Les toxicomanes du complot

Nicolas Zomersztajn
Dès que les médias ont parlé de la pandémie du coronavirus, des discours complotistes sont rapidement apparus début 2020. C’était prévisible. Ils ont évidemment désigné les responsables et les coupables de la propagation de cette pandémie : la CIA accusée de déstabiliser la Chine, le régime chinois soupçonné de réduire sa population par le virus et l’industrie pharmaceutique qui l’a inventé pour vendre davantage des médicaments et des vaccins.
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Tout y passe et l’offre en « vérités » sur le coronavirus est assurée en continu sur internet et les réseaux sociaux par une constellation disparate de sites, de blogs, de vidéos YouTube et de groupes Facebook. En outre, le contexte inédit du confinement est propice à la consommation de ce type d’informations sur internet. Les gens sont seuls, isolés et surtout angoissés. Ils ont besoin d’explications simples et prétendument rationnelles pour comprendre ce qu’ils vivent et subissent. Les discours complotistes remplissent parfaitement cette fonction.

Même si on retrouve les publics habituels poreux aux discours complotistes, des personnes issues de professions intellectuelles supérieures deviennent aussi sensibles à ce type de discours envers le coronavirus, et plus particulièrement concernant le rejet du port du masque. Ce complotisme « soft » est inquiétant car il montre que la complosphère a réussi à sortir du cercle des convaincus en exploitant le climat de défiance envers les autorités scientifiques et envers les responsables politiques.

Si le complotisme a cette faculté de faire feu de tout bois, de surfer sur l’air du temps et les suspicions liées à l’actualité, il a aussi cette manière bien à lui d’y associer des références antisémites. En lien avec l’industrie pharmaceutique et le nouvel ordre mondial, les Juifs seraient à l’origine de la propagation du virus mais aussi des mesures liberticides destinées à lutter contre celui-ci. Le fantasme du complot sioniste mondial, ou tout simplement juif pour les plus radicaux, connaît un succès que des chercheurs ont pu confirmer dans des enquêtes sociologiques récentes. Dans une étude menée par le politologue français Antoine Bristielle (Sciences Po Grenoble) sur une douzaine de groupes Facebook anti masque, 800 membres de ces plates-formes ont répondu à son questionnaire sociologique. On découvre ainsi que 52 % d’entre eux croient en un « complot sioniste » !

Le discours complotiste ne brille pas non plus par sa cohérence. Mais le dire et le démontrer n’embarrasse pas ses propagandistes. Ils ne veulent qu’une seule chose : être entendu. Pour ce faire, ils passent leur temps à jouer simultanément sur les angoisses que cette crise sanitaire suscite et sur l’orgueil de leurs consommateurs qui se sentent gratifiés de détenir la vérité que le « système » dissimule.

Puisqu’il est question d’angoisses dont on ne se délivre jamais, il va donc falloir supporter encore longtemps ces discours complotistes car leurs consommateurs de plus en plus nombreux développent avec le complot le même rapport que les toxicomanes avec les drogues dures. Ils passent d’une consommation récréative et occasionnelle à une consommation problématique qui entraîne accoutumance et dépendance. Après être passé par les Portes de la perception chère à Aldous Huxley et avoir vécu un moment de grâce fascinant où les angoisses disparaissent, la dépendance se fait sentir et le toxicomane a besoin à nouveau de drogue pour mettre fin au manque. Pour les adeptes des discours complotistes, c’est pareil. Une fois qu’ils ont goûté au complot, ils en réclament sans cesse. Et face à ce phénomène, les démocrates rationnels ne possèdent que peu d’arguments pour le convaincre de l’inanité du complotisme.

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Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef