Regards n°1099

Invisibilisation et mépris

Curieusement, ces exigences de visibilité et de réappropriation du combat antiraciste par les personnes racisées sont balayées d’un revers de manche lorsqu’il est question d’antisémitisme. Par un tour de passe-passe, l’expérience concrète de l’antisémitisme vécue par les Juifs et leur compréhension de ce phénomène n’est plus d’aucune utilité pour l’antiracisme. Au sein d’une certaine gauche très impliquée dans le combat antiraciste, il est de bon ton d’invisibiliser les Juifs en parlant à leur place et en leur imposant des définitions et des critères de l’antisémitisme qu’ils n’approuvent pas.

Alors que l’immense majorité des organisations juives tente difficilement de sensibiliser les pouvoirs publics aux mutations de l’antisémitisme et à ses formes les plus contemporaines, toute une série d’associations, de partis et de personnalités passent leur temps à rejeter avec un mépris déconcertant leurs demandes légitimes. À cet égard, le combat acharné mené par une certaine gauche contre la définition opérationnelle et non contraignante de l’antisémitisme utilisée par l’IHRA (L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste) et soutenue unanimement par les organisations juives représentatives en Europe est un bel exemple d’invisibilisation des Juifs dans la lutte contre l’antisémitisme. Cette invisibilisation, souvent formulée dans des termes ambigus et douteux, présente toujours les demandes juives comme le produit d’une manipulation « sioniste » de grande ampleur visant à museler d’honnêtes militants pro-palestiniens.

Au lieu d’accabler les Juifs et Israël, et de ne pas tenir compte du point de vue des principaux concernés par l’antisémitisme, les dirigeants de cette mouvance de la gauche feraient mieux d’admettre que l’image persistante du Juif comme figure suprême de la domination se répand depuis trop longtemps parmi leurs militants « anticapitalistes ». À tel point que pour nombre de Juifs, la gauche radicale n’apparaît plus comme un « espace de sécurité » (safe space) mais plutôt comme un refuge pour des antisémites ne prenant même plus la peine de se dissimuler derrière le faux nez de l’antisionisme.

La polémique de cet été autour du rappeur Médine, invité en France aux universités d’été d’Europe Écologie-Les Verts et en Belgique au festival Les Solidarités, aura été l’illustration parfaite de cette dérive. Face au parcours plus qu’ambigu de l’artiste et à ses justifications peu convaincantes, une partie de la gauche s’est obstinée à se cacher derrière le « droit à l’erreur » plutôt que de procéder à l’examen critique de ses textes, de ses gestes, de ses fréquentations et de s’interroger sur la sincérité des multiples excuses de ce récidiviste en matière d’antisémitisme. Et quand Médine est pris la main dans le sac en train de faire un jeu de mot antisémite (ResKHANpée) digne du Dufour crématoire de Jean-Marie Le Pen ou du Shoahnanas de Dieudonné, des associations progressistes belges vont jusqu’à déplorer « le choix de faire taire un artiste engagé sur la seule base d’une campagne de dénigrement des plus rances », au lieu de fustiger cet exemple flagrant d’antisémitisme.

Ainsi se déploie la mécanique redoutable que l’écrivain et diplomate français Jean-Christophe Ruffin qualifiait d’antisémitisme par procuration dans un rapport publié en 2004. Il est le fait de personnes qui ne prononcent aucune parole antisémite, mais dont pourtant les opinions, les propos et quelquefois simplement le silence favorisent la propagation de l’antisémitisme. Au bout du compte, les Juifs se retrouvent seuls et les antisémites peuvent compter sur des alliés progressistes, cyniques dans certains cas, naïfs ou ignorants dans d’autres.

Écrit par : Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef
22 bis

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