Chver Tsu Zayn a (Nischt) Yid

Joel Kotek
« Il est dur d’être juif ». Assurément ! Depuis le Moyen-Age, sinon l’Antiquité, ce petit peuple qui constitue à peine 1/500e de l’Humanité se trouve accusé des pires infamies. Hier, on lui prêtait d’être l’agent de la peste, aujourd’hui du Covid-19, comme l’a épinglé tout récemment le génial caricaturiste Kroll.
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N’en déplaise à mon confrère Henri Goldman, qui me reproche de diviser « le racisme en tranches et à n’en combattre qu’une partie en occultant les autres », la crise du coronavirus illustre à l’envi le caractère unique et inextinguible de la haine antisémite. A l’en croire, pourtant, « les musulmans ont depuis le 11 septembre, largement dépassé les Juifs comme l’incarnation du Mal ». Si c’était objectivement le cas, comment comprendre que les Juifs qui sont désormais quantité négligeable constituent statistiquement les premières victimes des violences de haine ? Comment encore expliquer que seuls leurs centres communautaires, leurs écoles, leurs mouvements de jeunesse soient l’objet d’une surveillance policière quotidienne ?

Si je ne saurais donner tort à Goldman lorsqu’il souligne qu’« un puissant imaginaire antisémite cohabite en Occident avec un imaginaire islamophobe depuis les croisades et un imaginaire négrophobe depuis la deuxième traite négrière au 15e siècle », il me faudra souligner (non sans audace) que cet imaginaire troublé n’est sans cause. Il existe un réel contentieux entre chrétiens et musulmans depuis l’apparition de l’islam au 7e siècle de l’ère chrétienne. Le massacre en juillet 1099 des Juifs et des musulmans de Jérusalem s’inscrit dans une séquence qui commence par la destruction, en octobre 1009, de l’église du Saint-Sépulcre par le Calife fatimide al-Hakim bi-Amr Allah dit le fou. Du Maroc à la Bosnie, l’islam s’est imposé dans des territoires autrefois majoritairement chrétiens et partiellement juifs.

Quant à l’Occident chrétien, il n’a pas été en reste de violences extrêmes, des croisades aux aventures coloniales. Au regard de ces massacres mutuels, l’antisémitisme, qui aboutit à la destruction de 70% des Juifs européens, apparaît totalement gratuit et incompréhensible et ce, bien entendu, hors la haine du Père.

Contrairement aux chrétiens et aux musulmans, les Juifs n’ont converti aucun peuple de force, organisé aucune crois(s)ade, déporté aucun peuple africain par millions vers le Maghreb et les Amériques et, pour parler de notre présent, créé aucune organisation terroriste comparable à la confrérie des Frères musulmans, à Al-Qaeda ou encore Daesh. Les Protocoles des Sages de Sion sont un mythe, pas feue l’anticommuniste, antisémite et antimaçonnique charte du Hamas. C’est bien la gratuité, l’innocence totale des accusés qui caractérise la judéophobie passée comme contemporaine.

En témoigne, à l’insu de son plein gré, la toute dernière divagation du Me Jean-Marie Dermagne. Après avoir posté sur sa page Facebook l’infox d’extrême droite selon laquelle les Rothschild contrôlaient les principales banques centrales mondiales, le voilà qui utilise la crise du coronavirus pour vanter, d’abord, la supériorité de la Chine communiste sur l’Occident et, ensuite, salir une nouvelle fois cet Etat des Juifs qu’il semble exécrer par-dessus tout. Le 24 avril dernier, arboré d’un masque anti-Covid aux couleurs de la Palestine (sic), notre directeur de recherches de l’Université catholique de Louvain révélait urbi et orbi, une nouvelle fois sur sa page Facebook, qu’« aux USA, le corona tue surtout des noirs. Sous l’occupation israélienne, des Palestiniens ». Belle et nouvelle infox que voilà : outre que le Covid-19 n’a fait que très peu de morts en Israël (266 décès au 15 mai dernier contre plus de 9.000 pour notre pays), il se trouve que les victimes se trouvent être majoritairement âgées et/ou issues des communautés orthodoxes (juives). Et s’agissant des Territoires palestiniens, le moins qu’on puisse dire est qu’à ce jour, l’épidémie semble parfaitement maitrisée. Gaza ne comptait, à la date du 24 mai, qu’un seul décès contre quatre pour la Cisjordanie, soit soixante fois moins qu’en… Israël.

La crise du coronavirus démontre que, contrairement à ce que pense M. Goldman, l’antisionisme radical tient bien moins de la politique que de la maladie mentale. Des Rothschild à Agnès Buzyn, de Jacques Attali à George Soros, les principales cibles des thèses conspirationnistes d’extrême droite, d’ultragauche ou encore islamistes restent juives. Cet acharnement n’est pas sans conséquences. J’en veux pour preuve la toute récente et absurde cabale lancée contre le caricaturiste Kroll, auteur d’une caricature dénonçant avec brio les ressorts antisémites de la crise sanitaire. Contre toute logique, celle-ci n’a pas été comprise. En ces temps troublés où la passion l’emporte sur la raison, l’art de la caricature apparaît d’une trop grande subtilité. « Es iz a mol shver nisht tsu zayn keyn Yid » (il est parfois dur de ne pas être juif).

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