Quand la ville de Liège boycotte Israël

Sur proposition du collège communal, et après examen du dossier par la Commission compétente, le conseil communal de Liège a décidé le 24 avril dernier de « suspendre temporairement les relations avec l’Etat d’Israël et avec les institutions complices israéliennes jusqu’à ce que les autorités israéliennes mettent fin au système de violations du peuple palestinien et respectent pleinement les obligations qui leur sont imposées par le droit international et les différentes résolutions des Nations Unies ».

Ce type de motion aux accents résolument anti-israéliens n’est pas inédite dans les annales communales liégeoises. Le 27 mai 2021, le conseil communal de Liège avait adopté une motion visant à « affirmer le soutien de la ville de Liège au peuple palestinien qui subit l’apartheid, la colonisation et l’occupation militaire de la part de l’Etat d’Israël ; à affirmer son soutien à la campagne palestinienne non-violente et anti-raciste BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) et à exclure de ses marchés publics toute entreprise ayant des liens ou jouant un rôle dans l’occupation de la Palestine… ».

La motion adoptée cette année, la veille du 75e anniversaire de la création d’Israël, a été prise sur une initiative du PTB. Sur son site internet, ce parti de la gauche radicale se réjouit pleinement du vote de cette motion faisant de liège « la première ville belge à appeler à suspendre tous les liens avec Israël » et d’ajouter que « cette décision, prise sur une proposition du PTB, constitue une victoire pour le soutien au peuple palestinien. Elle marque le commencement d’une solidarité nouvelle et pourrait faire grandir le mouvement contre l’apartheid israélien en Europe ». Estimant que la question est importante, le groupe socialiste a aussi voté cette motion. « Nous soutiendrons la motion comme nous avons toujours soutenu les droits de l’Homme partout sur le territoire de notre terre », déclare son chef de groupe Jean-Claude Marcourt, même s’il ajoute qu’il « faut aussi saluer aujourd’hui le courage de citoyens israéliens qui se battent contre ce gouvernement d’extrême droite ». Le groupe des Verts de gauche (Vega) a également voté favorablement en rappelant notamment « l’importance de maintenir des liens culturels et intellectuels avec toutes les personnes qui résistent à l’extrême droite et à ce gouvernement fasciste ». Le groupe Ecolo (Vert ardent) a pour sa part également soutenu cette motion en insistant sur l’importance de « de favoriser le dialogue en Belgique et à Liège entre des communautés qui font la diversité et la richesse de notre pays » ! Etonnante manière de d’encourager le dialogue.

« Bannir une démocratie »

Le groupe des Engagés a voté contre cette motion estimant qu’elle « met fin à toute relation avec l’Etat d’Israël », ce qui lui parait aller beaucoup trop loin dans une perspective constructive de dialogue. Le seul élu DéFI et le groupe MR ont également refusé de voter cette motion. Dans un texte publié sur les réseaux sociaux, la cheffe de groupe MR, Christine Defraigne a fait part de son indignation qu’a suscité le vote de cette motion de boycott d’Israël. Soulignant qu’Israël est la seule démocratie de la région, elle ne peut se résoudre à la proscrire : « Bannir une démocratie, rompre tout dialogue, avec arrogance, comme certains, qui n’ont ni l’heur ni le courage de le faire pour bien des dictatures car elles servent leurs intérêts et leur idéologie, c‘est, au bas mot, interpelant. En ce qui me concerne, je suis toujours pour le maintien d’un dialogue, avec condamnation s’il le faut d’agissements répréhensibles. Les droits de l’homme sont ma ligne de conduite. Simplement, je ne veux pas non plus que Liège soit instrumentalisée et devienne le terrain de jeux, le banc d’essai, de tous ces excès extrémistes qui nous préparent un sombre avenir ».

Dans cette affaire, il n’a échappé à personne que la sensibilité exacerbée du PTB aux violations des droits de l’Homme ne se caractérise guère par son universalisme. Que ce soit au Parlement fédéral, dans les assemblées régionales et les conseils communaux, le PTB n’a jamais proposé ni soutenu la moindre résolution demandant la suspension des relations avec la Russie pour la guerre qu’elle mène contre l’Ukraine, avec la Chine pour sa politique de persécution des Ouighours ni avec l’Iran lorsqu’elle emprisonne, torture et condamne arbitrairement un humanitaire belge innocent qu’elle utilise comme monnaie d’échange contre des criminels iraniens détenus en Europe. Le point de fixation du PTB, même dans la vie d’une commune, c’est Israël. Mais il y a un autre élément troublant dans l’adoption de cette motion de boycott : la ville de Liège n’entretient aucune relation avec Israël ni la moindre municipalité israélienne ! Il s’agit donc de mettre fin à des relations qui n’existent pas ! N’est-ce pas le comble de l’absurde en politique ? C’est ce qu’illustre le truisme du chef de groupe PS au Conseil communal liégeois : « Nous allons soutenir la motion de suppression de relations avec Israël. Nous n’en avons aucune. Cela ne va donc nous priver de rien ».

Ces initiatives communales de boycott traduisent, incontestablement la volonté de certains responsables politiques d’apparaître comme les parangons de la défense de ce qu’ils s’imaginent être la cause palestinienne, qu’ils utilisent à l’envi comme un outil de clientélisme politique. On crie d’autant plus fort sa solidarité que l’on sait qu’on ne va rien faire. Parler de boycott à propos de relations inexistantes entre une ville et un Etat est d’ailleurs un abus de langage dans la mesure où il ne s’agit que d’inscrire sur papier quelque chose qui ne se produira jamais. Identifié comme une question de politique internationale, le conflit israélo-palestinien devient dans ce contexte un enjeu électoral de politique interne. La cause palestinienne est donc prisonnière des contradictions politiques belges et même locales liégeoises. Les groupes politiques communaux préfèrent se concentrer sur une question de politique internationale pour laquelle ils n’ont aucune compétence ni aucun compte à rendre, plutôt que de s’engager sur des luttes et des enjeux locaux essentiels pour garantir la justice sociale et l’avenir de leur commune. Faisant ainsi aveu d’impuissance sur toutes une série de problèmes économiques et sociaux auxquels leur commune est confrontée, ils bombent le torse, relèvent le menton et ont le verbe haut pour agiter le boycott du « régime israélien d’apartheid » et en faire un thème mobilisateur auprès d’un électorat divisé et fragmenté. Contrairement à la laïcité ou la mobilité, tous les électeurs potentiels sont d’accord. Inconsciemment, ils reproduisent quasiment à l’identique l’attitude des dirigeants arabes envers la cause palestinienne. Depuis 1947, la question palestinienne a été instrumentalisée par les régimes arabes dans une sorte de surenchère nationaliste où la défense de la cause palestinienne apparait comme un levier de légitimation politique, de leadership régional ou un moyen pour détourner l’attention des problèmes internes.

Antisionisme radical du PTB

Loin de créer une situation nouvelle pour la délégitimation d’Israël, la montée en puissance du PTB ces dernières années lui a donné une vigueur supplémentaire. Ce parti n’a jamais caché son hostilité à Israël. Bien qu’il réfute toute accusation d’antisémitisme, il assume son antisionisme radical. Les précautions oratoires du PTB n’empêchent pourtant pas un climat délétère et hostile aux Juifs de s’installer. « Je ne pense pas que cette motion de boycott susciterait une vague de violences visant les Juifs de Liège mais elle contribue incontestablement à susciter un climat hostile », déplore Guy Wolf, président du Foyer culturel juif de liège. Comment vouloir empêcher des jeunes d’importer le conflit sur le sol belge si des élus attisent une haine d’Israël rejaillissant sur les Juifs de Belgique ? Comment faire comprendre les nouvelles formes d’antisémitisme y compris celle liée à la haine d’Israël que les pouvoirs publics veulent par ailleurs combattre, notamment en adoptant des plans de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il est difficilement concevable de laisser des élus aller dans le sens inverse en attisant les pires instincts pour des raisons électoralistes.

On pourrait hausser les épaules en considérant que ces initiatives communales de boycott n’ont aucun impact réel sur les relations entre la Belgique et Israël. Même dans la région liégeoise, cette motion n’empêchera pas les nombreuses sociétés israéliennes, importantes pourvoyeuses d’emplois, de poursuivre leurs activités à l’aéroport de Bierset. Mais ce serait ignorer que l’enjeu du boycott est ailleurs. « Ces initiatives de boycott entrainent des conséquences à long terme », observe Emmanuel Nahshon, directeur général adjoint du ministère des Affaires étrangères en charge de la diplomatie publique et numérique et ancien ambassadeur d’Israël à Bruxelles. « Elles créent un climat hostile à Israël et confère ainsi une légitimité au boycott d’Israël au sein de l’opinion publique. Cela devient donc légitime et normal de boycotter Israël sans que cela affecte les relations économiques entre Israël et le pays auquel appartient cette commune. C’est inquiétant car cela conforte l’idée selon laquelle il y a quelque chose d’intrinsèquement mauvais dans Israël et qu’il est alors logique de remettre en cause sa légitimité et son existence ».

Initiative électoraliste

Liège est aujourd’hui la seule commune belge ayant voté une motion de boycott d’Israël. Il y a peu de villes ou communes européennes dans ce cette situation car dans de nombreux pays la législation les en empêche. Le cas le plus célèbre est celui de Barcelone où une majorité de circonstance de la municipalité a adopté le 9 février 2023 une motion de boycott d’Israël. Elle a été sévèrement dénoncée par le gouvernement espagnol et ne sera suivie d’aucune conséquence pratique sur les relations israélo-espagnoles. Sans aucun doute, la motion liégeoise n’affectera pas non plus les relations belgo-israéliennes. En revanche, elle alimentera le processus de remise en cause de l’existence d’Israël sans pour autant faire avancer d’un centimètre la cause palestinienne. Le pire, c’est que les responsables politiques le savent. N’est-ce pas le chef de groupe PS au conseil communal liégeois qui a déclaré au moment de voter cette motion de boycott que « faire des motions ne changera pas la situation des Palestiniens ». Et conscient de l’électoralisme qui plane sur cette problématique, il n’a pu s’empêcher d’inviter ses collègues à « la modération des motions » en leur rappelant qu’ils vont « entrer dans une période électorale ».  

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