Regards n°1100

Et soudain en Israël, l’Etat sécuritaire s’est effondré

Liel Fishbein est resté enfermé 22 heures dans la pièce sécurisée de sa maison avec sa mère et sa grand-mère quand les terroristes ont attaqué le kibboutz Beeri. 22 heures sans eau, sans nourriture, sans électricité, sans air, à survivre comme des bêtes traquées, à voir sa mère se décomposer, sa grand-mère faire ses besoins dans un sac plastique devant eux, et à s’empêcher de hurler de douleur. Tenir, tenir encore, s’accrocher à la vie, alors que tout autour de soi résonnent les tirs des armes automatiques, les explosions de grenades, les cris des enfants brûlés vivants. Et cette odeur de mort qui envahit tout.

Liel n’a que 25 ans. Sa sœur Tekhelet, 18 ans à peine, était chez son petit ami à quelques centaines de mètres de chez eux quand le kibboutz a été pris d’assaut. Leur dernier échange remonte à ce samedi 7 octobre à 11h30. À l’instant où les soldats de Tsahal sont enfin entrés dans le kibboutz, sa première pensée est allée vers Tekhelet. À l’extérieur, tout n’était que désolation ; des ruines jonchées de cadavres. Dans leur entreprise génocidaire, les terroristes du Hamas ont massacré hommes, femmes, enfants, vieillards, nourrissons. Un massacre systématique, où même les animaux domestiques n’ont pas été épargnés. Quand nous avons appelé notre ami Liel « Fishy » le dimanche matin, il se trouvait sur un lit d’hôpital, encore très confus, mais vivant. Il ignorait où se trouvait Tekhelet. Était-elle morte ? Retenue en otage dans les tunnels de Gaza pour servir de monnaie d’échange ou de bouclier humain ? Sept jours plus tard, son nom apparaissait sur la liste des otages. L’espoir renaissait. Et puis le 17 octobre, le corps de Tekhelet a été identifié. Liel et sa famille l’ont enterrée loin de leur maison. Avec elle, ce sont en tout 130 personnes qui ont été massacrées au kibboutz Beeri, soit 10 % de la communauté. Comment expliquer que ce havre de paix se soit transformé en paysage de cendres ? Comment Israël a-t-il pu se laisser surprendre et Tsahal mettre si longtemps à venir secourir son peuple sur sa propre terre ?

Les loups sont entrés dans la maison

Le bilan humain de l’attaque du 7 octobre est effroyable : plus de 1.400 morts, 224 otages, des centaines de blessés. À l’échelle d’un petit pays comme Israël, où tout le monde compte un membre de sa famille, un ami, un collègue, un voisin touché par l’horreur, c’est une déflagration. Le choc surpasse largement celui de la guerre du Kippour, qui restait le plus grand traumatisme de la société israélienne, avec ses 2.600 morts et 300 prisonniers. Cette fois, il ne s’agit pas d’une guerre conventionnelle, mais d’une attaque d’une sauvagerie inouïe par un groupe terroriste dont l’objectif proclamé est l’anéantissement d’Israël. Les combats ne se sont pas déroulés dans le désert à des milliers de kilomètres, mais sur le territoire israélien, dans les frontières de 1948 reconnues internationalement, y compris par l’Autorité palestinienne. Les cibles étaient les civils, avec pour ordre de les massacrer sans merci comme le révèle une note retrouvée sur un terroriste : « Sachez que l’ennemi est une maladie qui n’a pas de remède, si ce n’est la décapitation et l’ablation des cœurs et des foies. Attaquez-les ! » Selon le président Isaac Herzog, le Hamas prévoyait aussi d’utiliser des armes chimiques, notamment des agents cyanurés.

Jamais depuis la Shoah autant de Juifs n’avaient péri en une seule journée. Et jamais Israël, cette forteresse sécuritaire conçue pour être le refuge des persécutés, n’imaginait être le lieu de tels pogroms. Pour les Israéliens, la promesse sioniste a été trahie. Ils ne se sentent plus en sécurité nulle part. « Papa, il faut que je te dise ce que je pense », écrit Morane sur sa page Facebook, une mère de famille de Beit Shemesh, dans le centre d’Israël. « Vous m’avez demandé comment je me sentais. J’ai l’impression que ma maison a été cambriolée et pillée. J’ai l’impression que ma grand-mère âgée et sans défense a été kidnappée. J’ai l’impression que mes frères ont été massacrés. J’ai l’impression que mes sœurs ont été violées de la plus violente des façons. J’ai l’impression que mes bébés ont été brûlés. »

Une faillite sécuritaire historique

L’ampleur du désastre donne le vertige. Car les terroristes ont frappé ce shabbat, jour de fête de la Torah, 50 ans et un jour après la guerre du Kippour, déclenchée elle aussi un samedi, le jour le plus saint du calendrier juif, par une attaque surprise conjointe des armées égyptienne et syrienne. En choisissant cette date, le Hamas a planté un tison dans la blessure traumatique de 1973, tout en galvanisant les masses arabes pour lesquelles cette guerre dite du Ramadan avait permis de recouvrer l’honneur perdu en 1967. Et de fait, c’est la même stupeur que le 6 octobre 1973 à 14h, lorsque des milliers d’Égyptiens ont réussi à traverser le Canal de Suez, aux cris d’« Allah Akbar », en fonçant sur les malheureux fortins de la ligne Bar-Lev dans le Sinaï. Ce 7 octobre à 6h30, le Hamas a surpris Israël par un déluge de roquettes tout en lançant une attaque combinée par voie aérienne, maritime et terrestre. Réputée imprenable, la barrière de sécurité ultrasophistiquée a été percée en 80 endroits.

Une nouvelle fois, Israël a été pris de court, incapable de prévoir l’attaque du Hamas. Une opération minutieusement organisée, selon des documents saisis datés d’octobre 2022, avec les plans précis de chaque kibboutz, préparée depuis des mois et qui se profilait, comme il y a 50 ans, sous le voile d’exercices militaires. Là aussi, ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prévenus. En 1973, l’agent n°1 d’Israël était « l’ange » du Mossad, Ashraf Marwan, gendre de Nasser, devenu conseiller du président Sadate. Ironie de l’Histoire, cette fois c’est l’Égypte qui a prévenu à plusieurs reprises Israël que le Hamas préparait « quelque chose de très important ».

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C’est la même hubris, le même aveuglement de la part des responsables militaires et politiques, persuadés que les Arabes n’oseront pas défier Israël. Aux litanies d’hier sur « les Arabes ne savent pas se battre », « Sadate est faible » ont succédé « le Hamas est dissuadé », « il a adouci sa charte ». « Le Hamas fait preuve d’une grande retenue et comprend les conséquences d’une nouvelle confrontation », assurait encore le conseiller à la Sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, sur la radio militaire le 1er octobre. Sans parler des calculs de Netanyahou visant à maintenir le statu quo avec Gaza, grâce aux valises de billets venues du Qatar pour mieux affaiblir l’Autorité palestinienne. Il l’exposait dans une réunion du Likoud en 2019 : « Le transfert d’argent fait partie d’une stratégie visant à séparer les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Quiconque s’oppose à la création d’un État palestinien devrait soutenir le transfert de fonds du Qatar vers le Hamas. » Sa stratégie a permis de nourrir l’hydre islamiste.

Avertissements

En 1973, Golda Meir avait des circonstances atténuantes : elle ne connaissait rien à la chose militaire. Mais comment expliquer cette faillite avec un Premier ministre qui se targue d’être « Monsieur Sécurité » à la tête d’un État tout sécuritaire ? Impossible pour lui de feindre la surprise : depuis des mois, il a été mis en garde. Interrogée le 6 octobre dans Le Figaro pour la parution de mon livre coécrit avec Marius Schattner, La Guerre du Kippour n’aura pas lieu (Éditions Archipoche), sur la possibilité pour Israël d’être à nouveau surpris, j’ai déclaré que : « Les ennemis d’Israël pourraient profiter de sa vulnérabilité. » Je ne faisais que relayer les avertissements des 400 anciens chefs de la Sécurité, dont ceux du Mossad, du Shin Bet, de la Police et des conseillers à la Sécurité nationale face au projet de refonte judiciaire tant décrié qui plongeait Israël dans une crise sociale, économique et politique sans précédent. Ils accusaient le gouvernement d’affaiblir la force militaire d’Israël en s’obstinant dans son coup d’État judiciaire.

10.000 réservistes menaçaient de ne pas servir une démocratie illibérale. Inquiet, le chef d’état-major Herzi Halevi avait demandé cet été à rencontrer Netanyahou ; en vain. Fin juillet, le général à la retraite Eitan Ben Eliyahou, ancien commandant en chef de l’armée de l’air, apparaissait ému à la télévision : « Nous courrons au désastre. Il est 14 heures, le jour de Yom Kippour ! »

« Où sont les soldats ? »

Après l’effroyable attaque surprise, des membres du commando du Hamas ont pu rester des heures, voire des jours, à massacrer sur le sol israélien. « Où sont les soldats, pourquoi ne voit-on pas Tsahal ? », imploraient des habitants désespérés. Les 5.000 jeunes d’une rave party ont attendu des renforts qui ne sont jamais venus. Liel et sa famille ont été secourus, mais si tard. Au kibboutz Nahal Oz, où vit le journaliste Amir Tibon, c’est son propre père, le général à la retraite Noam Tibon, qui est descendu de Tel-Aviv affronter les terroristes du Hamas et le sauver. Un acte d’une bravoure incroyable tenté ce jour-là par d’autres héros solitaires.

On sait aujourd’hui que l’état-major s’était détourné du front Sud, confiant dans la barrière de sécurité électronique. Les trois-quarts des troupes se trouvaient en Cisjordanie, du fait de la recrudescence des tensions exacerbées par les ultra-nationalistes du gouvernement Netanyahou. Tous devront rendre des comptes. Contrairement à la Commission Agranat instituée en 1973, l’enquête ne pourra épargner les politiques.

En attendant, puisque le Hamas a imposé à Israël une confrontation totale, au risque d’une extension régionale du conflit, la guerre a commencé. Où et quand s’arrêtera-t-elle ? «Je n’ai pas peur de la guerre», conclut Morane dans son texte, tout en exprimant sa peine « pour les habitants innocents de Gaza ».
« Je suis terrifiée par le mal humain, je m’accroche à la vie, aux enfants, aux bébés, aux impuissants, à moi-même. »  

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Écrit par : Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris
Frédérique Schillo

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