Avec les années, l’Union des étudiants juifs de Belgique a changé. En plus d’être un espace culturel, un lieu de rencontres, préoccupée de lutte contre l’antisémitisme et de défense d’Israël, elle est aussi devenue un mouvement inscrit dans son époque, aux valeurs fortes. Constituée d’un comité de 50 personnes particulièrement actives – il n’y a qu’à regarder les réseaux sociaux de l’UEJB pour s’en convaincre – et de 150 membres joignables via leur page Facebook, « l’UEJB lutte contre le racisme, mais aussi l’homophobie et l’exclusion et place au centre de son action la défense de la communauté humaine. Dans notre génération, ça se manifeste par un combat pour la liberté, explique Sacha Guttmann, le président. Nous souhaitons que l’UEJB, présente à Bruxelles, mais aussi à Louvain-La-Neuve et à Liège, œuvre à une liberté maximale pour chaque individu, que ce soit sur le plan religieux, politique ou celui de la construction des idées ». Et loin d’être des théoriciens, les membres de l’UEJB mettent régulièrement les mains dans le cambouis. On les a vus récolter de la nourriture pour les étudiants en situation de précarité, distribuer des colis aux personnes isolées pour la fête juive de Pessah, combattre pour les Ouïghours. Mais récemment, alors qu’ils ajoutaient à leurs actifs une action contre l’antisémitisme dont ils sont extrêmement conscients – cela va sans dire – celui-ci leur est revenu, comme un boomerang, en pleine face. On en beaucoup parlé dans la presse et sur les réseaux sociaux. Des affiches portant l’inscription « Depuis le meurtre antisémite de Sarah Halimi, au moins quinze personnes ont été tuées car juives, en Europe et aux Etats-Unis » ont été collées dans différents quartiers (notamment la Grand-Place et le quartier européen) de Bruxelles, le 25 avril. Le lendemain, certaines étaient vandalisées, les mots antisémite et juif effacés. L’affaire est interpellante. Dérangerions-nous à ce point les autres que même les mots antisémite et juif ne trouvent plus leur place dans l’espace public ?
Sur le campus, ni kippa, ni magen
Quand on demande à Sacha Guttmann, comment l’UEJB et ses membres ont conçu l’action des affiches, il nous explique ne pas avoir eu envie de mener une campagne tournant uniquement autour de la décision de justice française. En Belgique, cela risquait de moins marquer les esprits. « On s’est dit qu’on devait légèrement détourner la polémique en cours pour montrer que Sarah Halimi était un symbole d’une problématique plus large, explique Sacha. Depuis le meurtre d’Ilan Halimi, ou plus largement au 21e siècle, il y a une accumulation d’assassinats antisémites, et cela n’existait pas auparavant, entre la fin de la guerre et le début du 21e siècle, du moins. Ce que nous voulions, c’était alerter les citoyens belges et le monde politique, amener cette problématique sur la place publique, tout en rendant un hommage fort à Sarah Halimi. Pour nous, il y avait là un phénomène très important, qui est souvent souligné dans la communauté juive, mais qui n’atteint pas vraiment l’extérieur de celle-ci ». Le slogan a été écrit à plusieurs pour trouver les mots justes. « L’idée principale de cette action, c’était de trouver la phrase qui pouvait rappeler, voire apprendre aux gens qui ne le savent pas ou qui l’ont oublié, que l’antisémitisme existe toujours », poursuit Sacha. « Je suis persuadé qu’une partie de la population belge l’ignore. Les gens savent que des terroristes extrémistes viennent commettre des attentats en Europe pour notamment tuer des juifs en Europe, mais ça ne va pas plus loin. Nous, nous voulons rappeler que l’antisémitisme est de notre temps, de notre époque, et qu’il existe sous des formes différentes. » En tout cas, dès qu’ils ont découvert que leurs affiches étaient vandalisées, les membres de l’Union des étudiants juifs, aidés par quelques personnes extérieures à la communauté, ont été en recoller d’autres par-dessus. « C’était choquant de voir les mots antisémite et juifs effacés, nous confie le jeune homme, même si on s’y attendait. On discute beaucoup de l’antisémitisme, mais au final, c’est quelque chose qui ne se manifeste pas toujours dans les actes, c’est surtout un sentiment diffus, il y a un malaise. Aujourd’hui on constate que certains étudiants adaptent leurs comportements (pas de kippa, ni de Magen David visible, ni encore de sweatshirt de l’UEJB). On apprend ça depuis tout petits, à l’école juive et au mouvement de jeunesse. En tout cas de façon concrète, l’espace public est dangereux pour un Juif qui s’assume juif. » La situation est donc bien plus grave que nous le pensions.
Un étudiant sur deux ne dit pas qu’il est juif !
L’angoisse monte encore d’un cran, lorsque nous apprenons qu’aux discussions de l’UEJB au sujet de l’antisémitisme, quasi un étudiant sur deux avoue avoir du mal à dire à ses camarades d’auditoire qu’il est juif. Un sur deux ! Un fait extrêmement inquiétant que Sacha explique par la lassitude des étudiants à devoir inlassablement se justifier face aux préjugés antisémites. Dans ce contexte, on se disait logiquement que défendre Israël (ndlr : cet article a été écrit avant les événements qui ont embrasé Israël et Gaza au mois de mai) ne devait pas être simple sur les campus. « Je pense que c’est possible », nous détrompe Sacha. « L’enjeu majeur, c’est que certaines personnes dénient à Israël le droit d’exister. Nous voulons bien discuter de politique, de colonisation, de création d’un état palestinien, mais pour l’UEJB et c’est sans appel, les Juifs doivent avoir leur Etat en Israël et sa disparition n’est pas une option. A partir de là, on a des échanges avec des groupes de militants, des cercles universitaires. Ceux-ci doivent pouvoir défendre les Palestiniens sans être antisémites. Malheureusement, il y a parfois des dérives, que nous cherchons à éviter. » Face à la situation difficile vécue par les étudiants, que faire ? L’UEJB ne baisse en tout cas pas les bras. « Nous voudrions lancer une plateforme de signalement pour la jeunesse. Il s’agira de rassembler des témoignages de jeunes qui ont subi de l’antisémitisme à l’université ou dans les écoles et de devenir ainsi une référence pour la jeunesse juive », nous explique Sacha. « Nous souhaiterions qu’ils aient une organisation bien à eux où ils pourront signaler ces faits. Nous travaillerions, bien sûr, avec d’autres organisations comme antisemitisme.be qui possède une expertise en matière de signalement antisémite. Mais nous nous sommes rendu compte que lorsqu’un jeune subit des actes antisémites, il ne sait pas vers qui se tourner. Ce qui est terrible aujourd’hui, c’est que certaines personnes ne signalent pas les actes antisémites subis, faute de savoir comment faire. Et nous passons ainsi à côté de données. Par ailleurs, nous espérons aussi apporter un outil à toute la communauté sur l’antisémitisme subi par les jeunes. Un objectif primordial sera aussi d’offrir ou de rediriger ces jeunes vers des solutions d’accompagnement. Car notre premier but, et ça doit être clair, c’est de penser avant tout à l’humain, au jeune juif qui ne se voit, face à un fait d’antisémitisme, d’autre choix que de changer d’école, d’université ou de groupe d’amis. »
Nous avons une jeunesse étudiante active, fourmillant d’idées, ouverte sur le monde. Mais la problématique de l’antisémitisme ne peut être laissée sur leurs seules épaules. Sans doute faudra-t-il continuer à éduquer, expliquer, contrer les préjugés – et cela se fait notamment dans le département La haine je dis non ! du CCLJ, dès l’école primaire. Des questions restent cependant ouvertes : cela suffira-t-il ? et que pouvons-nous faire d’autre pour éliminer ce fléau ? Il ne faudrait pas que les jeunes Juifs deviennent de nouveaux Marranes, pouvant être eux-mêmes, chez eux, entre eux, mais pas à l’extérieur. Avouons en tout cas qu’avant d’écrire cet article, nous ne nous attendions pas à un tel constat et que oui, nous sommes inquiets.