Quand les Israéliens se sont procurés les premiers vaccins, on a loué leur audace, leur culture du risque, l’esprit de résilience qui les mobilise face aux crises et cette chutzpa inimitable pour obtenir ce dont ils ont besoin. Quand ils ont été les premiers à vacciner la quasi-totalité de leur population en trois mois, rouvrant avec une joie insolente cafés et restaurants, c’est le monde entier qui a applaudi. La réussite d’Israël est pour tous la promesse de jours meilleurs. Cela fait bien longtemps qu’Israël n’avait fait autant vibrer. Depuis le début de la pandémie, sa côte de sympathie a bondi de plus de 50% en France et de 8% dans toute l’Europe selon l’Institut de recherche européen YouGov. Un sursaut que le chef de la diplomatie Gabi Ashkenazi attribue aux Accords d’Abraham et à la campagne de vaccination : « L’Europe comprend les valeurs d’Israël et ses atouts dans les domaines de la santé, de la lutte contre le coronavirus et de l’innovation ». Dans un monde globalisé où les Etats sont notés en permanence, Israël marque de précieux points. Encore lui faut-il aller plus loin pour convertir cette réputation nouvelle en véritable influence politique.
La vaccination, arme de soft power
Au moment où des équipes israéliennes planchent toujours sur un vaccin ou son alternative (un vaccin oral développé par Oramed, un spray nasal par SaNOtize), impensable pour Israël de se hisser au niveau des gros producteurs chinois, russe et indien, et prétendre rivaliser avec eux dans la compétition qui fait rage pour exporter le remède, devenu une arme de diplomatie massive. Première à lancer un vaccin, la Russie a livré le Spoutnik V à une vingtaine de pays, y compris la Cisjordanie et Gaza [voir encadré]. Mi-mars, le géant pharmaceutique indien a annoncé fournir son Covishield au Sud-Est asiatique et à l’Afrique pour mieux y contrer l’influence du Sinopharm chinois. En tant que champion mondial de la vaccination et vitrine du succès de Pfizer, Israël en a fait un instrument de soft power. Il est à ce jour le seul pays à avoir vacciné tout le corps diplomatique. Surtout, il partage son expertise technique, logistique et humaine à travers des séminaires, comme récemment avec Paris, Berlin et Oslo. Des projets bilatéraux sont menés dans la tradition de la diplomatiesanitaire de MASHAV, l’Agence de coopération fondée en 1958 par Golda Meir. Israël coopère ainsi avec l’Inde, où la direction R&D de Tsahal et le chef du Département Innovation de la Santé se sont rendus cet été. Que ce soit l’envoi de secours suite à une catastrophe naturelle ou maintenant la « Digital Health » dans la lutte contre le covid-19, la politique n’est jamais loin.
Autre atout de taille : le « passeport vert » qu’Israël est le premier à expérimenter pour permettre aux personnes vaccinées d’accéder aux activités culturelles et sportives. Début février, il a signé un accord avec la Grèce et Chypre afin de relancer l’économie du tourisme. L’Islande, le Danemark, la Suède et l’Autriche sont sur les rangs pour rejoindre ce club de privilégiés.
Diplomatie transactionnelle
L’influence s’usant quand on ne s’en sert pas, Benjamin Netanyahou a eu l’idée d’aller plus loin. Il a décidé d’offrir des vaccins à des pays en échange de leur soutien diplomatique. Premiers servis : le Honduras et le Guatemala, qui ont transféré leur ambassade à Jérusalem, ont reçu fin février 5 000 doses chacun. « Elles seront destinées aux personnels de santé les plus exposés » assure le président hondurien Juan Orlando Hernándes, ancien diplômé de MASHAV. Parmi les heureux bénéficiaires figuraient aussi la Guinée équatoriale qui a annoncé ouvrir une ambassade à Jérusalem et la Tchéquie, laquelle inaugurait peu après une mission diplomatique dans la Ville sainte. La manœuvre intervient peu après qu’Israël a négocié via la Russie la libération d’une ressortissante détenue en Syrie en échange de l’achat de Spoutnik V pour le régime de Bachar al-Assad. Après avoir fait vacciner son ennemi, il était normal de choyer ses alliés. Plus largement, Netanyahou s’inspire de la diplomatie transactionnelle qui a fait le succès des Accords d’Abraham. On oublie trop vite qu’Abu Dhabi a officialisé ses relations avec Israël en échange de F-35, le Soudan de son retrait par Washington de la liste des Etats terroristes et le Maroc de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Dans le même esprit, Israël devait livrer des vaccins à la Mauritanie pour relancer le processus de normalisation interrompu par le départ de Trump. Las, le procureur de l’Etat, saisi par le ministre de la Défense Benny Gantz, a gelé les envois de vaccins. Il faut dire que le Premier ministre agissait seul, dans une opacité totale, sans avertir les services de la Santé ni la Défense. Après concertation, les envois devraient reprendre vers 20 pays (Chypre, Ethiopie, Tchad, Ouganda…) concernant un lot de 100 000 doses de Moderna. Israël fournira aussi 2400 doses à la Force d’Observateurs au Sinaï (comptant 14 nationalités) à la demande de Washington.
Une opportunité pour l’Europe
Israël n’ayant pas renoncé à produire un vaccin, c’est vers Europe qu’il se tourne. Le 4 mars, Netanyahou a reçu ses homologues danoise et autrichien pour consolider un partenariat sur la recherche et la production de vaccins. « Nous devons nous préparer à de nouvelles mutations et ne plus être dépendants uniquement de l’UE pour la production de vaccins de 2e génération » a expliqué Sebastian Kurz, frustré par la lenteur de Bruxelles. Une initiative vertement critiquée par la France pour qui le « cadre européen » doit rester la règle. C’est oublier que les Vingt-Sept sont libres de conclure des contrats avec des laboratoires. Ainsi, la Serbie et la Hongrie n’ont pas attendu pour se fournir en Chine, Viktor Orbán lui-même ayant été vacciné avec du Sinopharm. L’initiative israélienne dérange, car elle bouscule les habitudes. Si le Danemark ose faire cavalier seul, c’est qu’il est déjà l’unique Européen dans le top 10 des pays qui ont vacciné leur population, faisant preuve d’une audace que ne renieraient pas les Israéliens (il a racheté des vaccins non réclamés dans l’UE). Israël est aussi suspecté de faire de l’entrisme. Bruxelles « n’instrumentalise pas les vaccins à des fins de propagande » a déclaré le président du Conseil européen Charles Michel en dénonçant « les opérations très limitées mais largement médiatisées » de Pékin et Moscou. Dans le cas d’Israël, sa diplomatie vaccinale ne fait que suivre le sillon déjà tracé des divisions européennes en visant les « illibéraux » d’Europe centrale, dont il s’est rapproché depuis plusieurs années. L’objectif est de contrer toute décision de l’UE qui sanctionnerait l’occupation des Territoires palestiniens. Ainsi, cela n’a surpris personne, quelques jours après le chancelier Kurz ont débarqué à Jérusalem le président tchèque et Viktor Orbán, grand ami de Netanyahou. Tous deux se sont montrés très intéressés par le passeport vert et la production de vaccins. Et si l’Europe se saisissait de l’opportunité que lui offre Israël ? L’UE a « manqué d’ambition », reconnait Emmanuel Macron, en imputant son retard au fait qu’elle avait « moins rêvé aux étoiles que certains autres ». Si elle décide de sortir de sa torpeur en s’inspirant d’un modèle de vaccination unanimement reconnu, tout l’encourage à suivre l’étoile d’Israël.
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Vacciner les Palestiniens
Au moment où Israël vaccinait sa population jusqu’aux résidents des colonies et envoyait des doses à ses alliés d’Afrique et d’Amérique latine, ses voisins palestiniens attendaient toujours de recevoir leurs vaccins. Un déséquilibre criant qui risquait d’entacher sa diplomatie vaccinale en réveillant ce qu’il avait précisément réussi à faire oublier : le dossier de l’Occupation. Certains n’ont pas manqué de crier à « l’Apartheid vaccinal », mais le fait est que la Santé relève directement de l’Autorité palestinienne en vertu des Accords d’Oslo. Surtout, Ramallah a longtemps refusé tout soutien d’Israël. Quand celui-ci a finalement permis le transit de 30 000 doses de vaccins Spoutnik V offerts par Moscou et Abu Dhabi début mars, la presse arabe a révélé qu’ils avaient été détournés pour les caciques de l’OLP, la garde présidentielle et l’équipe palestinienne de football. La vaccination des Palestiniens devrait être considérée comme une question de première importance, pour des questions morales mais pas seulement. « Nous sommes une seule unité épidémiologique, nous devons les aider » a plaidé l’ancien tsar de la lutte contre le coronavirus, Moshe Bar Siman-Tov. Depuis, Israël a commencé à vacciner 130 000 travailleurs palestiniens.