Cela faisait dix ans qu’Elsa Zylberstein ambitionnait un film sur Simone Veil et ce projet, pour elle aussi, a constitué une longue bataille. Et c’est vers Olivier Dahan, le réalisateur de La Môme, qu’elle s’est tournée pour illustrer l’enfance, les tragédies et les combats historiques de cette pionnière : « Faire le portrait cinématographique d’une personne est une façon d’aborder l’Histoire du pays, ou d’une époque, de développer des thématiques sociales et psychologiques, de réécrire une histoire avec un angle de vue spécifique et personnel. C’est en fait l’inverse d’un biopic » précise le réalisateur qui s’est plongé dans une foisonnante documentation tout en s’en détachant pour évoquer l’intimité de la femme publique. Il assume un portrait subjectif mais juste, illustrant les forces et les fragilités de son héroïne « résiliente ».
Tel un peintre impressionniste, Olivier Dahan a juxtaposé des touches de couleurs sombres et lumineuses, il a accolé jeunesse et vieillesse, scènes insoutenables et victoires historiques, souvenirs et présent, intimité et vie publique ; des noirs, des fondus et du rythme. Cette diffraction lui a permis de splitter les rôles de Simone et d’Antoine Veil, chacun campé par deux acteurs, jeunes et matures : « le scénario était marqué par des allers retours dans le temps et c’est précisément cette chronologie bousculée qui nous emporte et donne du sens à l’histoire de Simone Veil. Je me suis dit que comme il n’y avait pas de continuité temporelle, le fait qu’on soit deux comédiennes à l’incarner pouvait être crédible » rapporte Rebecca Marder, qui co-interprète Simone – lorsqu’elle est jeune et déjà forgée par une volonté de fer – avec Elsa Zylberstein. Le cinéaste a monté ses images sur des rimes émotionnelles : « La musique est », dit-il, « un scénario qui s’imbrique dans le premier. Les notes reflètent la musique intérieure des personnages, incarnent leurs sensations et s’engouffrent dans les sentiments ». Les acteurs, comme tous les intervenants sur le film, des décorateurs aux costumiers, ont, eux aussi, investi leur partition.
Parce que les plus jeunes n’ont probablement pas vu La Liste de Schindler, Shoah, Le Pianiste, ou Le Fils de Saul et aussi parce qu’il ambitionne un film accessible mais exigeant, Olivier Dahan s’est autorisé à filmer une arrivée dans les camps, étape qu’il qualifie de « première déshumanisation ». S’ensuivent aussi de longs plans sur la marche de la mort : « Après (…) la libération des camps, il y a eu tout une séquence, pire que Dachau et Auschwitz, au moment où le Reich s’écroule : une forme d’errance pendant laquelle ont eu lieu des viols, des meurtres etc. Je voulais aborder cet épisode de manière non descriptive. J’ai utilisé un long texte de Simone Veil (…) un récit verbatim qui raconte comment, après Auschwitz, on peut basculer plus loin encore en enfer », complète le réalisateur.
Honorer l’injonction de sa mère
Simone survit et poursuit sa trajectoire, seule femme sur les bancs de Sciences-Po en 1945. Toute sa vie, elle aura honoré l’injonction de sa mère, une femme douce, qui l’aura poussée à la liberté et à l’indépendance. Frondeuse, libre et néanmoins fort attachée à sa famille, elle impose sa carrière de magistrate et de femme politique au sein de son couple : Antoine, son mari, devient son plus fidèle allié. Ce socle et ses convictions humanistes, républicaines et européennes la mènent à combattre nombre d’injustices, plus ou moins médiatisées, mais aussi à construire une Europe pacifiste. Lyrique, le film s’attarde sur des scènes de courage tout en survolant les étapes politiques. Elsa Zylberstein et Olivier Gourmet (Antoine Veil), métamorphosés par d’imposants maquillages et prothèses, vieillissent et épaississent avec leurs rôles.
Simone, Le Voyage du siècle
Un film de Olivier Dahan
Avec Elsa Zylberstein, Rebecca Marder, Élodie Bouchez, Judith Chemla, Olivier Gourmet, Mathieu Spinosi et la participation de Sylvie Testud et de Philippe Torreton. 2h20
Sortie en salles : le 12 octobre 2022
La première relève un sacré défi tandis que le second déploie une belle présence. « Quand on s’attaque à un projet pareil, on se dit qu’on le fait pour transmettre le message de Simone Veil aux jeunes générations. Je crois à la force du cinéma qui est peut-être plus accessible que la littérature ou qu’un cours magistral » dit celle qui incarne la volonté, la force, la dignité, la modernité de Simone Veil mais aussi ses fragilités. Que le film invite à en parler en classe, à cliquer sur Wikipédia et à (re)voir les documentaires ainsi que les archives de l’INA sur cette grande dame.