Demain, des potences à Jérusalem ?

Frédérique Schillo
Le projet de loi du gouvernement Netanyahou instituant la peine de mort pour les terroristes arabes a été adopté en première lecture à la Knesset. Une décision barbare, raciste et inefficace qui, loin de défendre l’Etat juif et démocratique contre le terrorisme, le déshonorerait.
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Qui, en Israël, se souvient de Meir Tobianski ? Peu de personnes, assurément, et certainement pas les membres de la coalition qui s’apprêtent à voter en faveur du retour de la peine de mort. Pendant la guerre d’Indépendance, Tobianski, un officier de la Haganah, ingénieur de son état, fut accusé de haute trahison par Isser Beeri, le chef des renseignements militaires. Le 30 juin 1948 il fut arrêté et passa le jour même devant le peloton d’exécution. Il avait 44 ans. Quelques mois plus tard, son innocence éclata au grand jour. Tsahal envoya à sa veuve une lettre de réintégration à titre posthume, Ben Gourion présenta des excuses publiques et le corps de celui qu’on avait présenté comme un traître fut enterré au mont Herzl avec tous les honneurs. Sur sa tombe, on peut lire : « tué par erreur ». La tragédie de Tobianski devrait faire frissonner d’horreur tous les partisans de la peine capitale. La justice étant humaine, donc faillible, elle ne pourrait appliquer une décision irréversible comme la peine de mort sans risquer, ne serait-ce qu’une seule fois, une erreur judiciaire fatale. Comment oser prendre pareil risque ?

Racisme morbide

Sans doute les membres de la coalition Netanyahou n’ont-ils pas ces états d’âme, eux qui entendent réserver le peloton d’exécution ou la potence aux seuls terroristes arabes. Le projet de loi ne le mentionne pas mais il suffit de lire entre les lignes : l’article premier dit que la peine de mort s’imposera à quiconque tue un citoyen israélien en agissant en raison de « motivations racistes » ou « d’une hostilité envers un groupe dans le but de nuire à l’Etat d’Israël et à la renaissance de la nation juive dans sa patrie ». Selon ce cadre, point de terrorisme juif. Ni Baruch Goldstein, qui a tué 29 Palestiniens en prière au Caveau des Patriarches, ni Yigal Amir, l’assassin d’Yitzhak Rabin, ne tomberaient sous le coup de la loi.

Le législateur n’accorde aucune place aux cas de conscience. Le deuxième article prévoit ainsi une justice expéditive en Cisjordanie : les cours martiales pourront imposer la peine de mort à la majorité simple et non à l’unanimité des juges. La sentence ne pourra être atténuée par la décision d’un tribunal régional. Mais est-ce surprenant sachant que le texte est porté par les suprémacistes juifs d’Otzma Yehudit, le parti d’Itamar Ben Gvir ? Proche des extrémistes religieux engagées notamment dans la libération d’Yigal Amir, lui-même avocat de plusieurs terroristes juifs, l’actuel ministre de la Sécurité nationale est un admirateur de Baruch Goldstein, dont il gardait jusqu’en 2020 le portrait accroché au mur de son salon. Longtemps il a manifesté aux cris de « Mort aux Arabes ! » Depuis la dernière élection, il intime à ses partisans de faire profil bas en préférant le slogan « Mort aux terroristes ! » Mais pour lui, un terroriste ne peut être qu’arabe. Et il se doit d’être éliminé.

Pratique barbare

Ben Gvir a fait de la peine de mort un engagement phare de la campagne en l’inscrivant dans les accords de coalition avec Netanyahou, lequel militait déjà en 2018 pour son retour. Populiste à mort, la mesure leur permet d’accuser le centre-gauche de laxisme dans la lutte antiterroriste. Pour la rapporteuse du projet, la députée Limor Son Har-Melech, les terroristes arabes qui ne sont pas neutralisés bénéficient de condition de détention « agréables » et peuvent voir leur peine réduite, voire levée en cas d’échange de prisonniers comme ce fut le cas avec l’auteur de l’attentat qui a coûté la vie à son premier mari. Elle l’assure, la peine capitale est « une chose éthique, juste et nécessaire ».
En réalité, cette sentence est considérée comme si inhumaine que la loi israélienne sur les nazis et 

collaborateurs nazis de 1950 ne l’avait pas rendue obligatoire. Quatre ans plus tard, la peine de mort était abolie, sauf pour crimes de génocide. Mais même lorsque le procès Eichmann s’est ouvert à Jérusalem en 1961, d’intenses débats se sont déroulés pour savoir s’il fallait ou non réactiver cette clause. Des intellectuels emmenés par Martin Buber, Gershom Scholem et la poétesse Leah Goldberg s’y sont opposés, persuadés que le mal absolu méritait 100 fois la peine capitale mais refusant d’être eux-mêmes « transformés en bourreau ». Cela « crée l’illusion que quelque chose peut être réglé par l’anéantissement d’un homme » écrira encore Scholem lors du procès en appel d’Eichmann en 1962, qui allait confirmer son exécution par pendaison.

Installer des potences aujourd’hui à Jérusalem soulève le même choix moral, qui rebute l’opposition (à l’exception d’Israel Beitenu d’Avigdor Liberman) et font qu’un parti comme Judaïsme de la Torah, pourtant membre de la coalition, refuse de voter la loi en vertu du commandement « Tu ne tueras pas ! » Peut-on accepter de voir « la seule démocratie du Moyen-Orient » rejoindre le sinistre cortège de pays qui ont repris les exécutions cette année, à commencer par la Palestine [voir encadré] ? Verra-t-on des corps pendus à des grues de chantier comme en Iran ? Fera-t-on payer les douilles aux familles des fusillés comme en Chine ? A ceux qui s’émeuvent devant pareils châtiments, Ben Gvir et Netanyahou répliquent que c’est « une loi morale et juste qui existe dans la plus grande démocratie du monde », même si d’aucuns préfèreraient les voir s’inspirer de la Cour suprême américaine plutôt que de Old Sparky, le surnom de la chaise électrique.

La fabrique des martyres

Le plus pathétique reste encore l’argument sécuritaire qui sous-tend le projet : « Le but de cette loi est de couper le terrorisme à sa source et de créer une forte dissuasion ». Or la peine capitale n’a aucun 

caractère dissuasif pour des terroristes arabes candidats au martyre, eux qui embrassent la mort dans une forme d’attentat suicide et sont quasiment assurés d’être « neutralisés » sur place.

Au contraire, le monde de la Défense estime que la peine capitale pourrait aggraver la situation. Elle créerait de nouveaux martyres dans les couloirs de la mort, soulèverait des vagues d’indignation à travers le monde, mettrait les prisons israéliennes en ébullition et ferait encore augmenter la pression à mesure qu’approche la date d’une exécution. Début mai, le Djihad islamique a tiré des dizaines de roquettes sur le centre d’Israël pour protester contre la mort en prison de Khader Adnan, gréviste de la faim. Combien de guerres se déclencheront demain si Israël se met à exécuter les terroristes ? Avant même cela, a prévenu l’ancien directeur du Shin Bet, Nadav Argaman, on risque d’assister à « une vague d’enlèvements de Juifs à travers le monde qui pourraient servir de monnaie d’échange aux terroristes condamnés à mort ».

Finalement, il faut se demander quel intérêt Israël aurait à entacher son image en prononçant la mort dans les tribunaux alors qu’elle s’applique déjà de facto sur le terrain. Dans son puissant discours pour l’abolition de la peine de mort en 1981, Robert Badinter fustigeait ceux qui érigent la peine capitale en ultime recours de la République contre le terrorisme. A sa suite, on pourrait dire qu’en voulant ressortir la potence aujourd’hui, les populistes d’extrême-droite font mine de protéger l’Etat juif et démocratique quand ils le déshonorent.

A Gaza, le retour des exécutions

C’est une année noire pour les droits de l’Homme. Selon le rapport d’Amnesty international, 883 personnes ont été exécutées en 2022 dans 20 pays ; un record depuis 2017. En dehors de la Chine, 90% des sentences concernent trois pays : l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Egypte. C’est encore au Moyen-Orient que se concentrent les reprises d’exécutions : en Afghanistan, au Koweït et en Palestine.

77 crimes sont passibles de mort dans le droit palestinien. Cependant, depuis son adhésion il y a quatre ans au traité de l’ONU visant la fin de la peine capitale, la Palestine est sur la voie de l’abolition. Une exigence pour être reconnue dans le concert des nations. Et de fait, aucun civil n’a été traduit devant un tribunal militaire en Cisjordanie depuis 2016 et aucune sentence n’y a été exécutée depuis 2005. C’est à Gaza que la reprise a été constatée en septembre dernier, sans coordination avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, avec deux exécutions pour « collaboration » avec Israël. Des crimes sanglants qualifiés par l’ONU et l’ONG Human Rights Watch de « pratique barbare qui n’a pas sa place dans le monde moderne ».

Début avril, un tribunal du Hamas vient de condamner deux autres Palestiniens pour « collaboration » avec Israël, l’un par fusillade, l’autre par pendaison.

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Dr Amos Zot
Dr Amos Zot
10 mois il y a

Est-ce que vous avez déjà écrit que l’Autorité palestinienne est raciste et barbare parce qu’elle donne des primes financières aux tueurs de civils Juifs israéliens? Pas dans cet article du moins. Deux poids deux mesures dans un tel contexte, cela s’appelle de l’antisémitisme.
C’est pourtant moins grave que de condamner à mort ceux qui tuent des civils Juifs pour sans doute obtenir de telles primes.
Ces condamnations à mort sont peut-être inefficaces mais elles empêchent en tous cas la récidive.

Clément Racher
Clément Racher
10 mois il y a
Répondre à  Dr Amos Zot

Merci pour cette mise au point oh combien pertinente

didier grunspan
didier grunspan
10 mois il y a

Ne baissons pas nos bras de Démocrates et rappelons aux fous de dieu les paroles de la bible concernant les Juifs et les Gentils.
Maintenons la pression.

Clément Racher
Clément Racher
10 mois il y a

Il y a bien longtemps que le retour de la peine de mort pour les terroristes aurait dû être votée
Votre article prouve que vous n avez aucune compassion pour les victimes de ces assassins.
J espère que la majorité de notre communauté est d accord avec mon point de vue.

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Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris