Regards n°1113

L’antisémitisme moderne : entre inversion des rôles et culpabilité refoulée

Depuis plusieurs années, je n’ai cessé d’avertir que les événements que nous vivons rappellent, de manière inquiétante, les années 30. Mes propos ont souvent été moqués ou noyés dans l’indifférence. Aujourd’hui, cependant, la réalité nous rattrape.

L’antisémitisme, que certains pensaient résiduel, se manifeste de manière étonnamment virulente, à la manière des époques passées, avec une fraîcheur sinistre. La haine obsessionnelle envers Israël ne peut s’expliquer que par cet antisémitisme endémique qui imprègne depuis des siècles les psychés chrétiennes et musulmanes. L’enthousiasme inconditionnel pour la cause palestinienne est, en effet, à plus d’un titre, des plus suspects. Il révèle indéniablement, à ceux qui en doutaient encore, cette « fragilité goy » largement inconsciente chez les chrétiens et les musulmans à l’égard des Juifs. Car s’il est un peuple qui a été méprisé, persécuté et racisé au cours des siècles, aussi bien dans le monde chrétien que musulman, ce sont les Juifs. En Orient, les Arabes occupaient la position des « Blancs » ; tandis que les Juifs, les chrétiens et les Noirs étaient les « racisés », pour reprendre des concepts à la mode. L’obsession anti-israélienne témoigne, en partie inconsciemment, d’une volonté d’effacer un sentiment de culpabilité bien compréhensible à l’égard des Juifs. Le monde arabe n’a-t-il pas contraint 99 % de ses Juifs à l’exil ?

Comment comprendre autrement cette sourde envie de nazifier Israël à tout prix qu’au travers des concepts de rejet de culpabilité ou encore de projection agressive (T. Adorno) ? Prenez le Parlement bruxellois qui, en pleine crise institutionnelle, en vient à adopter, avec 44 voix pour et aucune voix contre, une résolution qui appelle au boycott de « l’État génocidaire » israélien ? Comment encore comprendre le tapis rouge déroulé par l’ULB à Raz Segal, un obscur chercheur israélien issu d’une non moins obscure université américaine (Stockton University), classée, en 2025, par l’U.S. News & World Report, à la 152e place ? N’était-ce son titre de gloire : avoir publié dès le 13 octobre 2023, un article accusant Israël de génocide. Oui, vous avez bien lu, le 13 octobre 2023, donc écrit vraisemblablement quelques jours auparavant, soit à une poignée de jours du plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah. À l’instar de l’Europe chrétienne, où il fallait abjurer sa judéité pour être accepté en tant que « Blanc », seuls les Juifs antisionistes ont désormais droit de cité.

Dernier exemple illustrant ce malaise persistant vis-à-vis des Juifs : le communiqué surréaliste des responsables du centre culturel des Halles de Schaerbeek, en réaction à deux tags les accusant de complaisance envers le Hamas. Extrait : « Nous réitérons notre soutien au peuple palestinien, victime d’un génocide depuis 500 jours, ainsi qu’à toutes les victimes et otages israéliens, qui subissent les conséquences des actes violents en Palestine. » Comment ne pas s’interroger sur ce communiqué nauséeux qui nie les faits et, surtout, justifie à demi-mot les violences commises contre les otages israéliens.  Ce sont les Israéliens qui en portent la pleine responsabilité, pas le Hamas.

« Palestine » ? L’auteur du communiqué sait-il que les kibboutzim martyrisés se trouvent non pas en Palestine, mais à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’Israël ? Sait-il encore que les personnes kidnappées et assassinées par le Hamas étaient pour la plupart des opposants au gouvernement Netanyahou ? À l’instar d’Oded Lifshitz, kidnappé à 83 ans dans son kibboutz de Nir Oz ? Sait-il seulement que cet « horrible sioniste », qui maîtrisait la langue arabe, emmenait des malades gazaouis se faire soigner dans des hôpitaux israéliens ? Oded Lifshitz a bien été trahi par ceux qu’il n’avait cessé de défendre tout au long de sa vie. Comment comprendre cette inversion des rôles posant les victimes en bourreaux et les bourreaux en victimes, sinon précisément pour apaiser un sentiment trouble, sinon coupable envers les Juifs ; d’où un antisémitisme désormais totalement décomplexé ? Assurément la bête est lâchée et pas seulement contre les Juifs. Je pense à mes amis kurdes et surtout ukrainiens.

Comme répété inlassablement, nous vivons une resucée des années 30, où la lâcheté des uns et la violence des autres faisaient loi. Tout comme Chamberlain et Daladier, en 1938, Trump semble être prêt à sacrifier un État souverain à l’autel de sa vanité et de son ignorance ? Notre Néron des temps moderne sait-il seulement que les accords de Munich ne firent qu’aiguiser l’appétit de l’ogre nazi ? Il en sera de même avec Poutine. Le pacifisme est souvent porteur du pire. Je n’ai pas mentionné Néron par hasard. Rappelons que c’est sous le règne de cet empereur fantasque qu’éclata, en l’an 66, la révolte juive contre Rome. Ce soulèvement, alimenté par un messianisme aveugle et destructeur, poussa les forces vives de la Judée à défier, dans un élan d’hubris, l’immense empire romain. Ce soulèvement se révéla fatal pour le peuple juif. On en connaît les conséquences ultimes : le Temple fut détruit et la population juive en partie dispersée.

Le pacifisme « à tout prix » tout comme le bellicisme « à tout-va » sont deux poisons mortifères. Croire que la guerre résoudra le conflit israélo-palestinien est pure folie. Certes, le Hamas doit être définitivement exclu de Gaza. Ce groupe criminel porte une responsabilité évidente dans la souffrance de son propre peuple. Cependant, la solution à long terme ne se construira pas dans la négation des droits du peuple palestinien. La seule voie viable reste celle des deux États « de la rivière à la mer ». Si contrairement à ce qu’affirme la doxa, on peut éradiquer une idéologie – la démocratisation de l’Allemagne en témoigne –, il n’est pas possible de détruire une cause nationale, qu’il s’agisse de la Palestine, de l’Ukraine et bien sûr d’Israël, l’antique et actuelle patrie du peuple juif.

Écrit par : Joel Kotek
Politologue et historien
joel kotek

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