Malaise à gauche

Sarah Borensztein
C’est un sujet que l’on a appris à détester. Clientélisme politique, propos outranciers, absence de nuances, vagues d’insultes et de menaces. Cette sensibilité extrême sur le conflit israélo-palestinien est due à mille raisons, et mène souvent à la violence dans le reste du monde. Violence qui, en Israël, a franchi un cap ahurissant en ce début d’octobre.
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Ce 7 octobre, à l’aube, des terroristes du Hamas sont entrés en territoire israélien. 260 morts dans un festival de musique. L’ironie ? Il s’agissait d’un festival néo-hippie, donc… pacifiste. Les victimes ? Des jeunes qui dansaient. Un bain de sang. Les images et les témoignages de survivants laissent craindre des cas de viols. La suite est tout aussi glaçante. Des kibboutzim dans lesquels le Hamas s’est livré à rien de moins qu’un pogrom gigantesque : des hommes, femmes, enfants, nourrissons et vieillards tirés de leurs lits, et abattus, égorgés, ou brûlés vifs. Total estimé du nombre de morts : plus de 1.400. Et l’horreur ne s’arrête pas là, puisque plus de 200 israéliens et étrangers – notamment des femmes, pour qui l’on craint le pire, et des enfants – ont été kidnappés pour servir d’otages. Certains ont été exhibés à Gaza. L’image que personne ne peut oublier est évidemment celle de cette jeune femme aux membres disloqués, Shani Louk, inconsciente à l’arrière d’un pick-up, nue, sur qui des hommes viennent cracher.

Des larmes et du dégoût

À l’étranger, les larmes et les insomnies ont vite été rejointes par la colère, le dégoût inspiré par certaines réactions. Ainsi, en France, comme en Belgique, l’extrême gauche n’a pas voulu condamner clairement les actes du Hamas. La Nupes s’est fendue d’un communiqué où, tout en déplorant le recours à la violence, elle renvoie dos-à-dos le gouvernement israélien et le Hamas, mais où, surtout, le mot « terroriste » n’apparaît pas. Le NPA, lui, a affiché un soutien sans réserve aux (sic) « PalestinienNEs et aux moyens de luttes qu’ils et elles ont choisis pour résister ». Comme dirait l’autre : « On ne s’attendait à rien, mais on est quand-même déçus. » À noter, toutefois, que malgré le communiqué de la Nupes, les avis semblaient diverger au sein du mouvement. François Ruffin (LFI), Sandrine Rousseau (EELV) et Fabien Roussel (PCF), par exemple, ont dénoncé sans réserve les massacres du 7 octobre.

En Belgique, au-delà d’une « pensée pour les victimes », le PTB n’a, dans un premier temps, pas jugé bon de blâmer quelqu’un d’autre qu’Israël, seul fautif depuis 75 ans, si l’on en croit Raoul Hedebouw.

Interrogée par la Libre Belgique le 11 octobre à la Chambre, la chef de groupe du parti, Sofie Merckx, a « concédé » : « Je veux bien dire que le Hamas est terroriste, mais l’État d’Israël est aussi une organisation terroriste. » Comme en France, les uns et les autres ont ensuite tenté de se rattraper à coup de déclarations, façon concours de Miss, sur le mode : « Nous condamnons toutes les violences et nous sommes pour la paix. » Mais la constante reste : Israël est coupable par principe. Ecolo, de son côté, a condamné « avec la plus grande vigueur les attaques meurtrières et indiscriminées du Hamas et du Jihad islamique ». Le mot « terroriste » n’apparaît pas, le mot « apartheid », oui. Les autres partis francophones ont condamné le Hamas sans détours ni sous-entendus, même si les grandes figures du PS se sont tues de longues journées avant de le faire.

Reste un constat : une partie de la gauche, particulièrement son extrême, refuse de nommer les choses. Plus grave, elle s’obstine parfois à voir dans le Hamas une armée régulière ou des « combattants de la liberté ». Pourquoi ?

La réponse généralement avancée est le calcul électoral. Il s’agirait de flatter un électorat qui serait acquis à la cause palestinienne et donc, supposément, adouberait de facto le Hamas. Il y a sans doute de cela. Mais limiter là l’explication, c’est un peu court. Il y a, dans l’esprit de gauche, une fascination – compréhensible – pour le petit qui se soulève face au grand, le faible qui tente d’écraser le puissant. Ainsi, oubliant qu’Israël est lui-même une tête d’épingle dans l’immensité du monde arabo-musulman, certains se focalisent sur le sort, effectivement, dramatique des Gazaouis. Mais au-delà de l’empathie pour les humains, se trouve aussi, peut-être, une empathie pour la révolte, la révolution, et ce, quelles que soient les formes qu’elle prend. L’ADN et l’histoire de ces courants politiques se sont forgés sur des moments révolutionnaires. Toute révolution se faisant, à un moment ou un autre, dans la violence… on en arrive vite à la relativiser si « la cause est juste ». Ajoutons enfin, et surtout, qu’Israël est allié avec les Américains. Un dernier point difficilement pardonnable, et qui explique, sans doute, le « deux poids, deux mesures » dans le traitement réservé par l’extrême gauche au sort des Ouïghours… en Chine.

Un silence assourdissant

Le 7 octobre, le rabbin Delphine Horvilleur, twittait : « J’enrage contre ceux qui leur trouvent la moindre excuse, ou pire applaudissent à mi-mot leur bravoure ou leur résistance. Aucune lutte ne justifie ce terrorisme. Jamais. (…) Je pleure et j’enrage face à cette guerre devenue inévitable et dans mon immense chagrin, j’en veux à ceux qui vont « compter les points » et piétiner un peu plus la décence et le sacré de la vie. » Deux jours plus tard, au micro de Léa Salamé (France Inter) qui lui demande si elle visait les Insoumis, elle répondra : « Oui, évidemment. Tous ces tweets ignobles où l’on voit bien qu’il est question de compter les morts, de compter les victimes, de ne surtout pas prononcer le mot de terroriste (…), mais comment, même un instant, on peut ne pas qualifier ces actes de terroristes ?! Comment on peut faire comme si tout était semblable ?! »

Invité sur France info le 10 octobre, Joann Sfar, très ému et en colère face à ce refus de LFI de prononcer le mot « terroriste », assenait à l’attention des élus de gauche : « Qu’est-ce que vous faites dans une alliance avec ces gens-là ?! » Écœuré, il évoquait également les personnalités françaises « toujours prêtes à signer pour toutes les grandes causes » ainsi que les militantes féministes, les uns, comme les autres, aux abonnés absents : « Quand elles voient ces jeunes femmes à qui on a arraché leurs bébés, ces filles qu’on a violées et dont on voit les pantalons ensanglantés ou dont on exhibe le corps sur des 4×4 (…) Si ça, ça ne vous fait pas réagir… arrêtez avec Auschwitz ! Arrêtez d’applaudir les dernières déportées qui restent ! C’est trop de bonne conscience d’aimer les Juifs en pyjamas rayés (…) et de ne pas les aimer quand, de temps en temps, ils voudraient qu’on ne les tue pas. »

La gauche et ses errements

Si des figures intellectuelles et artistiques, n’ayant jamais retenu leurs critiques envers le gouvernement israélien ni caché leur empathie pour la situation des Palestiniens, tiennent aujourd’hui ce discours, c’est que le sujet est tout autre. Et qu’il serait peut-être temps que certaines gauches se posent des questions. Lorsqu’en 2021, Mélenchon voit un complot derrière la tuerie de 2012 à l’école Ozar Hatorah (Toulouse), où, pour rappel, on a tué des petits enfants juifs à bout touchant « pour défendre la Palestine »… ça dit quoi ? Ça dit, en substance : « Quand un enfant juif est assassiné parce que juif, ce n’est pas de l’antisémitisme, c’est un complot. »

Quand Raoul Hedebouw dit que « les sources israéliennes [il] n’y croit pas », qu’est-on censé comprendre ? Que le Hamas, organisation reconnue comme terroriste par l’Europe, est plus fiable qu’Israël, seul État démocratique de la région ? Le mythe des Juifs menteurs, manipulateurs et falsificateurs, ça ne date pas d’hier et ça leur colle à la peau. Le Hamas, lui-même, recycle dans sa charte les Protocoles des Sages de Sion. Mais le PTB et LFI croient-ils réellement à ces clichés antisémites ? On ne peut le concevoir. Malheureusement, il est des lexiques qui participent à relayer ces idées, même sans le vouloir ni le penser.

Le cas le plus édifiant reste la gauche de Jeremy Corbyn, personnage dont les complaisances à l’égard de l’islamisme en ont fait tousser plus d’un (en 2009, il avait qualifié le Hamas et le Hezbollah d’« amis »… il attendra 2016 avant de s’en excuser), et dont les fréquentations douteuses ne laissent pas une meilleure impression, puisqu’une proximité avec le négationniste Paul Eisen lui a été reprochée. Enfin, l’ancien chef du Labour a été accusé, à plusieurs reprises, de laxisme envers l’antisémitisme dans son parti.

Qu’il s’agisse de réel antisémitisme, ou de pures tactiques politiciennes, ou encore, plus simplement, de maladresses rhétoriques ne change rien à l’affaire. Des Juifs de Belgique, de France, et d’ailleurs, se sont sentis abandonnés par une partie de la gauche. Pire, certains ont le sentiment qu’avec ses effets de manche oratoires, elle leur met une cible dans le dos. « Moi qui suis un Juif de gauche, je n’en ai rien à faire, d’une certaine gauche qui veut libérer tous les hommes aux dépends de certains d’entre eux, car je suis précisément de ceux-là. (…) Si elle veut me compter parmi les siens, la gauche ne peut pas faire l’économie de mon problème »,  écrivait et clamait Herbert Pagani dans ” Plaidoyer à ma terre”.  C’était en 1976.

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