Se libérer de la culpabilité allemande, une obsession partagée

L’immixtion d’Elon Musk dans la campagne électorale allemande a accru la médiatisation de la montée en puissance historique d’un parti d’extrême droite dans un pays encore hanté par son passé nazi. Le milliardaire américain ne s’est pas contenté d’appeler à voter pour le parti allemand d’extrême droite AfD (Alternativ für Deutschland) ; il s’en est pris violemment à un pilier de l’identité démocratique allemande : la politique mémorielle menée depuis des décennies sur le passé nazi. Participant en vidéoconférence à un rassemblement de l’AfD, il a déclaré : « L’accent est trop mis sur la culpabilité du passé, et nous devons aller au-delà de cela. »

Ces propos font largement écho à la propagande que l’AfD répand depuis des années. Loin de s’inscrire dans le large consensus sur la responsabilité que l’Allemagne doit assumer par rapport à son passé nazi, ce parti qualifie ce travail de mémoire de culte de la culpabilité et de la honte imposé aux Allemands pour les empêcher de s’épanouir en tant que nation. Björn Höcke, un des poids lourds de l’AfD, illustre parfaitement cette tendance. Obsédé par cette « culpabilité », il présentait en 2017 le Mémorial de l’Holocauste de Berlin comme un « monument de la honte » et appellait l’Allemagne à opérer « un virage à 180 degrés dans sa politique mémorielle », estimant que : « Le grand problème est que l’on présente Hitler comme l’incarnation du mal absolu. » Quant à Alice Weidel, la cheffe de file de l’AfD au Parlement fédéral, elle se place sans cesse comme une victime de la « culpabilisation » permanente des jeunes Allemands envers un passé nazi sur lequel ils n’ont aucune prise. La conclusion de l’AfD est donc simple : l’Allemagne doit se libérer de cette mémoire comme elle se libèrerait d’une « prise d’otages » (Geiselnahme) qui a trop longtemps duré.

Malheureusement, l’extrême droite n’a pas le monopole de ce désir profond de se débarrasser de la Vergangenheitsbewältigung, c’est-à-dire de la politique mémorielle mise ne place pour affronter et assumer le passé nazi. Une partie de plus en plus importante de la gauche radicale allemande s’est engagée sur la même voie que l’AfD. Selon elle, le poids de cette mémoire empêcherait les Allemands de soutenir les Palestiniens et de condamner fermement la politique « génocidaire » d’Israël ! C’est ainsi que le slogan « Befreie Palästina von deutscher Schuld » (libérer la Palestine de la culpabilité allemande) est brandi dans les manifestations propalestiniennes depuis le 7-Octobre. Un slogan que la philosophe américaine Judith Butler a d’ailleurs validé. Dans un entretien accordé en janvier 2024 au journal allemand Jungle World, l’égérie du mouvement queer a parlé d’une « interdiction de penser » qui empêche les Allemands de porter un regard critique sur Israël. Rien n’est plus faux. Depuis le 7-Octobre, pas un jour ne s’est écoulé sans que le sort des Palestiniens de Gaza ni la politique israélienne ne fassent l’objet de débats vifs au sein de la société allemande.

En réalité, les leçons allemandes du passé nazi ne s’appréhendent pas seulement à travers les prismes de la lutte contre l’antisémitisme et du soutien à Israël. Elles se traduisent aussi par un engagement fondamental envers la défense de l’État de droit, le respect des droits individuels et la protection des minorités. Sur la scène internationale, cela implique un engagement de l’Allemagne à faire respecter le droit international comme outil privilégié de politique étrangère. À cet égard, il ne faut pas oublier que l’Allemagne est une fervente partisane de la solution à deux États et défend donc le droit des Palestiniens à vivre dans leur propre État.

Personne ne prétend que les Allemands nés après 1945 sont coupables et responsables des crimes du nazisme. Comme l’avait très justement souligné Richard von Weizsäcker, Président fédéral entre 1984 et 1994 : « Ils sont responsables de ce qu’il adviendra de cette époque dans le contexte de l’Histoire. » Ce n’est donc pas la culpabilité qui pèse aujourd’hui sur les Allemands mais la responsabilité d’inscrire cette mémoire dans un cadre démocratique. En somme, l’idée que l’Histoire oblige.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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