Un lieu de mémoire face à la pandémie

Roland Baumann
La pandémie a fait disparaître des « derniers témoins » tels Henri Kichka et Paul Sobol. Elle a dévasté la culture, paralysé l’industrie du tourisme. Mis en difficulté par la pandémie, le mémorial et musée d’Auschwitz-Birkenau, un des sites touristiques les plus visités en Pologne, a fermé ses portes durant le confinement tout en développant ses outils numériques.
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Le 27 janvier 2020, devant la « porte de la mort » à Auschwitz-Birkenau, les cérémonies du 75e anniversaire de la libération du camp nazi rassemblent 200 survivants et les représentants de 50 pays, dont nos souverains, Philippe et Mathilde. Le 14 juin 2020, la commémoration du 80e anniversaire de l’arrivée à Auschwitz du premier convoi de prisonniers politiques polonais se limite à la diffusion vidéo d’une petite cérémonie menée par le président Andrzej Duda, Piotr Glinski, ministre de la Culture et du patrimoine national, et Elzbieta Witek, présidente de la Diète polonaise. Rouvert le 1er juillet 2021, le musée national Auschwitz-Birkenau commémore online le 76e anniversaire de la liquidation du camp des Roms à Birkenau, en août 1944, puis interrompt à nouveau ses activités en novembre. Fermé 161 jours, le musée a reçu 502.000 visiteurs en 2020. Il en accueillait 2.320.000 en 2019 ! Proche des 500.000 visiteurs en 2001, la statistique explose ensuite, dépassant le million de visiteurs en 2007 et 2 millions d’entrées en 2016… Cet afflux pousse entre-temps le musée à limiter l’accès à Auschwitz I où un système de visite guidée obligatoire (sur réservation) et payante limite l’entrée gratuite de visiteurs individuels aux fins de journée. Les entrées payantes constituant depuis lors une source importante de revenus, la chute brutale du nombre de visiteurs suite à la pandémie entraine la perte d’un tiers du budget du musée en 2020.

Fermeture et aléas de la « reprise »

Dorota Kuczyńska, attachée de presse du musée, résume les aléas de la récente « reprise » : « Nous avons rouvert fin mai, sur décision du ministre de la Culture, et avons accueilli quelques milliers de visiteurs, surtout polonais, pendant le long week-end de Corpus Christi (3 juin, jour férié en Pologne). En date du 14 juin le musée ouvre à nouveau 7 jours sur 7. Dans les blocks d’Auschwitz I, nous limitons bien entendu le nombre de visiteurs par salle et avons amélioré leur circulation, en particulier dans l’exposition générale, où nous tenons le public à distance des grandes vitrines qui montrent « les preuves du crime » (valises, chaussures, etc.) dans les salles du block 5. Nous avons fermé certaines sections, comme les sous-sol du block 11, documentés sur des panneaux à l’extérieur du bâtiment ». Elle souligne l’impact financier et social de la pandémie : « Avant la pandémie nous recevions 9.000 visiteurs par jour ! Les revenus générés par ces visites financent les travaux de préservation du site tout comme la formation annuelle de nos guides à Yad Vashem. L’aide de l’Etat polonais et l’argent de la Fondation Auschwitz-Birkenau nous ont permis de poursuivre les travaux en cours, tant à Birkenau où les cuisines et une baraque en briques, dans laquelle vivait Simone Veil, se trouvent couvertes de grandes tentes en plastique tandis qu’on procède au démontage complet et au renforcement de leurs murs, qu’à Auschwitz I, où nous construisons un nouveau centre d’information et d’accueil des visiteurs. Nous voulons aussi réaliser par étapes une nouvelle exposition générale et refaire l’exposition nationale polonaise. Nos 340 guides se sont retrouvés au chômage, et sans indemnités, vu qu’ils ont tous un statut d’indépendant. Finalement, ils ont pu bénéficier d’aides de l’Etat polonais et de l’Union européenne ».

Le rapport d’activités du Mémorial Auschwitz-Birkenau en 2020 souligne l’accroissement rapide de la présence du musée sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) dès le confinement. Il cite aussi une augmentation de 50 % des visiteurs du site www.panorama.auschwitz.org inauguré en janvier 2015 et offrant à l’internaute une surprenante visite virtuelle de Auschwitz I, Birkenau et de la Alte Judenrampe. Notons la publication en ebooks de quelque 70 publications du musée, téléchargeables à des prix modiques sur le site de la librairie en ligne (books.auschwitz.org). Soucieux de développer des outils éducatifs gratuits, le musée propose une vingtaine de leçons online sur Auschwitz et la Shoah. Signalons aussi l’excellente série d’expositions virtuelles réalisées par le musée et accessibles sur la plateforme Internet de l’Institut culturel Google (artsandculture.google.com), par exemple sur la déportation de Lodz à Auschwitz en 1944, ou l’histoire tragique de Mala Zimetbaum et Edek Galiński. Témoignant de la notoriété internationale du musée polonais, et fruit de sa collaboration avec la société espagnole Musealia, l’exposition Auschwitz. Not long ago. Not far away, attira 450.000 visiteurs à Madrid (2017-2019). Obtenant le Grand Prix du European Heritage Awards/Europa Nostra Award 2020, cette grande exposition, montrée ensuite au Museum of Jewish Heritage de New York, y vit son succès initial brisé par la pandémie et la fermeture du musée new-yorkais pendant six mois. Inaugurée le 14 juin à la Union Station de Kansas City, elle y demeurera jusqu’en janvier 2022.

Une mémoire œcuménique

Institution catholique engagée dans le dialogue judéo-polonais et la transmission de la mémoire de la Shoa, le Centre pour le dialogue et la prière d’Oświęcim (cdim.pl), installé depuis 2000 rue Maximilien Kolbe, à proximité d’Auschwitz I, accueille conférences et rencontres internationales, offrant aussi gîte et lieu de travail aux visiteurs individuels. Son directeur, Jan Nowak explique : « Nous accueillons surtout des groupes de jeunes d’Allemagne, de Norvège, de Suède… venus visiter Auschwitz, ainsi que des chercheurs et historiens. Depuis le début de la pandémie, nous n’avons plus du tout de groupes et les visiteurs individuels sont très rares. Face à cette crise prolongée, fidèles à nos traditions d’hospitalité, nous avons décidé de ne pas fermer nos portes et espérons un retour progressif de nos activités d’accueil cet été et à l’automne ». Hébergeant quelque 6000 visiteurs par an, le Centre est vide en ce début juin. Dans le cadre de ses mission éducatives, il organise pour le 9 août un projet participatif vidéo commémorant la mort d’Edith Stein… De l’autre côté de la rue, une ancienne cantine de la SS est l’objet d’un projet controversé de nouveau musée, honorant les « Justes » polonais de la région d’Oświęcim…

Né à Oświęcim et docteur en sciences politiques de l’université Jagellon de Cracovie, Jerzy (« Jurek ») Wójcik a vécu à Tel-Aviv comme étudiant boursier. Il y a 15 ans, en parallèle à ses études sur le processus de paix israélo-palestinien, il a commencé à guider des groupes à Auschwitz, des familles anglophones, souvent juives. Fondateur de la société Holocaust Memorial Partnership, il collabore avec différentes institutions mémorielles. La pandémie l’a incité à créer un projet de visite virtuelle d’Auschwitz, présenté d’abord sur facebook, puis sur sa propre page web (auschwitz.memorialpartnership.pl). Jurek a conclu un partenariat avec le Center for Holocaust Education of the East Valley JCC, centre communautaire juif à Chandler, dans la banlieue de Phoenix, en Arizona, qui propose ces visites à un public anglophone aux Etats-Unis et au Canada. Passionné d’informatique et excellent conférencier Jurek a conçu un montage vidéo très performant : « Cette visite virtuelle, prévue pour un maximum de 40 personnes en une seule session, dure deux heures et est suivie d’un temps de questions et réponses. Récemment j’avais pour auditeurs des écoliers au Honduras, et des étudiants indiens. Je souhaite pouvoir développer mon projet en Afrique, en Asie, en Russie auprès de jeunes qui sont tout à fait absents des statistiques des visiteurs du musée. Mon projet de visites virtuelles peut en inciter certains à devenir des nouveaux témoins. Je ne souhaite plus guider en présentiel ! Je ne retournerai pas à Auschwitz ! ». Utilisant des images historiques, des témoignages de survivants et une animation moderne combinée à des outils de réalité virtuelle, en particulier le « panorama » créé par le musée d’Auschwitz-Birkenau, sa visite virtuelle du musée, menée avec une véritable rigueur scientifique, situe Auschwitz dans tout son contexte historique, citant l’implication de grandes entreprises allemandes dans l’industrie de mort, et l’impunité de la plupart des bourreaux après 1945.

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