Le malaise des élèves juifs après le 7 octobre

Nicolas Zomersztajn
Pour de nombreux élèves juifs inscrits dans des écoles non-juives de Bruxelles, il y a un avant et un après 7 octobre 2023. Ils sont la cible de propos et de comportements hostiles : injonctions brutales à prendre position contre Israël, « blagues » et commentaires désobligeants sur les Juifs rythment le quotidien de ces adolescents. Même si aucune agression physique n’a été commise, cette situation préoccupante les incite à mettre en place des stratégies d’évitement leur permettant de poursuivre leur scolarité tranquillement.
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Nombre d’enfants juifs bruxellois sont encore scolarisés dans des écoles non-juives, qu’elles soient officielles, libres ou privées. Si aucune vague massive de départ des élèves juifs de ces écoles n’a été constatée, il est certain que les massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas et la guerre à Gaza ont entraîné des conséquences préoccupantes sur ces élèves juifs. De nombreux témoignages semblent indiquer que des enfants ont subi des propos et des comportements hostiles à cause de leur identité juive. Pour bien saisir ce problème délicat, nous avons recueilli le témoignage de parents et d’enfants ayant rencontré des problèmes depuis le 7 octobre 2023. Ils ont tous accepté de témoigner à condition que leur identité ne soit pas révélée. Cette exigence est révélatrice d’un malaise profond.

David, le fils cadet de Delphine, a 13 ans. Il est arrivé il y a un an en première secondaire dans une école officielle du Sud de Bruxelles après avoir fait ses primaires à l’école juive Beth Aviv. Delphine et son mari souhaitaient qu’il poursuive sa scolarité dans une école non-juive pour qu’il s’ouvre à l’altérité et à la diversité. C’est même lui qui a fait ce choix. Il était donc emballé de rejoindre cette école. Le premier mois se passe très bien et il se fait plein de copains. Il ne fréquente pas le cours de religion israélite et ne dit rien sur son identité juive. Malheureusement, un mois plus tard, survient les attaques du 7 octobre et à partir de ce moment-là, il se heurte à une ambiance différente de l’insouciance du premier mois. Comme son frère aîné a fréquenté cette école par le passé, des élèves finissent par apprendre qu’il est juif. « Il entend de plus en plus de sales blagues sur les Juifs et certains élèves prennent un malin plaisir à les raconter devant lui. Ces blagues n’ont rien de drôle. Elles sont grossièrement antisémites », relate Delphine. « Certains gosses se lâchent même en scandant des ‘‘vive Hitler’’ ! Lorsque je dis à mon fils de signaler à la direction ces incidents, il se montre réticent car il craint que cela se retourne contre lui. »

Choisir son camp

Les élèves juifs sont surtout soumis à une injonction incessante à se prononcer sur le conflit israélo-palestinien. Dire qu’ils sont juifs les expose à devoir constamment se justifier. Ils tentent souvent de répondre mais le soupçon est permanent. Dan a 18 ans. Il a effectué toute sa scolarité dans une école non-juive à pédagogie active. « Dans mon école, tout le monde sait que je suis juif. Je ne le l’ai jamais caché et je n’ai jamais eu le moindre problème », raconte-il. « Mais Depuis le 7 octobre, l’atmosphère est devenue plus pesante. Des regards ont changé et certains élèves scandaient des slogans propalestiniens et anti-israéliens quand ils me voyaient. D’autres m’interpelaient en exigeant que je prenne position. Comme s’il fallait que je choisisse un camp alors que je sais que le problème est beaucoup plus complexe que cela. Je sentais bien qu’ils faisaient cela pour m’embarrasser et non pas pour entamer une discussion normale. Il arrivait même que des élèves avec lesquels je n’avais pas l’habitude de discuter viennent soudain me demander ce que je pense de la situation en Israël et à Gaza. » Emma, scolarisée dans une école officielle du sud-Est de Bruxelles a expérimenté ce même type d’injonction : « Depuis le 7 octobre, des élèves se sentent beaucoup plus à l’aise pour m’interpeller virulemment sur la question du conflit israélo-palestinien. C’est toujours brutal. Un jour, je portais le T-shirt de la JJL et on m’a tout de suite demandé si j’étais pour Israël à cause du logo contenant une étoile de David. Ils ont ensuite continué à me poser plein d’autres questions comme s’ils cherchaient à me coincer. J’essaie de leur dire que je suis pour la paix entre Israéliens et Palestiniens mais cela ne leur suffit pas. Ils en concluent alors que je suis contre la Palestine. » Il faut donc choisir son camp mais le choix n’est pas permis. « Certains ‘‘amis’’ de mon fils viennent souvent lui demander ‘‘pour qui il est’’, les Palestiniens ou les Israéliens », déplore Delphine. « J’en ai beaucoup parlé avec lui et il a bien compris qu’il devait leur répondre que ce n’est pas un match entre deux équipes. Parce qu’il est juif, on lui balance aussi en pleine figure les victimes des opérations de l’armée israélienne. Il est devenu comptable des agissements d’Israël. Dès qu’il essaie de d’argumenter et même de leur apprendre des choses qu’ils ignorent d’Israël, ils se radicalisent davantage à cause de ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux. »

Ces adolescents juifs sont souvent peu enclins à parler de ces incidents avec leurs parents. « Je sais qu’il n’aime pas en parler. Pas plus tard que la semaine dernière, je viens le chercher à l’école et je vois qu’un garçon est en train de le narguer avec un T-shirt ‘‘FC Palestine’’. Une fois qu’il est dans la voiture, je lui ai demandé ce qui se passe et il me dit qu’il agitait ce T-shirt pour rire. Mais je voyais bien que ce garçon ne faisait que l’ennuyer », estime Delphine. « Mon fils a tendance à minimiser ce qui se passe car il ne veut pas attirer l’attention ni se retrouver dans une situation de confrontation avec ses camarades de classe. Il garde cela pour lui et il minimise. Il ne s’en plaint pas parce qu’il sait que ses copains de l’Hashomer Hatzaïr vivent la même chose dans les écoles non-juives qu’ils fréquentent. Il a conscience que c’est une situation généralisée. » Alexandra, dont le fils a terminé cette année sa rhétorique dans une école catholique où il était le seul Juif et où un copain de classe lui a adressé un salut hitlérien en scandant « Heil Hitler », est également contrariée par un certain mutisme de son fils. « Lorsque j’ai évoqué avec mon fils l’idée de témoigner pour un article dans Regards, il m’a tout de suite dit qu’il ne voulait pas le faire pour ne pas s’attirer des problèmes. Il a finalement accepté de témoigner à condition que cela soit anonyme. C’est révoltant de voir que nos enfants intériorisent une culpabilité alors qu’ils ne sont coupables de rien du tout. »

Stratégies d’évitement

Dans ce contexte délétère, il n’est pas étonnant que ces adolescents élaborent consciemment des stratégies d’évitement afin de poursuivre tranquillement leur scolarité. Pudiquement, ils affirment qu’ils ont choisi d’être discrets. Mais le plus souvent, cette discrétion prend la forme de la dissimulation de leur identité juive. « Depuis le 7 octobre et les problèmes auxquels j’ai été confronté, j’ai surtout compris qu’il vaut mieux que les gens ne sachent pas que je suis juif ni que mon père est israélien », insiste Dan. « Je commence cette année mes études universitaires et j’ai décidé de faire preuve de discrétion sur mon identité juive. Si je sens que les personnes que je fréquente ne se montrent pas hostiles sur cette question, alors je pourrai leur dire que je suis juif. » Lola, élève d’une école à pédagogie active, a opté pour la même stratégie que Dan :« Certains élèves qui me sont proches savent que je suis juive mais de manière générale j’évite de le dire car cela me met mal à l’aise. C’est pourquoi je ne me lance jamais dans une discussion sur le conflit à Gaza alors qu’ils sont plein dans ma classe à poster des trucs horribles pro-Hamas sur les réseaux sociaux. » Delphine évoque aussi la « discrétion » de son fils qui procède aussi par omission. « S’il part en vacances en Israël, il ne le dira pas. Il ne leur parle pas non plus de son implication à l’Hashomer Hatzaïr. Lorsqu’il a fait sa Bar Mitzvah et qu’il l’a préparée tout au long de cette année, il n’en parlait pas à ses camarades de classe qu’il n’a d’ailleurs pas invité à la cérémonie » soupire Delphine. « Pourtant, il me dit que ce sont ses copains ! Il compartimente sa vie. Il y a ses ‘‘copains’’ non-juifs de l’école et ceux, juifs, de l’Hashomer Hatzaïr. » Et puis il y a celles et ceux comme Julie qui décide de changer d’école car l’atmosphère devient trop pesante : « Depuis le 7 octobre, j’ai dû subir des réflexions antisémites et des regards menaçants. J’ai aussi perdu des amis qui m’ont tourné le dos. Avec mes meilleures amies, j’en ai parlé et je leur ai dit que je préférais qu’on ne parle pas du conflit parce qu’on n’arriverait pas à se mettre d’accord. Ce serait bête de gâcher notre amitié pour ce genre problèmes. Finalement, j’ai changé d’école et ça va beaucoup mieux maintenant. » Enfin, certains élèves juifs décident de résoudre définitivement le problème en rejoignant une école juive.

L’évocation de ces quelques témoignages ne prétend pas à l’exhaustivité. Elle ne permet pas non plus de tirer des conclusions définitives sur la situation des élèves juifs. En revanche, la cohérence de ces témoignages restitue des situations identiques où l’école n’est plus un espace sanctuarisé pour ces élèves. Cette réalité plutôt hideuse suscite l’amertume et la rancœur des Juifs de Bruxelles car il s’agit d’une situation qu’ils n’ont pas connue auparavant. Ils sont effectivement nombreux à avoir poursuivi sereinement leur scolarité dans des écoles officielles, notamment celles de la Ville de la Bruxelles réputées pour la qualité de leur enseignement. Ils auraient souhaité que leurs enfants puissent en faire autant et dans les mêmes conditions.

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