Laïcité n’est pas athéisme

Sarah Borensztein
Après avoir reconduit leur président pour 5 ans, nos voisins s’apprêtent à revoter aux législatives. Or, la présidentielle 2022 a permis une énième mise en lumière d’un point de rupture politique : l’idée que chacun se fait de la laïcité.
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Avec la guerre qui ravage l’Ukraine, il était évident qu’un pays européen ne pouvait mener une campagne comme si de rien n’était ; le débat démocratique en a donc quelque peu pâti. Mais malgré cette actualité tragique et, à juste titre, très envahissante, les sujets de prédilection des uns et des autres ont pu faire leur sortie. Et comme la France est la France, la laïcité demeure une façon de compter les points.

Si Jean-Luc Mélenchon semble, depuis quelques années, retourner sa veste pour lorgner sur l’identitarisme, les derniers survivants de la sphère socialiste étaient divisés. Anne Hidalgo est restée sur une ligne sans « oui, mais », là où l’ex-garde des Sceaux, Christiane Taubira, n’a pas hésité, après avoir remporté la mémorable – catastrophique – « primaire populaire », à employer une formule désolante, exhortant à « inventer des réponses pour une laïcité qui n’écrase pas mais émancipe ». Phrase qui ne veut rien dire puisque la laïcité n’écrase personne, elle se contente d’organiser le fonctionnement de la cité. L’émancipation venant précisément d’une application stricte, sans ajustement, de cette laïcité. On ne peut pas être « trop » laïque. On l’est ou on ne l’est pas. Ce n’est pas une notion modulable, l’eau n’est pas un peu plus ou un peu moins mouillée.

Le Président Macron, malgré des moments très approximatifs sur le sujet, peut se targuer, dans son bilan, de la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et de Barakacity, ainsi que de la création de la loi contre le séparatisme. Côtés verts, on a senti que le thème du religieux n’était pas trop leur tasse de thé, et pour cause, les rangs sont divisés. En revanche, le candidat communiste, Fabien Roussel, semblait avoir gardé sa boussole politique et s’était affiché avec une position que beaucoup d’orphelins de la gauche avaient apprécié retrouver : défense de Charlie Hebdo, organisation d’une soirée en mémoire des victimes de 2015 (dont Charb, qui était communiste), lutte pour la laïcité. Mais ses positions et, surtout, cette soirée hommage, n’ont pas fait l’unanimité et ce, jusque dans son propre parti. En cause ? Des invités jugés politiquement « suspects », comme Sophia Aram, humoriste à France Inter, Xavier Gorce, ex-dessinateur au Monde, et la journaliste Caroline Fourest.

L’extrême-droite n’a jamais été laïque

Du côté de la droite de la droite, Madame Le Pen, tentant un exercice périlleux de dédiabolisation, prétend faire la distinction entre islam et islamisme, tout en ayant parlé, comme Eric Zemmour, d’interdire le voile dans la rue… Ce qui ne tiendrait pas de la laïcité ; la rue a beau être un espace dit « public », il ressort de la vie privée. On ne décide pas si les citoyens ont le droit de cacher leurs cheveux ou non pour aller acheter du pain. D’autant qu’on le sait, l’extrême-droite n’a jamais été laïque. Et avant de le pseudo-devenir par opportunisme électoral, elle était même plutôt opposée à l’interdiction des signes convictionnels à l’école. Le 5 décembre 2003, le Journal Libération rapportait des propos édifiants de Marine Le Pen sur ce sujet : « Je ne voudrais pas tomber entre les mains de laïcistes extrémistes qui interdiraient à mon enfant d’aller à l’école avec sa médaille de baptême. Je ne suis pas contre le port de signes religieux qui ne sont pas ostensibles ». La messe est dite. Bref, à droite comme à gauche, la langue a beau être commune, les dictionnaires divergent. En particulier sur le mot « laïcité ». Principe fondamental, idéologie à « modérer », ou, carrément, « cache-sexe du racisme », chacun semble y investir un autre sens.

Laïcité, libre examen et athéisme

Nous le disions en préambule, Mélenchon, derrière qui les restes de la gauche se sont désormais rangés avec le simulacre d’accord qu’est la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), multiplie les écarts depuis quelques années. Il lui arrive encore, néanmoins, d’être pertinent. En juin 2021, il déclarait ainsi devant l’Assemblée Nationale que « la laïcité n’est pas un athéisme d’Etat » (et la pertinence s’arrête là, car cette phrase était prononcée dans le cadre de son objection à la loi contre le séparatisme). De fait, c’est une confusion fréquente qu’il faut absolument lever : défendre, contre vents et marées, le droit de dire ce que bon nous semble sur les religions, ne revient pas à faire pression sur autrui pour qu’il renonce à ses croyances.

Force est de constater que, de part et d’autre de la frontière, nos sujets de débat finissent invariablement par se ressembler : port du voile dans l’enseignement ou à la STIB, abattage rituel, sapin ou pas sapin… Et si notre rapport au monde confessionnel semble moins tranché que chez nos voisins, nous ne sommes pas mieux lotis en termes de simplicité, puisque nous nous démêlons, en plus, avec des termes comme libre examen et libre-pensée.

Alors que la question d’intégrer la laïcité dans la Constitution belge revient cycliquement et que les opposants à ce projet expriment leurs inquiétudes par des formules comme « laïcité extrémiste », il conviendrait de clarifier, pour ceux qui n’auraient pas encore compris ou feraient semblant de ne pas comprendre. La laïcité extrémiste, ça n’existe pas ! Si un Etat décide d’interdire la pratique religieuse dans le privé, ça ne s’appelle pas de la laïcité « extrême », « dure », ou « radicale », ça s’appelle une atteinte aux droits individuels et, accessoirement, une décision totalitaire. Mais si certains mélangent tout, c’est peut-être que nous rencontrons un problème de transmission de ces principes, et cela, dès l’université.

Il y a quelques années, lors d’une discussion avec un proche, votre servante avait énoncé ce qui lui apparaissait comme une banalité, à savoir que, théoriquement, on peut tout à fait être croyant, et même très pieux, tout en étant laïque. Le proche en question, dubitatif, avait répondu « je ne vois vraiment pas comment ». Lui aussi ancien étudiant de l’Université libre de Bruxelles (ULB), semblait confondre libre examen et athéisme. À l’annonce que Théodore Verhaegen et ses copains Pères fondateurs étaient croyants, il a eu du mal à digérer l’information. Erreur 404.

Ce type de confusion est dramatique. Si l’on considère qu’un croyant ne peut être libre-exaministe, c’est-à-dire utiliser sa raison pour apprendre, assimiler la science et le savoir ; si l’on considère qu’un croyant ne peut être laïque, c’est-à-dire accepter qu’il y a un temps pour tout et que la religion a son temps à elle, qui est ce qu’on appelle l’intimité ; si l’on considère qu’un croyant ne peut admettre le doute, autant tout abandonner tout de suite et se résigner à la guerre du tous contre tous. Le libre examen et l’esprit laïque ne sont pas les porte-drapeaux d’un athéisme prosélyte, ce sont les garants de la prévalence de la raison humaine sur la croyance. Ils sont là, justement, pour les croyants. Pour leur éviter de sombrer dans la bigoterie et l’obscurantisme, pour leur rappeler que leur qualité d’être humain passe avant ce qu’ils prient ou ne prient pas.

Pères fondateurs de l’ULB

Savoir que les fondateurs de l’université que la Belgique a toujours vue comme le temple des « bouffeurs de curés » du pays, des « anti-catholiques » qui crachaient vertement sur les calotins, étaient malgré tout croyants, c’est capital. Parce que cela signifie qu’un citoyen est capable de faire la part des choses entre sentiment et savoir, entre conviction et recherche de vérité. Cette volonté d’émancipation de l’individu par l’accès libre à la science, a étonnamment été le fait d’hommes qui n’étaient pas athées. Lors de la présentation des vœux au Roi Léopold Ier (1er janvier 1854), Théodore Verhaegen parlait de « sonder librement les sources du vrai et du bien et du bon ; entretenir et stimuler cet esprit philosophique dont le principe remonte à Dieu même », quand Auguste Baron, premier titulaire de la chaire de littérature française et étrangère de l’ULB, déclarait en 1834 : « Nous jurons d’apprendre [à nos élèves] à consacrer leurs pensées, leurs travaux, leurs talents, au bonheur et à l’amélioration de leurs concitoyens et de l’humanité. Voilà notre serment et Dieu nous soit en aide ».

Pour qui a étudié à l’ULB, ces citations semblent à mille lieues de ce que l’on imagine de ces figures académiques. Et, s’il est heureux d’avoir ôté les mentions divines des discours actuels, il est important de ressortir ces exemples historiques des étagères lorsque l’on parle aux nouvelles générations, pour redonner un peu de densité, de contexte à toutes ces notions. Tenir à distance le religieux ne signifie pas tenter de détruire la liberté de culte. Laïcité, libre examen, libre-pensée, ces outils intellectuels ne sont pas, comme peuvent le croire erronément certains, conçus pour une vie d’entre-soi athée. Ils ont pour vocation de permettre à des citoyens toujours en devenir, venus d’horizons différents, d’accéder ensemble au savoir et à la réflexion personnelle, déconnectée de tout dogme, mais aussi, de leur offrir un cadre de vie qui s’assure que jamais ils ne soient que ce qu’ils croient… ou ne croient pas.

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