Honte

Daniel Rodenstein
Israël a longtemps fait la fierté des Juifs de diaspora. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il peut même susciter la honte, en raison de l’obstination avec laquelle son gouvernement cherche à saper les fondements de l’État de droit et de la démocratie. Il n’est donc pas étonnant qu’un tel gouvernement abandonne les otages à Gaza, ferme les yeux sur les traitements dégradants infligés à des prisonniers du Hamas par des soldats de l’armée israélienne, soutenus par les partis d’extrême droite au gouvernement, etc.
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J’ai honte. C’est le sentiment que je ressens. Il y a plusieurs causes à cela, et il est difficile d’identifier celle qui prévaut sur les autres. Toutes sont liées au Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou et à la manière dont il mène Israël vers l’abîme.

Depuis la fin 2022, il est à la tête d’une coalition majoritaire au Parlement israélien. À mes yeux, ceci est important. Netanyahou n’a pas été élu comme Premier ministre par les Israéliens, mais il a réussi à s’entourer d’une coalition que je ne peux pas ne pas qualifier de fasciste. C’est la première cause de mon sentiment de honte. Les deux dirigeants dont Netanyahou dépend pour se maintenir au pouvoir, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, sont partisans d’un grand Israël annexant la Cisjordanie et Gaza, grand Israël débarrassé par tous les moyens de la population palestinienne. Ces deux partisans sont les héritiers du rabbin Meir Kahane, interdit par la Cour suprême israélienne en 1988 de se présenter aux élections pour cause de racisme et d’attitude antidémocratique.

Depuis la formation de ce gouvernement, Netanyahou a déclaré une guerre civile juridique afin de débarrasser le pays du toute forme de contrôle de l’exécutif par la Cour suprême. C’est la deuxième raison de mon sentiment de honte. Depuis le tout début de 2023, des manifestations hebdomadaires ont rempli les rues et places du pays de dizaines, puis de centaines de milliers de citoyens s’opposant à ces manœuvres. Mois après mois s’est poursuivie cette véritable guerre civile entre le gouvernement et des citoyens qui refusent de vivre dans un régime autocratique sans contre-pouvoirs et sans contrôles, laissant ainsi l’entièreté du pouvoir aux mains d’un groupe d’illuminés aux comportements mafieux et racistes.

Une guerre civile juridique déclenchée par Netanyahou

Les partisans de ces fous de dieu ont eu carte blanche pour importuner, insulter, attaquer, tuer des Palestiniens en Cisjordanie et des Bédouins dans le Néguev. Ils ont détruit leurs cultures et leur bétail, rendant la vie de ces gens de plus en plus invivable. Cette troisième cause de mon sentiment de honte a, inévitablement, provoqué des troubles qui ont nécessité le déploiement de soldats en Cisjordanie pour essayer de maintenir un semblant d’ordre.

Voilà Israël, tout au long de cette année 2023, empêtré dans une guerre civile juridique et concentrant en Cisjordanie l’essentiel de sa préoccupation sécuritaire. Sans comprendre ce que ses humbles soldates et soldats voyaient se dessiner à la frontière sud, à Gaza. Mais on leur a intimé de ne pas déranger les hauts gradés avec ces enfantillages du Hamas jouant à préparer une guerre. C’est la quatrième raison de mon sentiment de honte. Des distances hiérarchiques, pour ne pas dire bureaucratiques, ont été installées dans cette armée de citoyens qu’avaient été les Forces de défense d’Israël (Tsahal). Dans cette armée, les ordres d’un commandant à la tête de ses troupes ne se discutaient pas, mais les avis d’un soldat (ou d’une soldate) n’y étaient pas écartés d’un revers de main.

Ainsi vint la guerre, perdue dès le premier jour. Sauf que ce tout petit pays ne peut pas se permettre de perdre une guerre. Il est entouré quasi exclusivement d’ennemis mortels. Par mortels, j’entends exactement cela : mortels. Il ne s’agit pas d’une métaphore. Le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houtis au Yémen, des milices en Syrie et en Irak. Et plus loin l’Iran, bien décidé à débarrasser le monde islamique de cette purulence insupportable de Juifs libres et non soumis. Ah, si avec l’aide d’Allah on pouvait tous les passer au fil de l’épée ! L’Égypte, la Jordanie, certains pays du Golfe, l’Arabie saoudite ont progressivement évolué dans leur réflexion, en finissant par accepter que cette infime portion de territoire non musulman ne menaçait ni leurs immenses étendues ni leurs populations nombreuses, ni leurs richesses.

Des millitants d'extrême -droite tiennent des pancartes sur lesquelles on peut lire "Libérez nos soldats héroïques" lors d'une manifestation contre une enquête sur les sévices infligés à un détenu palestinien par des soldats réservistes de Tsahal.

Seule l’éradication du Hamas pourrait atténuer l’horreur ressentie par les Israéliens le 7 octobre 2023. Ce n’est qu’en éliminant le Hamas que les Israéliens pourraient, à terme, retrouver le sommeil la nuit. Mais la destruction du Hamas au sein d’une bande de Gaza densément peuplée, où rien n’a été prévu par le Hamas pour protéger la population en cas de guerre, devait inévitablement entraîner de très lourdes conséquences. La destruction du Hamas devait aller de pair avec la destruction de Gaza. Ce n’est pas un miracle, mais bien un reste de décence et de respect de soi-même de la part de l’armée israélienne qui explique pourquoi il y a relativement peu de morts dans une guerre aussi terrible qui dure depuis dix mois. Car parmi les morts que le Hamas chiffre à 40.000, il y a au moins 15.000 à 20.000 combattants du Hamas. Qu’Israël soit critiqué pour avoir ordonné des déplacements de population (dont le seul but est d’éviter des morts inutiles, ce qui explique qu’il n’y ait eu beaucoup plus de morts) fait partie de choses de la vie ; quoi qu’Israël fasse, la critique fusera. L’autre conséquence terrible de cette guerre est qu’elle met la destruction du Hamas au-dessus de la libération des otages. Tout en essayant de comprendre cette hiérarchie, c’est une cinquième raison de mon sentiment de honte.

Des parlementaires honorent des tortionnaires

Il y a au sein de Tsahal toutes sortes d’hommes et de femmes. Il semblerait que des soldats affectés à la surveillance de terroristes du Hamas, détenus dans une base militaire en Israël, se soient autorisés à infliger des sévices et à torturer certains détenus. Voilà une sixième raison d’avoir ce sentiment de honte. Mais il y a pire. Neuf soldats suspectés de ces faits ont été arrêtés, et transférés dans une autre base militaire. Des partisans des fous de dieu ont crié au scandale, ont forcé les portes de cette base et ont essayé de libérer les suspects en les célébrant comme des héros. Il y avait parmi ces assaillants des membres du Parlement israélien. Comment ne pas avoir honte de ce spectacle, au milieu d’une guerre où Israël joue la survie de sa population ? C’est la septième cause de mon sentiment de honte. Cette honte, que je n’avais jamais ressentie jusqu’à présent, ne m’empêche pas de rester sioniste en diaspora. Je crois que les Juifs ont lutté pour la création d’Israël, son développement et son essor. Je crois que les Juifs israéliens, autant que les Arabes israéliens, qui constituent l’armée israélienne, n’ont pas eu d’autre option que de mener toutes les guerres que ses ennemis les ont obligés de mener. Je crois que des territoires annexés sont une conséquence malheureuse de ces guerres non voulues, et du refus de ses ennemis de signer la paix. Car le principe de paix contre des territoires a été admis par Israël, comme lorsque la paix avec l’Égypte permettait la dévolution du Sinaï. Je crois par-dessus tout que la destruction d’Israël ne résoudrait aucun des problèmes du monde.

Je crois aussi que les Palestiniens méritent la création de leur propre État. Mais si cet État n’existe pas encore, ce n’est pas Israël qui en est le seul responsable. Les dirigeants palestiniens ont, les uns après les autres, pris des décisions désastreuses qui ont conduit à la situation actuelle. J’aspire à voir un jour des dirigeants palestiniens refuser la destruction d’Israël. J’aspire à voir un jour des dirigeants israéliens refuser que les Palestiniens restent des réfugiés éternels. J’aspire à voir un jour Israël débarrassé des fous de dieu et de Netanyahou. Je crains de ne pas voir mes aspirations devenir réalité de mon vivant.

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Douenias Giacomo
Douenias Giacomo
7 heures il y a

Ce dont vous devriez avoir honte c’est d’avoir pondu un tel ramassis de contre vérité et de clichés anti-Bibi. Pour un peu, je vous accuserai d’avoir pris la relève d’Elie Barnavi. Mais je ne le ferai pas car vous le prendriez comme un compliment…

Oser écrire qu’un gouvernement israélien, démocratiquement élu, cherche à saper avec obstination les fondements de l’Etat de droit et de la démocratie est une manifestation évidente de l’ignorance dont vous êtes capable :

Sachez que les fondements de l’Etat de droit ont été sapés par la réforme voulue et orchestrée par le Juge/Président de la Cour Suprême Aharon Barak, dans les années 90. Celui-ci a (comme le dit si bien Pierre Lurçat) élargi sans aucune limite l’application du critère de raisonnabilité en le transformant en moyen de contrôle par la Cour Suprême de n’importe quel acte ou décisions de l’Administration, mais aussi du gouvernement et des ministres, de l’armée, etc…Cet élargissement disproportionné est contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

La coalition actuelle cherche, avec raison, à restreindre cette absurde interprétation exagérée du critère de « raisonnabilité » .
Cette volonté de restreindre les pouvoirs de juges non-élus figurait dans le programme du Likud, programme pour lequel il a été élu.
Alors, ne parlez surtout pas de démocratie car vous en avez une conception étrange..

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