Les ambiguïtés du PTB sur l’antisémitisme

Nicolas Zomersztajn
Lors du débat électoral organisé par le CCLJ le 12 avril 2024, un éminent représentant du PTB a exposé le positionnement de son parti d’extrême gauche sur la question de la lutte contre l’antisémitisme. En s’en tenant à son credo antisioniste radical, en refusant d’inscrire avec précision la lutte contre l’antisémitisme dans son programme et en rejetant catégoriquement la définition non-contraignante de l’antisémitisme de l’IHRA, le PTB n’a pas réussi à lever les ambigüités qui le caractérisent.
Partagez cette publication >

C’était à David Pestieau qu’il appartenait de représenter le Parti du travail de Belgique (PTB) au débat électoral que le CCLJ avait organisé le 12 avril dernier. Cet homme peu, voire pas du tout connu du grand public assume les fonctions de vice-président, de directeur politique et de responsable du service d’études du parti. Pendant que Raoul Hedebouw fait son numéro de bateleur dans les médias en surjouant le gars sympa au tutoiement facile et à l’accent liégeois caricatural, l’austère David Pestieau définit la ligne et rédige le programme. Un homme qui compte au PTB.

Face au public du CCLJ, la tâche n’était pas aisée pour David Pestieau, car il est régulièrement reproché à son parti sa cécité et son désintérêt face au problème de l’antisémitisme, quand il n’est pas accusé de jeter de l’huile sur le feu à travers ses positions hostiles à Israël. En dépit de ces reproches, le vice-président du PTB a pourtant tenu à rappeler que « la lutte contre le racisme, y compris l’antisémitisme, fait partie de l’ADN du PTB depuis toujours ». Il développe son propos en ces termes : « Le PTB condamne avec la plus grande fermeté l’antisémitisme. La montée de celui-ci est inquiétante. Qu’il s’agisse d’appel à la haine sur les réseaux sociaux, de négationnisme, de harcèlement, de dégradations – comme on l’a vu sur les tombes au cimetière de Marcinelle – ou d’agressions physiques, aucune forme d’antisémitisme ne peut être tolérée. Cette lutte antiraciste et antifasciste, nous continuons de la mener aujourd’hui de manière conséquente. Notamment à travers la participation active aux mobilisations de la Coalition 8 mai, qui milite pour que le 8, jour de la victoire sur le fascisme, redevienne férié en Belgique. » Comme ses camarades du PTB, David Pestieau clame haut et fort qu’il lutte contre l’antisémitisme, mais c’est surtout la perspective bien circonscrite de la lutte contre le fascisme qui est systématiquement convoquée. En l’absence de prise en compte particulière de l’antisémitisme dilué dans les différentes formes de racisme, la première tendance du PTB consiste à insister sur la résurgence ou le recyclage de l’antisémitisme d’extrême droite.

Plutôt la lutte contre l’islamophobie

Le programme et les campagnes du PTB se caractérisent d’ailleurs par une attention de plus en plus portée sur l’évolution des discriminations raciales et de l’islamophobie. Or, l’analyse des évolutions et des mutations de l’antisémitisme contemporain brille par son absence : pas un mot sur l’antisémitisme musulman ni sur les préjugés et les discours de haine faisant du Juif l’incarnation suprême de la domination et de l’impérialisme. Pour de nombreux observateurs éclairés de la vie politique belge, ce refus obstiné du PTB de s’attaquer à toutes les formes d’antisémitisme saute aux yeux. « Le PTB n’a fait aucun effort particulier, et dans certains cas, il se refuse à faire cet effort, pour saisir les spécificités de l’antisémitisme et pour ouvrir les yeux sur les nouvelles formes d’antisémitisme », estime Pascal Delwit, professeur de sciences politiques à l’ULB. « Il faut reconnaître que la communauté juive est la seule minorité à avoir subi des attentats et à devoir garantir une protection policière pour ses lieux de culte et ses centres communautaires. Le PTB ne porte aucune attention à tous ces problèmes. De la même manière, il semble ne vouloir ni dénoncer ni s’attaquer aux confusions de nature antisémite, qui s’expriment dans certains secteurs de la population musulmane en regard du conflit israélo-palestinien. »

Aujourd’hui, le PTB ne cesse de dénoncer les dangers, non pas de l’antisémitisme, mais de l’assimilation de la critique du sionisme à l’antisémitisme. Un vieux refrain que les Juifs connaissent bien. C’est ce qui explique d’ailleurs le refus du PTB d’adopter la définition non-contraignante de l’antisémitisme élaborée par L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), une organisation intergouvernementale rassemblant plus de trente États. « La manière dont est défini l’antisémitisme implique l’importation d’un conflit et assimile la lutte contre l’antisémitisme à celle contre la critique de l’État d’Israël », confirme David Pestieau. « Il existe d’autres définitions, émises notamment dans la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme, qui condamnent clairement l’antisémitisme comme toute forme de discrimination, de préjugés, d’hostilité ou de violence envers les Juifs, en tant que Juifs. Pour le PTB, ce serait une bonne base pour une résolution contre l’antisémitisme. Elle évacuerait la controverse suscitée par la définition de l’IHRA où sept des onze exemples portent sur la critique d’Israël. Nous n’acceptons pas l’assimilation de cette critique à l’antisémitisme. Ainsi, affirmer notamment qu’Israël mène une politique raciste ou d’apartheid envers les Palestiniens pourrait relever de l’antisémitisme selon la définition de l’IHRA, alors qu’il s’agit d’une affirmation légitime qui doit être débattue sans menace de sanction pénale. »

Cette obsession à écarter la définition de l’antisémitisme de l’IHRA n’est pas neuve au PTB. Même si cette définition précise que « critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme », les responsables du PTB recherchent obstinément d’autres définitions de l’antisémitisme censées immuniser leurs discours antisionistes et banaliser leurs distorsions de la Shoah n’ayant rien à envier aux propos négationnistes de l’extrême droite. Ainsi, lorsqu’on demande à David Pestieau ce qu’il pense du slogan « From the river to the sea, Palestine will be free » (De la rivière à la mer, la Palestine sera libre), il répond qu’il « ne scande pas ce slogan même s’il n’est pas un signe d’antisémitisme selon la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme. » Pour le coup, notre directeur politique a sûrement mal lu ce document qui considère comme antisémite le fait de « refuser le droit des Juifs de l’État d’Israël à exister et à s’épanouir, collectivement et individuellement, en tant que Juifs, conformément au principe d’égalité. » Ce cri de ralliement est bel et bien utilisé depuis longtemps par des voix anti-israéliennes radicales, y compris par des partisans d’organisations terroristes telles que le Hamas et le FPLP, qui cherchent à détruire Israël par des moyens violents. Il s’agit fondamentalement d’un appel à la création d’un État palestinien, s’étendant du Jourdain à la mer Méditerranée, territoire qui inclut l’État d’Israël, ce qui signifierait le démantèlement de l’État juif. En quelque sorte, une manière radicale-chic de nier le droit des Juifs à l’autodétermination ainsi que le droit à l’existence de l’État d’Israël. David Pestieau cherche alors à botter en touche en affirmant que « la signification de ce slogan dépend du contexte. Il peut aussi être interprété comme l’appel à la création d’un État démocratique et laïque sur l’ensemble de la Palestine historique, où coexisteraient en toute égalité Israéliens et Palestiniens. » Cette revendication binationale s’inscrit toutefois dans une perspective anticoloniale dans laquelle les Israéliens ne sont que des colons qui oppriment les Palestiniens depuis 75 ans.

Les Juifs sommés de distancier d’Israël

En réalité, tout cela n’est ni neuf ni étonnant. Depuis sa création en 1979, le PTB dénonce les impérialismes de tout poil et surtout le racisme et le colonialisme sioniste. Cette obsession trouve son point culminant à l’occasion de la plainte portée par l’Afrique du Sud, le 29 décembre 2023, contre Israël pour « génocide » à Gaza auprès de la Cour internationale de justice. L’idée selon laquelle Israël serait passé du stade d’État d’apartheid à État génocidaire au même rang que l’Allemagne nazie est assumée par le PTB. En effet, Peter Mertens, président sortant du PTB et actuel secrétaire général, était présent à La Haye pour l’audience publique de la Cour internationale de Justice concernant la plainte pour génocide de l’Afrique du Sud contre Israël. Des multirécidivistes de dérapages antisémites, comme Jeremy Corbyn et Jean-Luc Mélenchon, s’étaient eux aussi rendus à La Haye pour marteler qu’Israël est un État colonial, raciste et génocidaire qui extermine un peuple innocent du tiers-monde. Dans la vision du monde du PTB, Israël est un État à combattre par tous les moyens : lutte armée, boycott, discours et manœuvres politiques, actions judiciaires, etc. Mais simultanément, les Juifs de Belgique sont pointés du doigt, sommés de s’expliquer, de se distancier d’Israël et de le condamner virulemment. Et puisque David Pestieau se plaît à se réfugier derrière la définition de l’antisémitisme de la Déclaration de Jérusalem, rappelons-lui que cette dernière précise « qu’exiger des gens, parce qu’ils sont Juifs, qu’ils condamnent publiquement Israël ou le sionisme » relève de l’antisémitisme. Il y a bientôt vingt ans, l’écrivain et diplomate français Jean-Christophe Ruffin avait mis en exergue dans son rapport contre l’antisémitisme (remis au ministre français de l’Intérieur) cette mécanique redoutable qui fait « d’un antisionisme en apparence politique et antiraciste l’un des facteurs facilitateurs du passage à l’acte, l’un des instruments de l’antisémitisme par procuration. » 

S’abonner
Notification pour
guest
1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Steve
Steve
10 jours il y a

Quand je vois que Israël a déclaré la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens personna non grata pour avoir tweeté le 10 février dernier que « les victimes du 7/10 n’ont pas été tuées à cause de leur judaïsme, mais en réaction de l’oppression d’Israël. », tweet jugé antisémite par le ministère des Affaires étrangères et de l’Intérieur d’Israël, alors que la résolution 2621 XXV, du 12 décembre 1970, déclare « que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations représente un crime qui constitue une violation de la Charte des Nations Unies. » et que l’Assemblée générale à cette occasion réaffirme en conséquence « le droit inhérent des peuples coloniaux de lutter, par tous les moyens nécessaires dont ils peuvent disposer, contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance. », j’avoue qu’il m’arrive malheureusement de douter par moment du sérieux avec lequel les accusations d’antisémtisme peuvent être portés.

Découvrez des articles similaires

Le beau jeu de Tony Bloom

Actionnaire influent de l’Union Saint-Gilloise et propriétaire du club de Brighton & Hove, l’homme d’affaires anglais utilise aussi son influence à des fins philanthropiques dans la vie juive de son pays.

Lire la suite »

Le Juif de service

Le conflit au Proche-Orient a un effet secondaire rapidement visible au quotidien : il nous réassigne à nos identités respectives supposées. Pour qui n’aime pas verser dans le cloisonnement, cette atmosphère est évidemment étouffante. Comment faire pour ne pas se laisser enfermer ?

Lire la suite »