L’Edito – La ruche de l’amnésie lettone

Nicolas Zomersztajn
Grâce à la mobilisation à laquelle Regards et le CCLJ ont pris part aux côtés d’associations et de personnalités juives et non-juives, la commune de Zedelgem (Flandre occidentale) a décidé le 31 mai dernier de démanteler le monument qu’elle avait érigé en 2018 en mémoire des 12.000 combattants SS de la Légion lettonne incarcérés dans le camp de prisonniers britannique du Vloethemveld entre 1945 et 1946.
Zedelgem – ruche lettonne – SS lettons
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Ne gâchons pas notre plaisir de célébrer cette victoire d’autant plus qu’en ce domaine, elles sont rares. Restons toutefois vigilants car depuis que le monument de la « ruche lettonne pour la liberté » a été placé dans un hangar inaccessible au public, le gouvernement letton ne cesse de faire pression sur les gouvernements belge et flamand pour que la décision de la commune soit invalidée. L’intervention de l’ambassadeur letton n’est d’ailleurs pas dépourvue d’efficacité puisque le Ministre-Président flamand, Jan Jambon (N-VA) a demandé à la bourgmestre de Zedelgem de ne pas statuer sur le sort définitif de la ruche lettonne avant la fin de l’année !

Loin d’être dérisoire, l’affaire du monument de Zedelgem témoigne de manière brutale de la difficulté pour certains pays européens de concilier récit national victimaire et vérité historique. Dans le cas letton, la mémoire en est réduite à un champ de bataille où les SS lettons sont considérés comme des héros, des combattants de la liberté ayant lutté avec bravoure contre les Soviétiques. Et ce, peu importe qu’avant d’intégrer la Légion lettonne SS, un nombre considérable de ses combattants ont servi dans des unités SD (service de sécurité de la SS) et des bataillons de police ayant activement participé à l’extermination de civils et des Juifs de Lettonie.

Même si ce révisionnisme d’Etat dépasse la question de la Shoah et porte surtout sur le passé communiste, les Juifs sont hélas omniprésents dans ce nœud mémoriel. Toutes les initiatives lettonnes tendent à estomper, si ce n’est effacer la participation de SS lettons dans l’extermination quasi-totale des quelques 70.000 Juifs présents en Lettonie en juin 1941. Cette minimisation du rôle des Lettons dans la Shoah est systématiquement suivie de la dénonciation des crimes communistes, présentés comme pire que ceux du nazisme. Cette stratégie peut être redoutablement efficace car elle suscite la sympathie due aux victimes d’un totalitarisme et fait taire la critique juive sur les crimes lettons lors de la Shoah.

Au lieu de considérer comme « inacceptable » le démantèlement d’un monument honorant la mémoire de combattants ayant appartenu à une organisation criminelle, l’ambassadeur de Lettonie ferait bien de s’interroger sur le passé sombre de son pays. Quant aux démocrates européens, ils devraient demander aux Lettons s’ils comptent enfin exorciser leurs démons et non pas les conforter dans leur rhétorique victimaire comme l’a fait le porte-parole du Ministre-Président flamand lorsqu’il a déclaré que « Si la Lettonie est contrariée, c’est à nous d’écouter et de voir si nous pouvons évacuer cette agitation ».

Cette question mémorielle est cruciale car la réconciliation des mémoires figure au cœur de l’histoire de l’Union européenne, dont la Lettonie est membre depuis 2004. La meilleure manière d’accompagner les Lettons dans cette quête de vérité historique sur leur passé douloureux est de leur rappeler que nos pays sont passés par cette étape douloureuse de la confrontation avec un passé qui ne passe que difficilement. A cet égard, l’exemple allemand doit être constamment rappelé : la République fédérale d’Allemagne a compris que pour forger une conscience démocratique, elle devait se confronter collectivement et individuellement à toutes ses responsabilités du passé. Cela a pris du temps mais la tâche est largement accomplie aujourd’hui : les Allemands ne nient pas leur passé nazi et n’érigent pas de monument en mémoire des combattants du Troisième Reich, qu’ils fussent soldats de la Wehrmacht ou SS.

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