouvelle » définition de l’antisémitisme. La réponse est sans surprise : son objectif vise tout simplement à contrecarrer, à miner, à freiner la formidable ascension de l’autre définition, celle adoptée par l’Alliance internationale pour la Mémoire de la Shoah (IHRA) en juin 2016.
La question s’annonce dès lors évidente : qu’est-ce qui pourrait bien justifier le remplacement de cette définition ? Que peuvent bien leur reprocher ces illustres et bien moins illustres enseignants ? À les en croire, la définition de l’IHRA serait confuse, militante et idéologique pour empêcher toute possibilité de critique d’Israël et donc porter atteinte à la liberté d’expression. Qu’en est-il de ces affirmations ? Pour aller vite, la réalité nous oblige à affirmer que ses détracteurs ont tout faux. S’il ne fallait qu’une seule phrase pour le démontrer, il suffirait de citer le troisième paragraphe de la définition supposée attentatoire à la critique d’Israël : « L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. » On le voit, les auteurs de la définition de l’IHRA ont clairement posé le principe qu’il ne saurait être question d’interdire le droit à la critique de la politique israélienne. L’utilisation du verbe « pouvoir » signifie qu’une critique présentée comme antisioniste « peut » se révéler en certaines circonstances antisémite, ce que d’ailleurs ne nie nullement la déclaration de Jérusalem qui reconnaît, elle aussi, que l’antisémitisme et le langage anti-israélien vont parfois de pair. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que les antisionistes radicaux de notre plat pays rejettent largement cette « nouvelle » définition, à l’exemple de Charleroi Pour La Palestine. Prudence, nous dit-on. Dont acte !
On doit donc légitimement s’interroger sur la bonne foi des 200 signataires ou leur capacité à lire un document d’histoire, et ce d’autant plus qu’en son premier paragraphe, la définition de l’IHRA s’affirme comme non… contraignante, d’où sa qualification de définition « opérationnelle » et/ou de « travail ». La définition tant honnie par nos signataires n’est autre qu’un outil informel destiné à mieux cerner l’antisémitisme dans l’ensemble de ses périmètres, y compris islamo-gauchistes. En conclusion, la déclaration de l’IHRA ne restreint pas la liberté d’expression, elle donne simplement quelques lignes directrices sous forme d’exemples précis. Nul ne risque donc d’être poursuivi par le moindre tribunal pour qui critique, par exemple, la dérive droitière d’Israël. Comme l’atteste d’ailleurs la pratique. À ce jour, en effet, aucun universitaire n’a été poursuivi sur base de cette définition pour rappel non… contraignante.
Définition politisée axée sur Israël
Il ne pouvait en être d’ailleurs autrement, car contrairement à ce que donneraient à croire nos 200 pétitionnaires (sur les quelques milliers de spécialistes de l’antisémitisme et de la Shoah que compte notre planète), l’IHRA n’a rien d’une officine au service des intérêts d’Israël, des sionistes ou encore des Juifs. Pour ceux qui ne le sauraient pas cette organisation est en quelque sorte l’équivalent de l’ONU pour les questions touchant à la mémoire de la Shoah et de plus en plus des génocides, bref une organisation intergouvernementale où siègent des représentants des États signataires, assistés d’universitaires et d’experts reconnus, parmi lesquels, pour le cas de la Belgique, de l’ULB, de l’ULiège ou encore de la Cellule Démocratie ou Barbarie de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Trente-quatre Etats en sont membres parmi lesquels la Belgique, l’Allemagne, la France, le Canada ou encore l’Argentine. Ce caractère officiel de l’IHRA explique pourquoi sa définition de l’antisémitisme a été adoptée notamment par le Parti travailliste britannique, le Parlement européen, par le Sénat belge, PS et Ecolo compris, et se trouve recommandée par le Secrétaire général des Nations Unies. Ces États, organisations internationales et partis politiques seraient-ils aux ordres d’Israël pour imposer une définition outrée de l’antisémitisme ? On peut légitimement en douter, à moins de partager les thèses complotistes antisionistes radicales. Comble de l’ironie, enfin, tandis qu’elle en vient à reprocher – bien à tort – à la définition de l’IHRA d’accorder une « importance excessive » au conflit palestinien, la Déclaration de Jérusalem lui consacre pour sa part dix de ses quinze « lignes directrices ». Comprenne qui pourra ! Cela donne une définition pour le moins politisée, rédigée d’une manière beaucoup moins pertinente pour les experts et enquêteurs. Qui plus est, deux fois plus longue que la définition de l’IHRA qui, elle, ne s’immisce pas dans le débat (houleux et légitime) entre Israéliens et Palestiniens.
On peut dès lors s’interroger sur les motivations qui se cachent derrière cette déclaration pour le moins maladroite et politisée. De quoi cette définition serait-elle le nom sinon de la peur d’un certain nombre d’opposants à l’Etat d’Israël qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, craignent qu’ils ne puissent plus défendre la cause palestinienne ! Qu’ils se rassurent, ils n’ont rien à craindre d’une définition non contraignante qui ne fait que souligner que dans certains cas (comme ils le reconnaissent eux-mêmes) l’antisionisme peut-être un cache-sexe commode de l’antisémitisme le plus vil. Il suffit de songer à l’ex-humoriste Dieudonné Mbala Mbala, à l’ex-maoïste Olivia Zemor, à l’ex-Ecolo Ginette Skandrani, au national-socialiste français Alain Soral ou encore au chiite Yahya Gouasmi, à ces inventeurs du Parti… antisioniste de France pour s’en persuader. On pourrait encore évoquer le cas de cet avocat wallon, ex-bâtonnier, ex-directeur de recherches à l’UCL, ex-conseil de la Ligue des Droits humains qui, fort de son opposition à Israël (et de son amour absolu des Chinois) n’hésite pas à se faire le relais de Joe Le Corbeau, un des pires émules d’Alain Soral. Ces énergumènes qui propagent les pires théories du complot ne seraient-ils réellement qu’antisionistes ?