Déambulations (juives) dans Rome

Henri Raczymow
A l’occasion de la parution du livre d’un ami historien sur la Ville éternelle, un homme se penche sur son passé et fait retour sur une période aujourd’hui un peu lointaine de sa vie.
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On connait la formule de l’écrivain Paul Nizan qui ouvre Aden-Arabie : « J’avais vingt ans ; je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Je partage cette opinion contre-intuitive (pour parler moderne). Mais en 1980 j’en avais trente, et je dirai pourtant la même chose que Nizan. Je trainais ma vie comme petit prof de collège, et c’était désespérant de monotonie et de fatigue. J’avais présenté un dossier de candidature à l’Académie de France à Rome. Un jour, on me téléphona : j’étais reçu. Angoisse, fébrilité, sentiment d’irréalité. Il est des gens, que voulez-vous, tel le personnage d’Alain Souchon, « qui pleure tout l’temps, jamais content ». J’allais séjourner à Rome, à la Villa Médicis, dans un palais louis-quatorzien, payé, nourri, logé, caressé dans le sens du poil. J’allais être la Reine d’un jour. Un jour qui allait durer deux ans. Ma poitrine eût dû se gonfler d’orgueil : la République me reconnaissait écrivain. C’est le contraire qui se produisit : la débandade. Je laissai à Paris mes amis Luc Rosenzweig, Gérard Rabinovitch, Henri Ostrowiecki pour aller vivre au milieu de statues à pied ou à cheval, épées à la ceinture ou non, églises baroques à tous les coins de rues, angelots, cupidons, madones, vierges, saintes, piétas, croix, croix et croix. C’est sûr, je ne serais pas chez moi.

Les venelles juives dont les Juifs avaient disparu

Les premiers jours, j’ai tenté d’apprivoiser la ville. Et d’abord ce qui restait du fameux Ghetto, entre le Portico d’Ottavia, la rue des Boutiques obscures (chères à Modiano), et le Tibre. Ce Ghetto, le plus tardivement aboli de toute l’Europe, en 1870, dont la grande Elsa Morante avait si bien parlé dans son superbe roman La Storia, au centre duquel se trouve la grande synagogue de style, dit-on, « néo-babylonien », édifiée sur les anciennes venelles juives, dont, comme à Venise, les Juifs avaient disparu (avant une époque ultérieure, vouée au tourisme nostalgique, au commerce, aux restaurants casher, à la visibilité Loubavitch…). Mais nous étions encore au tout début des années 1980, et le quartier, du côté de la Piazza delle Cinque Scuole, était morne et désert, sans Juifs. Pour me distraire, j’ai arpenté le Forum, me suis dirigé comme par hasard, comme pour me faire encore plus de mal, vers l’Arc de Titus avec son cortège de butin dérobé dans le temple de Salomon, dont un chandelier à sept branches. Je me souviens de mes fréquentes promenades le long du Corso, plein de belles boutiques et où, selon Montaigne, le jour de Carnaval, les Romains faisaient courir des Juifs dévêtus et copieusement moqués par la populace, pour payer leurs dettes infinies envers les chrétiens. Montaigne nous raconte cet épisode dans son Journal de voyage et ne semble guère s’en offusquer, lui dont la mère était pourtant juive…

Je conserve le souvenir assez précis, quarante ans plus tard, d’une petite famille juive soviétique émigrée de Moscou, la grand-mère qui parlait encore le yiddish, la mère qui le comprenait mais ne le parlait pas, et les enfants, des ados, qui ne le comprenaient ni ne le parlaient. C’était comme chez nous, me disais-je, et comme partout en somme, quelle que soit l’Histoire, la Shoah, ou le stalinisme. Ils apprenaient l’anglais car ils devaient émigrer en Australie. 

La grand-mère était prof de piano, la mère prof de russe. Qui cela pouvait-il intéresser au pays des kangourous ? Ils se le demandaient et moi aussi. Pourquoi étaient-ils partis ? A cause, me disaient-ils, du numérus clausus qui empêchait les enfants juifs d’aller à l’université… Ils me disaient qu’après tout ils n’étaient pas si mal en URSS. Ils partaient pour l’avenir des enfants, voilà tout. C’était l’Agence juive qui les prenait en charge.Mais il n’y avait pas que des choses tristes dans mon séjour. Par exemple, je me suis régalé d’un fameux plat juif romain : les carciofi alla giudea (les artichauts à la juive), de petits artichauts frits. Quant à la Villa Médicis de ce temps-là, elle était un peu comme le vieux Château hanté d’un conte de Perrault : « C’était un silence affreux, l’image de la mort s’y présentait partout ». N’empêche, j’y aurai malgré tout écrit un livre : Rivière d’exil. De ce temps lointain j’ai conservé un ami, historien de l’art de son état, Pascal Bonafoux. Il vient de publier un petit Guide anachronique de Rome (éd. Arléa), léger et divertissant. Je croix que la Ville éternelle nous colle encore à la peau, et que c’est pour toujours.

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Esther Kervyn
Esther Kervyn
1 année il y a

oui, la ville de notre enfance, ou de notre jeunesse nous colle à la peau. pour ma part, c’est N.Y, en fait Staten Island, Richmond County . ce que j’en retiens, ici je suis “l’américaine” et la bas, je reste la petite belge. mais bon, passons…tout cela pour dire que l’on est toujours étranger ou étrange pour quelqu’un, qu’à cela ne tienne, l’essentiel, c’est être.

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