Regards n°1093

Israël, Etat de l’exil !

La première Knesset a été élue le 25 janvier 1949. Un long débat s’ensuit entre les partisans de la promulgation immédiate d’une constitution et ceux qui pensent qu’il ne devrait pas y avoir de constitution ou, à tout le moins, que le moment n’est pas encore venu. La Knesset a adopté un compromis le 13 juillet 1950 en transférant les pouvoirs constituants aux Knesset suivantes. Connue sous le nom de « résolution Harari » du nom de son le député libéral Yizhar Harari, elle prévoit que la constitution sera construite chapitre par chapitre, de telle sorte que chacun d’entre eux constitue une loi fondamentale distincte.

La première Knesset a été dissoute sans avoir promulgué un seul chapitre de la constitution. Celles qui ont suivi ont malgré tout promulgué onze lois fondamentales portant sur les pouvoirs des organes de gouvernement et les droits de l’homme. Plus de 70 ans ont passé et la résolution Harari est toujours en vigueur. Le provisoire est devenu définitif. Pourquoi cette anomalie constitution alors qu’une constitution remplit des fonctions et des objectifs fondamentaux pour une démocratie ?

Dans son dernier essai, Danny Trom, sociologue et directeur de recherches au CNRS, mène une réflexion stimulante sur cette question. Comme aucun penseur ni dirigeant sioniste n’a sérieusement pensé la question de l’Etat même si paradoxalement Herzl avait intitulé son manifeste L’Etat des Juifs, ce seront les circonstances qui les contraindront à créer un Etat : l’hostilité extérieure et la conjoncture qu’elle suscite impose la création d’un Etat pour les Juifs. « L’Etat s’est imposé comme une contrainte », insiste Danny Trom. « Il sera créé de toutes pièces par la voie diplomatique et les Juifs finiront par le peupler par nécessité parce qu’ils seront persécutés et chassés d’Europe. Ma conclusion, c’est que l’Etat d’Israël n’est pas un Etat-nation. Il n’est pas né de la volonté d’un peuple de se donner un Etat, mais s’inscrit dans la logique de la recherche d’une solution politique pour une minorité persécutée. Il ne découle pas du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais plutôt du droit des minorités à la protection. Or, le rapport de protection conduit l’Etat à demeurer extérieur au peuple. Non pas un Etat juif, un Etat qui représenterait le peuple juif, mais un Etat « pour les Juifs », un Etat donné de l’extérieur afin qu’il remplisse sa fonction protectrice ».

Une nation incomplète

Si les dirigeants israéliens ont renoncé volon­tairement et provisoirement à se donner une constitution, c’est qu’ils estimaient que ce n’était pas le moment de le faire car des vagues migratoires encore importantes étaient attendues. Ils se contentaient de voter des lois fondamentales en attendant que la nation soit au complet. Mais les dirigeants israéliens n’ont pas indiqué quand le bon moment viendra ! Jamais ? On peut le déduire logiquement car que le peuple juif ne sera jamais réuni au complet en Israël. « Les députés de la Knesset se sont aliéné leur pouvoir constituant au nom d’un sujet constitutionnel qui ne pourra jamais être complet », en conclut Danny Trom. « Volontairement, l’Etat d’Israël ne se définit pas car il se pense dans une relation de dépendance envers les Juifs de diaspora, considérés comme des citoyens à venir. Or, le renoncement à adopter une constitution procède du constat perpétuel, et non pas provisoire, que le sujet constitutionnel n’est pas complet étant donné qu’il y a toujours des Juifs en diaspora. Cette incomplétude est structurelle. Jamais la Knesset ne se réunira un jour en se disant “nous sommes au complet !”, parce que par définition, selon le schème de l’exil, les Juifs sont à l’extérieur de l’Etat. Il peut y avoir étatisation de Juifs, ce sont les juifs israéliens, mais l’étatisation moderne d’un peuple exilé est impossible ».

Ce « provisoire définitif » a plus ou moins fonc­­tion­­né pendant des décennies mais est devenu inadaptée aux besoins d’Israël et la nécessité de se définir constitutionnellement n’a jamais été aussi urgente. Une constitution établira formellement la double nature d’Israël, juive et démocratique, et garantira son unité politique et démocratique en protégeant les libertés et les droits fondamentaux de tous ses citoyens.  

Écrit par : Véronique Lemberg

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