Regards n°1110

La mezouza antisioniste

Depuis que l’antisémitisme a brutalement resurgi avec le massacre du 7 octobre, beaucoup de Juifs se demandent si leur mezouza, ce petit boîtier qu’ils placent sur le chambranle de la porte d’entrée de leur habitation, les rend particulièrement vulnérables. Par crainte d’un incident antisémite, des familles juives retirent leur mezouza, pourtant considérée comme un symbole de protection divine pour la maison et ses habitants, et choisissent la dissimulation et l’invisibilisation.

À contre-courant de ce réflexe de discrétion, l’infime minorité de Juifs antisionistes a fait le choix contraire. Depuis le 7 octobre, ces Juifs résolument hostiles à l’existence d’Israël ne cessent d’afficher ostensiblement leur judéité. En les voyant s’épanouir dans des espaces où règne un antisémitisme d’atmosphère, on croirait qu’ils ne se sont jamais aussi bien sentis en tant que Juifs. Si ces groupuscules juifs antisionistes aiment se présenter comme des parangons de vertu et de courage, ils ne sont pas pour autant téméraires. À leur manière, ils affichent une mezouza d’un genre nouveau en guise de protection.

Ainsi, une organisation juive antisioniste de Bruxelles a placé sur la façade de son immeuble une grande bannière sur laquelle il est inscrit « + de 40.000 morts palestiniens à Gaza. Pas en notre nom ! » Ce slogan leur permet à la fois de marquer leur appartenance au camp vertueux de l’antisionisme radical et de se protéger d’éventuelles agressions d’une meute antisémite risquant de les confondre avec les « sionistes », c’est-à-dire la majorité des Juifs ne partageant pas leur positionnement anti-israélien. Accueillis à bras ouverts par une gauche radicale obsessionnellement antisioniste, les voici donc en sécurité. À tel point qu’ils arborent cette bannière dans les manifestions de soutien à Gaza. Courageux mais vigilants malgré tout, ils se regroupent dans un « bloc juif » et prennent soin de défiler avec un calicot supplémentaire censé leur garantir un « bonus » d’impunité : « Juifves contre le génocide ».

Même s’ils ne sont qu’une poignée, ces groupuscules juifs antisionistes jouent un rôle fondamental dans la diffusion de cette rhétorique d’exclusion des Juifs « sionistes » : ils lui confèrent un cachet moral, ils la cachérisent. Il est d’ailleurs fréquent de lire ou d’entendre des antisionistes forcenés se défausser des accusations d’antisémitisme en félicitant ces groupuscules juifs alignés sur leur discours : « Enfin des Juifs comme on les aime. Vous arrivez à dire ce que nous n’avons pas le droit de dire. » Ils sont ainsi présentés comme les « bons Juifs », ce qui leur donne l’opportunité de proférer les pires horreurs sur les Juifs sous couvert d’antisionisme. C’est aussi la raison pour laquelle ces Juifs antisionistes sont tant appréciés : ils n’obligent pas cette gauche radicale à questionner le lien entre antisionisme et antisémitisme, ni à réfléchir de manière contradictoire à la complexité de la situation géopolitique du Proche-Orient.

Tout cela serait risible si cette posture n’entraînait pas de conséquences désastreuses pour l’immense majorité des Juifs d’Europe. En déclarant sans cesse que l’antisémitisme trouve sa source dans le soutien juif à Israël – systématiquement présenté comme inconditionnel –, ou que l’antisémitisme ne serait qu’une arme destinée à empêcher toute critique du gouvernement israélien, ces groupuscules antisionistes participent à l’ostracisation des Juifs « sionistes ». Ils commettent ainsi le pire : ils justifient objectivement l’antisémitisme, posent des conditions à la lutte contre ce fléau et criminalisent la majorité des « mauvais Juifs » pour leur attachement au seul État juif.

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