La scène, méconnue, se déroule fin 1994. Après deux septennats Mitterrand, le parti socialiste se cherche un candidat pour porter ses couleurs à la présidentielle de 1995. La victoire peut-elle encore choisir le camp de la gauche alors que la droite est donnée grande favorite ? L’espoir est mince mais il est permis. D’autant plus que le PS possède, dans ses rangs, la fine fleur d’une génération qui a déjà gouverné et gouvernera encore, quelques années plus tard… Les appétits s’aiguisent logiquement. Longtemps annoncé candidat, Jacques Delors qui a les faveurs de l’opinion, désarçonne son monde en annonçant qu’il ne se lancera finalement pas. Qui, alors, pour sauver l’honneur ? Qui pour porter les idéaux de la gauche ? Les discussions vont bon train. Rocard ? Il aurait été naturellement le premier choix mais il a été consciencieusement torpillé par son ennemi intime Mitterrand au point d’être disqualifié. Fabius ? Il se déclare lui-même « hors course » du fait de l’affaire du sang contaminé. Du côté de Solférino, le siège historique du PS, on se perd en conjectures : « Et si c’était Jack Lang ? », se demande le journaliste François Bazin… Et si c’était Pierre Joxe ? Pourquoi pas Badinter ? Valse des noms, valse des étiquettes.
Alors qu’approchent les fêtes de fin d’année, les derniers mécaniciens d’une gauche morcelée comme jamais cherchent la martingale qui pourrait encore les sauver. Badinter justement… Puisqu’il incarne hauteur de vue et progrès, puisque sa stature est incontestable et son prestige immense à gauche depuis qu’il a obtenu l’abolition de la peine de mort, on l’envisage comme le digne successeur de Mitterrand. On rapporte d’ailleurs que le Président sortant, consulté, est favorable à la manœuvre. Il faut dire que depuis plusieurs décennies, Badinter et lui sont amis. Dans le secret, on se prépare donc à proposer à l’ancien Garde des Sceaux la fonction si convoitée de candidat présidentiel sous la bannière socialiste. Quelques émissaires préparent leur argumentaire. Ils usent et abusent de respectueuses formules de politesse et de flatteries bien senties. Badinter les écoute patiemment. Il est flatté qu’on ait pensé à lui mais réserve finalement sa réponse. C’est que, loin du caprice de diva, l’homme est bien trop conscient de la charge qu’implique une candidature présidentielle. Depuis le long combat mené pour l’abolition de la peine de mort, il sait en effet combien l’exposition qu’implique ces moments de délire médiatique est difficile à gérer. Les insultes, les pressions, les menaces de mort furent nombreuses. Alors Badinter réfléchit. Plusieurs jours au moins. Puis il décline finalement la proposition pour laisser le champ libre à un candidat plus jeune, dont il estime la compétence : Lionel Jospin.
« Jamais, jamais, je ne me suis pensé en candidat à la présidence de la République »
Robert Badinter
Un faisceau d’indices laisse plutôt penser que la crainte d’un déferlement d’antisémitisme consécutif à une éventuelle candidature l’aurait découragé à briguer l’Elysée.
Une loi non-écrite
Les historiens l’ont maintes fois expliqué : au-delà du contexte politique et social de l’époque, ce qui avait successivement contribué à scier la branche de Blum et de Mendès France, c’était la force du préjugé antisémite qui avait poursuivi partout ces deux hommes depuis leur accession aux affaires… Autrement dit, on les jugeait doublement : pour leur politique et pour leurs origines, parce qu’ils étaient de gauche contextuellement et juifs essentiellement… D’aucuns en auraient, dès lors, tiré une loi non-écrite : impossible de diriger la France quand on est juif car le fardeau serait trop lourd à porter. On a ainsi longtemps pensé qu’être juif constituait un désavantage trop marqué pour accéder à l’Elysée. Il en allait du candidat juif comme d’autres minorités : la majorité ne pouvait pas voter pour un israélite comme elle n’était pas prête non plus à élire une femme. La situation serait-elle en train de changer ?
Sans être catégorique, on peut penser que la différence se fait désormais moins sentir. Que le cadre politique, puisqu’il a largement implosé et changé, peut désormais laisser plus de place à des femmes puissantes (de Ségolène Royal à Marine Le Pen en passant par Valérie Pécresse), à des jeunes (Emmanuel Macron n’est-il pas le plus jeune président de la Cinquième République ?) en attendant l’irruption de profils issus de la diversité. Voilà qui nous interroge sur ce que les français appellent de leurs vœux comme incarnation présidentielle et, accessoirement, si un juif peut se glisser dans le costume ? Mère de toutes les élections, la présidentielle constitue, en France, un exercice d’équilibriste. Pensée par et pour le général de Gaulle comme « la rencontre entre un homme et la nation », elle constitue tout autant un marathon qu’une course effrénée, prend la forme d’une épreuve physique et mentale, d’un combat d’idées et de programme mais aussi d’une quête effrénée d’image. Etre président, c’est incarner la France pendant cinq ans. C’est s’installer sous les ors d’un palais – l’Elysée – dans un fauteuil aux allures de trône. C’est ainsi devenir un monarque républicain dans un pays qui fantasme, à intervalles réguliers, de couper la tête de son souverain. Une tâche évidemment ardue, voire impossible. Voilà pour la nature du poste. Reste une ombre immense qui plane au-dessus de la fonction, telle une incarnation grandiose et indépassable, celle de Charles de Gaulle.
Historiquement, c’est le premier des Résistants qui donnera sa stature au rôle de « premier des Français ». Son exercice de la présidence correspond aux qualités qui sont les siennes : intense, résolu et empreint de noblesse ! Sous son action, d’honorifique, la fonction présidentielle est devenue désirable. De Gaulle a formaté la présidentielle à son image. Il a mis un point d’honneur à rencontrer le peuple, à faire corps avec lui, l’épousant au point que son patronyme se confondait avec son appellation géographique antique, la Gaule… Dans l’imagerie populaire, Charles de Gaulle est certainement plus que le « premier des Français » : il est le premier des Gaulois ! Un candidat juif peut-il parvenir à se glisser dans cet imposant costume ? La question mérite d’être posée. Et la réponse n’est peut-être pas si négative que cela.
De DSK à Zemmour
Le Président de la République est donc un visage. Et ce visage doit raconter la globalité du pays, son esprit, son essence. Tous les cinq ans, lorsque le petit cirque présidentiel reprend ses droits, on voit ainsi les candidats s’adonner à un petit jeu curieux : depuis Paris, ils vont tous battre la campagne, au sens propre comme au sens figuré. Comme un seul homme, ils délaissent momentanément l’Assemblée Nationale et les plateaux de télé de la capitale pour aller « en régions », conquérir la province et ses fameux « territoires ». Au programme, le même périple qui rendit jadis Jacques Chirac mythique aux yeux de l’opinion : tâter le cul des vaches, tailler le bout de gras avec les paysans locaux, gouter les spécialités du cru et serrer des paluches à n’en plus finir. Si de Gaulle a dessiné les institutions à son image, la terre ne ment pas : il demeure dans l’hexagone une volonté de plaire sinon de correspondre au profil classique du terrien solidement ancré dans une lignée historique et géographique. Cela porte à conséquence… Un profil juif, cosmopolite et urbain par essence peut-il incarner ce rapport charnel au territoire ? Tout dépend de ce que l’on entend par ancrage. Les plus optimistes se souviendront qu’à l’orée de la présidentielle 2012, Dominique Strauss-Kahn aurait pu changer la donne et le modèle tant il plaisait à la majorité, en dépit de sa judéité. Symbole d’une gauche moderne, DSK avait alors toutes les cartes en mains pour plaire au-delà de son camp et à toutes les strates de la société française. Pour la première fois, son identité juive était perçue comme une promesse de vivre-ensemble. Son bilan à la tête de Sarcelles, ville multiculturelle de banlieue parisienne, plaidait d’ailleurs en sa faveur : il avait su y conjuguer la myriade d’origines ethniques et religieuses pour faire vivre l’idée de vivre-ensemble. Avant d’être définitivement rattrapé par plusieurs affaires judiciaires, DSK était alors aimé et estimé à droite comme à gauche sans que la question juive ne semble freiner ses ambitions présidentielles.
Par la suite, Nicolas Sarkozy, « petit Français de sang mêlé », fera état de son ascendance juive. Des origines régulièrement moquées et montées en épingle par la frange la plus conservatrice d’une droite qui n’acceptera jamais vraiment son profil d’outsider. Il faudra finalement attendre 2022 et Eric Zemmour pour qu’un candidat parle de ses origines juives sans s’en embarrasser outre mesure. Avec toutes les réserves que cela suscite, tous les débordements et les contresens que nous avons largement évoqués ici-même, dans les colonnes de Regards, Zemmour s’affirme juif et parvient à dépasser cette identité pour l’effacer aux yeux d’antisémites qui auraient pu l’éconduire en raison même de cette appartenance. L’impensable s’est ainsi produit dans un curieux retournement : Zemmour déplait aux Juifs de gauche mais il est adoré, à l’extrême-droite, par des xénophobes qui jugent Marie Le Pen trop lisse… Se pourrait-il, en dépit de ses innombrables outrances, que le polémiste ait normalisé notre rapport au présidentiable juif ? Peut-être… D’ailleurs, plus le temps passe, moins la question juive semble être un frein aux candidatures politiques. « The Times They Are a-Changin », prophétisait bien Dylan.
Sur Facebook l actuel président de la fédération sioniste de Belgique prend position au sujet de l élection présidentielle en France
C est un scandale car comme personnage public il engagé la communauté juive de Belgique
Plutôt que de prendre ce genre de position qu il s activé à organiser un évènement pour fêter dignement l anniversaire de l indépendance de l etat d Israël comme l ont fait ses prédécesseurs Spiegel, Benkowski, Jeger et Dan pour ne citer que les principaux.
Et s il n est pas en état de le faire trop occupé par les élections en France qu il cède sa place à plus compétent que lui.
Isaac
Monsieur Mendel,
Pourquoi oubliez vous celui qui nous a emmené en Israël pendant l’intifada du début des années 2000 ?
Est-ce parce qu’il s’agit d’un juif anversois, à savoir Monsieur Francis Weiss actif dans le milieu diamantaire ?
Ma famille et moi même lui seront éternellement reconnaissants car à cette époque nous n’osions plus aller voir notre famille à Jérusalem et c’est après un entretien avec lui au Centre Romi Goldmunz que nous avons pris notre courage à deux mains aidé des sages conseils de feu Jacques Lieber.
Merci Messieurs.
Quant aux dirigeants actuels de la fédération sioniste qu’ils se souviennent de leurs prédécesseurs et de ce qu’ils ont faits ne se mêlant pas, eux, de la politique française qui est un sujet qui ne les concerne pas.
Dorith
Je suis heureuse d’apprendre par la lecture du post d’Isaac que la fédération sioniste de Belgique existe encore. Comme cela fait plus de vingt années que l’on entendait plus rien au sujet de cette institution je pensais que, comme beaucoup d’autres, elle avait cessé d’exister.
A l’époque Madame Aviva dirigeait un magazine écrit d’informations remarquable dont je ne me souviens plus du nom en même temps qu’elle travaillait pour la radio.
Une lectrice ou un lecteur peut il m’indiquer s’il est possible de s’abonner à cette revue et si oui, comment faire.
J’ai téléphoné plusieurs fois au bureau qui était occupé par la fédération mais personne ne répond. Quelqu’un sait il si ce bureau se trouve toujours dans la rue perpendiculaire à la chaussée de Waterloo dont je ne me souviens plus du nom.
Merci pour votre aide
Yona