Champions du monde ! Les Israéliens peuvent se targuer d’être numéro un mondial de la vaccination contre le COVID-19, très loin devant les Américains et les Européens, avec des résultats spectaculaires : plus de 200.000 vaccinations par jour. A ce rythme, Israël sera fin mars le premier pays au monde à avoir vacciné l’ensemble de sa population. Un succès insolent qui suscite l’admiration et fait beaucoup d’envieux. Mais quel est donc le secret d’Israël ?
La recette du succès israélien tient en trois mots : anticipation, logistique et communication. Dès le début de l’épidémie du coronavirus, au printemps 2020, Israël a anticipé l’ampleur de la crise sanitaire et pris contact avec les géants Pfizer et Moderna. Des négociations ont aussitôt été lancées sur l’achat de vaccins, Israël n’hésitant pas à y mettre le prix pour être certain d’être parmi les premiers servis (environ 25 euros par dose, soit deux fois plus qu’en Europe). Audace suprême, les préachats ont été effectués dès les premiers résultats positifs contre le codiv-19, avant même la fin des tests clinique. Un pari peu risqué en réalité tant la relation entre Israël et les firmes pharmaceutiques est basée sur une confiance mutuelle : Israël a cru très tôt dans le vaccin mis en place par ces laboratoires, dont certains responsables sont issus de ses universités, quand, de leur côté, les big Pharma ont bien compris que l’Etat hébreu pouvait devenir un pays pilote, voire une vitrine de leur succès [voir encadré].
Car, c’est là la deuxième clé de son succès, Israël, petit pays de 9 millions d’habitants, bien connu pour l’excellence de son personnel de santé, excelle dans la logistique. Il s’appuie pour ce faire sur ses caisses d’assurance maladie – Clalit, Maccabi, Leumit et Mehuhed ; un héritage travailliste qui épouse parfaitement la modernité de la Start-Up Nation. La campagne vaccinale est d’une redoutable efficacité sur le terrain, très fluide et totalement digitalisée. Les vaccinodromes géants où s’activent parfois sept jours sur sept les soignants sont un modèle d’engagement humain. De l’achat des vaccins à leur distribution, des cadres aux professionnels de la santé, chacun sent qu’il y a urgence à gagner cette bataille contre le coronavirus. Preuve, s’il en était encore besoin, que la nation israélienne sait se mobiliser pour affronter les crises.
Cet esprit de combat doit beaucoup à la campagne médiatique mise en place par le ministère de la Santé, avec notamment de courts spots qui répondent de façon claire et pédagogique aux inquiétudes sur le virus. Surtout, la décision de Netanyahou de recevoir le premier le vaccin « pour montrer l’exemple » a rassuré l’opinion. Son passage en direct pendant le journal de 20h était un coup de com’ politique savamment orchestré à trois mois des élections. Il n’en était pas moins salutaire sachant qu’un quart des Israéliens étaient réticents à se faire vacciner. Cela suffit-il, pour autant, à lui attribuer tous les mérites de la campagne vaccinale ?
Héritage travailliste
Seul en scène, son ministre de la Santé tenu à l’écart, Netanyahou se présente volontiers comme le sauveur de la nation, depuis ses appels médiatisés à Albert Bourla, le patron de Pfizer, dont les origines juives expliqueraient selon lui l’attachement à Israël, jusqu’à l’arrivée des premiers vaccins, qu’il est allé chercher lui-même sur le tarmac de l’aéroport de Tel-Aviv. Et toujours face caméra, campagne électorale oblige. On est bien loin du travail de fourmi mené dans l’ombre par une armée de logisticiens, de juristes (qui se démènent pour fluidifier le parcours de soin) et de médecins, admet dans Yedioth Aharonot le belgo-israélien Alon Rappaport, directeur médical de Pfizer Israël : « Le vaccin qui arrive chez la vieille dame dans sa maison de retraite n’est pas dû à un seul homme. C’est le résultat du travail et de l’effort de nombreuses personnes, chez Pfizer, et dans le gouvernement israélien. Beaucoup au ministère de la Santé ont travaillé nuit et jour pour ramener ce vaccin, de même au ministère de l’Economie et à la Justice ».
L’ensemble de la stratégie s’appuie sur un système de santé ultra performant. Selon l’index Bloomberg de la Santé 2020, Israël occupe en effet la 5e place mondiale. Il était troisième, juste derrière Hong-Kong et Singapour, avant que n’éclate la crise du coronavirus. Des chiffres qui prennent en compte l’espérance de vie des Israéliens (82,6 ans), l’une des plus hautes des pays de l’OCDE, et celle très faible des décès prématurés (134 pour 100 000 habitants), soit la deuxième au monde derrière la Suisse. Cette prouesse s’explique notamment par l’excellence des professionnels de la santé en Israël et un bon maillage du territoire avec, selon la dernière étude du Centre Taub, 58 hôpitaux (44 hôpitaux généraux, 12 psychiatriques et deux de rééducation), dont 19 appartiennent au gouvernement et 12 aux caisses d’assurance maladie, les autres relevant du secteur privé.
Le secret de la réussite israélienne repose justement sur les quatre kupot holim, les caisses d’assurance maladie qui assurent aujourd’hui le volet logistique de la campagne de vaccination. Fondées pendant le Mandat britannique par les organisations sionistes sur le modèle des krankenkasse allemandes (dont elles tirent leur nom), ces organismes sans but lucratif contrôlés par l’Etat garantissent une couverture santé à chaque citoyen israélien. Leur rôle a longtemps été politisé : ainsi la plus grande, Clalit, à laquelle tout syndicaliste de la Histadruth devait adhérer, était associée à la gauche travailliste, tandis que Maccabi était traditionnellement liée à la droite. Depuis la grande loi nationale sur l’assurance maladie de 1995, les Israéliens ont l’obligation de s’inscrire à l’une des kupot holim, mais aussi le choix d’en changer selon leur bon vouloir. La loi leur garantit un minimum de prestations – le « panier de santé » – dont il faut bien dire qu’il est remarquablement fourni au vu des très faibles dépenses de l’Etat.
« L’Etat profond » au secours du gouvernement
C’est l’un des paradoxes majeurs du système de santé israélien : il figure parmi les meilleurs au monde alors qu’il est sous-financé depuis des années. Les dépenses publiques de santé représentent 7,5% du PIB (contre 8,8% en moyenne dans l’OCDE) avec 2.283 euros par habitant (quand elles sont de 3.285 euros dans l’OCDE, soit 44% plus élevées). Une carence qui se fait cruellement sentir dans certains secteurs comme les soins dentaires, financés à seulement 2% par l’Etat, plaçant Israël en bas du tableau de l’OCDE devant le Mexique. Conclusion douce-amère de Moshe Bar Siman Tov, l’ancien directeur général du ministère de la Santé et premier « tsar » en charge de la lutte contre le Covid-19 interrogé par Calcalist : « L’utilisation de l’argent investi est maximale. Imaginez quels résultats nous pourrions obtenir si le gouvernement investissait 3 ou 4 milliards de shekels supplémentaires dans les soins de santé ». En attendant, c’est sur l’hôpital, que pèsent les choix politiques opérés par Netanyahu. Le nombre de lits pour une hospitalisation générale y est l’un des pires de l’OCDE (2,2 lits pour 1.000 habitants) ; le taux d’occupation le deuxième plus élevé au monde (94%). C’est dire l’ampleur de la bataille que mènent les soignants israéliens face à cette pandémie mondiale.
Par une cruelle ironie du sort, la crise du coronavirus est venue rappeler l’excellence des personnels et services de santé auxquels on ne cesse de couper les budgets en Israël. Et combien peut être agile l’administration, ses décideurs et ses cadres ; tous ceux que Netanyahou dénigre si volontiers sous le terme d’« Etat profond ». Dans la campagne de vaccination contre le covid-19, alors que le gouvernement gérait la crise sanitaire de manière si erratique, au gré des déconfinements et reconfinements, ils ont signé avec maestria le retour de l’Etat protecteur.
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Israël, pays pilote
Dès le début de la crise du covid-19, les big Pharma ont bien compris tout l’intérêt qu’il y avait à coopérer avec Israël, petit pays à l’efficacité logistique reconnue et dont le système de santé figure parmi les meilleurs au monde. Pfizer lui aurait même proposé un contrat d’exclusivité. Une offre rejetée par Netanyahou pour ne pas risquer de dépendre d’une seule source d’approvisionnement. C’est ainsi qu’Israël a aussi préacheté le vaccin Moderna conçu par Tal Zaks, un ancien étudiant de l’université Ben Gourion du Néguev.
Le 7 janvier 2021, Netanyahou a annoncé avoir signé un nouveau contrat avec Pfizer pour de nouvelles livraisons du vaccin anti-covid19. En échange, Israël s’engage à transmettre à la firme pharmaceutique ses données statistiques sur l’épidémie du coronavirus. Un accord gagnant-gagnant, en somme : Israël protège sa population, qui sera sans doute la première au monde à être totalement vaccinée au printemps (Netanyahou étant assuré de réussir sa campagne vaccinale avant les élections du 23 mars), tandis que Pfizer obtient une masse de données sur son vaccin.
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