Aimer les Juifs morts, détester les Juifs vivants

Nous nous sommes sentis trahis lorsque des voix, toutes démocrates, progressistes et antiracistes, ont réagi avec une absence totale d’empathie pour les victimes israéliennes des atrocités commises par les Hamas le 7 octobre dernier. Nous nous sommes également sentis insultés par ceux qui ont assimilé Israël à l’Allemagne nazie en l’accusant de commettre un génocide dans la bande de Gaza. En considérant les Israéliens comme des génocidaires nazis, il leur est alors aisé de puiser dans le lexique de la Résistance pour qualifier le Hamas et ses massacres dont la dimension pogromiste, voire génocidaire, saute pourtant aux yeux.

Ces outrances, relevant à la fois de la négation et de la distorsion de la Shoah, n’ont pas été prononcées par des tyrans surfant sur l’antisionisme et l’antisémitisme pour détourner l’attention de la terreur qu’ils font régner. Cette fois-ci, la nazification d’Israël émane de responsables politiques honorables, de militants associatifs progressistes et d’intellectuels férus de complexité. A coup de métaphores et de comparaisons insupportables, ils retournent tous la mémoire de la Shoah contre les Juifs et Israël. Le message qu’André Flahaut, ancien ministre socialiste de la Défense et ancien Président de la Chambre des députés, a publié sur X résume parfaitement leur manière de voir les choses : « (…) Gaza aujourd’hui, c’est Varsovie hier ».

A quoi cela sert d’ériger en impératif politique le devoir de mémoire de la Shoah pour ensuite ne pas distinguer l’extermination systématique d’un peuple d’une guerre asymétrique entre une armée régulière et une organisation terroriste utilisant des populations civiles comme boucliers humains ? Et pourquoi épingler fièrement sur sa boutonnière un pin’s en forme de triangle rouge des prisonniers politiques des camps de concentration nazis pour finalement mettre sur un pied d’égalité le ghetto de Varsovie (400.000 Juifs enfermés dans 307 hectares, 80.000 y sont morts de faim et plus de 300.000 déportés et assassinés à Treblinka entre l’été et l’automne 1942) et la bande de Gaza ? Loin de stimuler la réflexion critique et forger une conscience sociétale, ce dévoiement pervers de la mémoire la Shoah nie l’ampleur historique de ce crime de masses, insulte ses victimes et leurs descendants et exacerbe la haine des Juifs.

Ils sont en réalité nombreux à communier dans cette religion compassionnelle de la Shoah. En se lamentant sur la Shoah et le malheur juif, ces personnes montrent qu’elles sont moralement élevées et qu’elles appartiennent au camp du bien. Hélas, ce cadre mental alimente à la fois une fascination perverse pour les Juifs morts (surtout ceux de la Shoah) et une indifférence sidérante pour les Juifs vivants confrontés aujourd’hui à l’antisémitisme. Le sommet de la perversité est atteint lorsque ces Juifs vivants, et tout particulièrement les Israéliens, sont accusés de faire aux Palestiniens ce que les Nazis leur ont fait subir avec la Shoah.

Ce phénomène est-il le résultat d’une mémoire faisant de la Shoah la métaphore abstraite du Mal mais oubliant la mort concrète et spécifique de millions de Juifs ? Sûrement, mais il y quelque chose de plus profond et de moins avouable : en répétant que Gaza c’est le ghetto de Varsovie ou Auschwitz, ces passionnés du devoir de mémoire parviennent à se libérer à bon compte du poids de la culpabilité collective européenne de la Shoah. Si les Juifs vivants, héritiers des victimes de la Shoah, ne valent guère mieux que les nazis, alors les détester n’est pas raciste mais une réaction salutaire contre leur racisme. C’est hélas un constat terrible que nous faisons, seuls et isolés.

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Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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