Israël / Hamas : à l’extrême gauche, des ambiguïtés coupables

Laurent-David Samama
D’ores et déjà critiquées, les ambiguïtés de Jean-Luc Mélenchon et de ses camarades de LFI sur le terrorisme, l’antisémitisme et Israël sont devenues incontournables depuis l’attaque du Hamas envers les civils israéliens. Elles menacent désormais de faire exploser l’union de la gauche.
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Après le choc, l’heure est aux condamnations… et aux tergiversations ! Suite à l’incursion, le 7 octobre dernier, des troupes terroristes du Hamas en territoire israélien, la gauche peine à parler d’une seule voix. Pire, l’incapacité pour certaines de ses composantes de qualifier le Hamas d’organisation terroriste pourrait bien compromettre, durablement, les chances politiques de l’union de la gauche en France. Derrière ces prises de position pour le moins alambiquées, comment ne pas voir les ambiguïtés coupables de mouvements qui, à dessein, n’éclaircissent jamais leur ligne sur des sujets aussi sensibles que l’antisémitisme, les Juifs et Israël ? Les observateurs attentifs comme les lecteurs de Regards savent depuis longtemps comment ce fond d’antisionisme maladif est devenu un faux-nez de l’antisémitisme. Et la Palestine ce puissant aphrodisiaque révolutionnaire.

En se prolongeant indéfiniment, le conflit israélo-palestinien remplit dès lors une fonction à gauche. Il fait de la Palestine un ailleurs mythifié, un territoire de lutte exotique, régénérant par la même occasion autant de folklore gauchiste que de volonté de se démarquer, de se distinguer, en voulant surtout paraître le plus radical possible. Israël, de son côté, est devenu un vaste impensé. Il n’est jamais plus qualifié que comme état oppresseur, colonisateur, vassal des États-Unis. Jamais plus étudié, exploré alors même qu’il existe en son sein une large tradition contestataire ainsi qu’une opposition frontale, fervente, à la politique menée depuis des années par Benjamin Netanyahou. Et peu importe si ses fondations doivent beaucoup aux forces de gauche. Si le sionisme est et demeure – qu’on le veuille ou non – une force de progrès. En off, un ancien premier ministre issu des rangs du Parti socialiste déplore que ses camarades aient abandonné leurs liens avec les Travaillistes israéliens. « Nous étions en contact constant. Toutes ces rencontres produisaient un débat fécond. Cela n’existe plus aujourd’hui alors que ce serait plus utile que jamais… ».

Quand la gauche radicale roule pour le Hamas

Le Hamas comme objet d’attraction plutôt que de répulsion… En la matière, le tragique mois d’octobre que nous venons de traverser laissera des traces. Tandis que la France insoumise renvoie dos à dos Israéliens et Palestiniens par l’intermédiaire d’une Mathilde Panot refusant expressément de qualifier le Hamas de mouvement terroriste dans une conférence de presse lunaire, de nombreux partis et organisations sur sa gauche ont souhaité aller plus loin et plus fort dans leur positionnement. C’est ainsi que très rapidement après avoir été spectateur des crimes du Hamas, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), par voie de communiqué de presse, annonce qu’: « il ne se joint pas à la litanie des appels à la désescalade », et préfère lancer « un appel à l’organisation rapide de mobilisations de soutien au peuple palestinien ». « Cette fois-ci l’offensive est du côté de la résistance », semble se réjouir le parti de Philippe Poutou qui conclut sans honte son communiqué par le mot « Intifada ». Et le NPA, bien que minoritaire, n’est pas seul sur cette position. Comme si la volonté pogromiste et les discours répétés par les troupes du Hamas de s’en prendre à des « Juifs » plutôt qu’à des « Israéliens » n’avaient pas été entendus. Ou peut-être furent-ils sciemment mis de côté… En tout état de cause, le groupuscule anarchiste Action antifasciste Paris-Banlieue a, lui, choisi son camp : « Face aux événements actuels en Palestine, on ne peut que se ranger du côté de la résistance palestinienne », clame-t-il sur le réseau social X. Quant au collectif Révolution permanente, il défend une ligne qui semble valider toutes les ignominies : « La résistance face à l’oppression et au colonialisme n’est pas du terrorisme ! » Dans un long article semblant se féliciter de l’audace et du courage du Hamas face au « tout-puissant » Israël, on lit ce qui sonne comme un appel jubilatoire à poursuivre, voire à étendre partout le combat : « Ce qui se passe en Palestine est historique et pourrait donner confiance aux peuples et aux travailleurs de la région pour se battre contre l’oppression du colonialisme israélien. » Rien de nouveau sous le soleil pourrait-on dire. Car à la différence des autres composantes de la gauche française, la gauche extrême se caractérise par un soutien fervent et renouvelé à la cause palestinienne, doublé d’un rejet systématique d’Israël perçu comme colonisateur et État d’apartheid. Dès lors, pour le combattre, toutes les options sont perçues comme légitimes, y compris l’importation du conflit sur notre sol avec tout le risque des dérives antisémites qu’elle comporte. « Que la Résistance palestinienne qui mène son action avec détermination et confiance dans des conditions héroïques reçoive en ces heures terribles toute notre fraternité militante. La Palestine vaincra, et sa Victoire sera la nôtre », écrit le Parti des Indigènes dimanche 9 octobre sur le réseau social X.

La fin programmée de la Nupes

Si la radicalité qui s’exprime en ce mois d’octobre 2023 au sein des groupuscules de la gauche radicale n’a rien de nouveau, ni dans son expression ni dans son aspect « réflexe », elle pourrait bien engendrer des dommages irréversibles du côté de la France insoumise. Déjà en perte de vitesse et en proie à de grandes divisions en interne, Jean-Luc Mélenchon clive ici une fois encore et choque une partie de ses troupes, de ses cadres, de son électorat. Aux fidèles Bompard, Chikirou et Panot, s’opposent à présent d’autres insoumis historiques souhaitant ne rien laisser passer aux terroristes. C’est notamment le cas de François Ruffin qui, sorti du bois dans une courageuse interview accordée au journal Le Monde, s’oppose frontalement à la ligne de son Lider Maximo : « L’horreur devant des femmes, des enfants abattus à bout portant, des jeunes dansant assassinés, des massacres chaque jour découverts, par familles entières. Que d’atrocités, de cruautés, qu’on n’oserait même pas imaginer. Et maintenant, la violence qui s’abat à Gaza, ces 2,5 millions de personnes auxquelles l’on conseille de partir, comme si elles avaient une terre d’accueil. Je condamne sans réserve les actes du Hamas. C’est une organisation fanatique, terroriste, qui a toujours été l’adversaire des progressistes au Proche-Orient, hostile à tout compromis de paix, qui veut la fin de l’État d’Israël. » Les mots sont clairs. Et ils le sont tout autant lorsqu’il s’agit de corriger la ligne du parti et les déclarations problématiques de Mathilde Panot : « Pas de pudeur de gazelle. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement : samedi, le Hamas a commis des abominations. On doit mettre des mots forts sur des actes horribles, sinon notre parole est discréditée, moquée, enlisée dans des justifications byzantines et pas à la hauteur de la gravité des événements. Nous ne sommes pas le point de repère politique, diplomatique, moral, que nous devrions être. »

Désormais, au sein de la France insoumise, la fracture semble nette et les camps bien définis. Chaque jour un peu plus, les frondeurs François Ruffin, Alexis Corbière et Clémentine Autain sortent du bois. Certains se préparent évidemment pour les prochaines élections européennes, d’autres savent qu’ils jouent la suite de leur carrière en politique… En off, au sein même du parti, des voix s’élèvent : « Il faut garder le meilleur, le Mélenchon théoricien, dont la voix porte dans les quartiers populaires, achève un membre de la direction de LFI. Mais il doit être remplacé. » Le contraste s’avère immense avec la dynamique post-présidentielle, qui voyait Mélenchon occuper la place de caïd au sein d’une gauche divisée. Son leitmotiv d’alors, l’union de la gauche inondait les rues d’affiches figurant un visage barré d’un slogan : « Mélenchon Premier ministre ». Ce temps-là semble lointain, révolu. Depuis, le leader insoumis s’est marginalisé, à coups de déclarations et de positions radicales – « son anti-américanisme pose problème, sa faculté à toujours excuser la Russie comme dans un contexte de guerre froide aussi », tonne un ténor du Parti socialiste –, de comparaisons à l’emporte-pièce (Roussel, chef du PCF, comparé au collabo Doriot) jusqu’au refus de qualifier l’attaque du Hamas de « terroriste ». D’ailleurs, peu à peu, les partenaires de la Nupes s’écartent avant de quitter le navire. « Le problème n’est pas la Nupes, mais la méthode Mélenchon », estime Olivier Faure, le patron des socialistes, dans Paris Match. La division est telle que ce dernier a demandé il y a peu un moratoire sur la participation du PS au sein de l’alliance. Le Parti communiste français de Fabien Roussel a également officiellement pris ses distances, dimanche, qualifiant la Nupes d’« impasse » et appelant à « un nouveau Front populaire ». Une façon policée d’acter un divorce et une antipathie profonde pour la personnalité de Jean-Luc Mélenchon. Du côté écolo enfin, en dépit d’une volonté d’union, on s’épuise aussi. Tout en mettant les formes, Cyrielle Chatelain, leur présidente du groupe à l’Assemblée, a dit et répété qu’il fallait rompre avec « la culture du chef ». Le sous-entendu est clair. Le passif était déjà lourd. Il aura fallu attendre une nouvelle explosion de haine au Proche-Orient pour que l’union de la gauche explose en France…

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Daniel Donner
Daniel Donner
5 mois il y a

Est ce cela la gauche? Ou sont leurs ideaux? Inventer des palestiniens opprimes pour se rattacher a des ideaux qu ils ignorent? Je ne cesse de me rappeler ce qu’Herbert Pagani m avait dit lors de la premiere guerre du Liban à propos des critiques d’Israel: ce n’est pas cela la gauche. Lamentable.

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