L’exigence universaliste de Pessah

Nicolas Zomersztajn
A Pessah, la pâque juive, nous évoquons la fin de l’esclavage et la sortie d’Egypte. C’est surtout la notion de liberté que nous célébrons. D’où le quatrième nom de cette fête : Hag zman heroutenou (littéralement, la fête du temps de notre liberté).
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Lorsque nous chantons le soir du Seder de Pessah que « nous étions des esclaves de Pharaon en Egypte », nous réaffirmons chaque année la double idée selon laquelle plus jamais un tyran ne réduira le peuple juif en esclavage et plus jamais un tyran n’asservira un autre peuple, une minorité ou des individus. Il appartient donc aux Juifs de ne jamais faire preuve d’indifférence face à tous ceux qui subissent l’oppression. Dans cette perspective universaliste, la mémoire de l’esclavage n’a rien de victimaire. Bien au contraire, elle rappelle aux Juifs que s’ils oublient le message universel et émancipateur contenu dans la fête de Pessah, ils risquent de retrouver une mentalité d’esclave et de perdre leur identité d’êtres humains libres.

L’émancipation telle qu’elle est envisagée à Pessah renvoie les Juifs à une dynamique de liberté qu’ils se donnent et qu’ils partagent avec l’Autre. Les Juifs ont été fidèles à cette idée, même dans les pires situations qu’ils ont traversées. Le combat désespéré des jeunes combattants du ghetto de Varsovie (et de tous les autres ghettos de Pologne) témoigne de cette fidélité. En se soulevant le 19 avril 1943, la veille de la fête de Pessah, lorsque les Allemands entrent dans le ghetto pour entreprendre sa liquidation finale, ils entendaient mourir debout et non pas « comme des moutons envoyés à l’abattoir ». Prendre les armes avait certes une signification singulièrement juive mais cette lutte avait également une portée universelle. Les combattants juifs du ghetto signifiaient au monde qui assistait à la destruction des Juifs d’Europe qu’ils voulaient « sauver la dignité humaine ». C’est ce qu’avait effectivement confié Arié Wilner, un combattant de l’Organisation juive de combat, à un responsable de la Résistance polonaise. Ce sentiment d’appartenance à l’humanité a poussé ces combattants juifs à reprendre la devise « Pour notre liberté et pour la vôtre » (Za naszą i waszą wolność) qui figurait sur l’étendard de l’insurrection polonaise de novembre 1830 contre la domination russe.

Cette exigence universaliste se retrouve aussi dans les articles du Yugent Shtime, l’organe clandestin du Tsukunft, le mouvement de jeunesse du Bund (socialistes juifs) ayant aussi rejoint l’Organisation juive de combat du ghetto de Varsovie. « Tous les peuples sont frères ; jaunes, bruns, noirs et blancs. Parler de couleurs et de races n’est qu’une histoire inventée », pouvait-on lire en yiddish dans un des numéros publiés dans la tourmente. Ce slogan repris sur les affiches clandestines de l’Organisation juive de combat exprimait la volonté des combattants du ghetto de Varsovie d’inscrire leur lutte dans une perspective émancipatrice de solidarité universelle.

Cet idéal émancipateur et universaliste contenu dans la fête de Pessah et porté par les combattants du ghetto de Varsovie semble malheureusement à la traîne aujourd’hui. Au nom du droit à la différence et d’une forme identitaire et victimaire d’antiracisme, certains mouvements pourtant censés s’orienter vers l’émancipation humaine finissent par nourrir une hostilité croissante envers l’universalisme. Ce bel idéal est décrié et assimilé à un projet raciste, colonial, sexiste et « blanc ». Quel horrible contresens historique, car comme Moïse face à Pharaon, toutes les grandes figures des luttes anticoloniales se sont référées à l’universalisme pour le retourner contre leurs oppresseurs. C’est aussi ce que Pessah nous enseigne. Hag Pessah Sameah !

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