Regards n°1063

Covid ou coyid, that’s the question !

Ce réflexe somme toute rassurant ressortit au concept de causalité diabolique élaboré par l’historien de l’antisémitisme Léon Poliakov : la moindre catastrophe (tsunami, décès inopiné, pandémie) ne saurait tenir du hasard, mais procèderait d’une entreprise criminelle, fomentée le plus souvent par les Juifs. La crise du coronavirus le confirme à l’envi, comme l’a fort amèrement constaté le commissaire du gouvernement allemand chargé de l’antisémitisme, Félix Klein : « Il y a des liens directs entre l’actuelle propagation
du coronavirus et celle de l’antisémitisme ».
 En France, l’activiste antisémite Dieudonné M’Bala Bala s’en est pris directement aux acolytes des Rothschild, entendez le trio formé par l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, son mari, le Dr Yves Lévy, et le Dr Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé en France que l’on soupçonne d’origine juive (lire notre article en pp.24-25).

Ce réflexe accusatoire qui présente les Juifs comme les responsables des malheurs du monde, tantôt par haine des ‘goyim’, tantôt par appât du gain, plonge ses racines dans un passé lointain, mais toujours signifiant. Il remonte au début de l’Antiquité chrétienne, où l’on vit les Pères de l’Eglise poser, très tôt, le Juif en figure du Mal à travers l’invention du personnage de Judas.

Quoi de plus ingénieux, en effet, que de nommer… Juif (Judas/Yehuda/Judée) le traître des Evangiles, celui qui à la solde des autorités juives (Sanhédrin) trahit Jésus. A travers celui qui est précisément présenté par l’évangile Matthieu comme le trésorier du groupe, c’est évidemment l’ensemble du peuple juif qui est visé et de là, maudit à jamais. Accusation absurde s’il en fut, si l’on songe que Jésus était tout aussi juif que Judas, tout comme d’ailleurs l’ensemble des apôtres, Simon-Pierre, Barthélemy, Thomas et bien sûr Marie-Madelaine. Cette infox, l’une des premières de l’histoire humaine, était évidemment destinée à absoudre les autorités romaines du crime des crimes, le déicide et ce, parce que les Romains étaient promis à devenir chrétiens et à diriger l’Eglise ! L’on ne s’étonnera pas que fut, dès lors associée aux Juifs, l’idée de complot et d’argent mal gagné (30 deniers).

Ainsi, lorsque la peste noire survint des steppes d’Asie, en 1347, les Juifs se retrouvèrent logiquement accusés d’en être les fauteurs. Nous en connaissons les conséquences : près de 300 communautés juives furent réduites à néant. A Tournai, en 1349, accusés d’en être les propagateurs, les notables juifs furent condamnés au bûcher. Tous les Juifs du Brabant auraient été également massacrés. Les massacres qu’engendra la peste noire sont à l’origine du départ des Juifs ashkénazes vers la Pologne, dont les Juifs de Belgique sont majoritairement issus. L’empoisonnement deviendra, avec le meurtre rituel des enfants et la profanation d’hostie, l’une des trois accusations antisémites majeures. Dès lors, les Juifs se retrouveront assimilés aux agents infectieux (rats), puis directement identifiés avec le développement de la science à la maladie elle-même (microbes, parasites, bactéries).

C’est dans cette acception qu’il faut comprendre la décision finale des nazis d‘assassiner le peuple juif dans sa totalité : on ne négocie pas avec un microbe, son élimination est un même devoir. Etrangement, ce mythe du Juif empoisonneur n’est pas plus étranger à l’univers musulman que communiste. Des hadiths attribuent à Zainab Bint al-Harith, une rescapée juive du massacre de Khaybar, la mort du Prophète par empoisonnement. Près de 1.300 ans plus tard, en janvier 1953, éclate en URSS le complot des blouses blanches : des médecins, la plupart juifs, mais évidemment présentés comme sionistes, parmi lequel figure Vinogradov, le médecin personnel de Staline, sont accusés d’avoir assassiné deux dignitaires soviétiques et de prévoir d’assassiner d’autres dirigeants du parti.

Dans les années 1980 et 1990, la propagande nationaliste arabe et fondamentaliste musulmane ne manqua pas d’accuser les Juifs de propager le sida, puis le H1N1. Et lorsqu’en 2004, Yasser Arafat, le leader de l’Autorité palestinienne mourut, à 75 ans, dans un hôpital français, on ne manqua pas d’accuser les Israéliens de l’avoir empoisonné au polonium. Rien n’a changé depuis. Le 6 mars dernier, Fatih Erbakan, le chef du parti Refah, proche d’Erdogan, n’a pas hésité à dénoncer les manigances sionistes : « Bien que nous n’ayons pas de preuves certaines, ce virus sert les objectifs du sionisme de réduire la population et d’empêcher son augmentation […] Le sionisme est une bactérie vieille de 5.000 ans, cause de la souffrance des gens ».  

D’Ankara à Téhéran, les Israéliens sont accusés d’avoir créé le nouveau virus, dans ce cas précis, en coopération avec la Chine pour éliminer leur population les Ouïgours. Les médias sociaux palestiniens, y compris officiels, n’ont pas manqué d’accuser Israël de l’avoir introduit sciemment en Palestine alors qu’il a été établi que celui-ci a été introduit en Cisjordanie par des pèlerins grecs et à Gaza par l’entremise de deux Gazaouis revenant d’une conférence islamique au Pakistan. Quoi qu’en pensent nombre de mes confrères, les Juifs restent, hélas, encore et toujours les boucs émissaires tout désignés du what went wrong.

Écrit par : Joel Kotek
Politologue et historien
joel kotek

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