Regard n°1096

Henri Kichka : pour que mémoire vive !

A l’initiative de l’AMS et de la commune de St Gilles, un hommage a été rendu, le jeudi 25 mai à Henri Kichka, cet orphelin de la Shoah qui devint, après quelques années de silence, l’un des témoins privilégiés de la mémoire de la déportation des Juifs de Belgique.

Il revint à l’école des Quatre Saisons, située place de Bethléem, à Saint-Gilles, d’accueillir l’événement. Non sans propos. C’est dans cette même école que notre orphelin de la Shoah fut scolarisé juste avant la Catastrophe. Une centaine de personnes assistèrent à l’événement, parmi lesquels deux de ses enfants, les délicieux Michel et Irène, le bourgmestre de Saint-Gilles, Jean Spinette, la ministre de l’Education de la FWB, Caroline Désir, sans oublier une cinquantaine d’écoliers Saint-Gillois qui lui rendirent le plus beau des hommages par des dessins, des discours et des chants.

Bien évidemment, on ne peut que se féliciter de cette initiative dans le contexte du retour de flamme de la haine antijuive, notamment mais pas uniquement au sein de segments des populations qui habitent aujourd’hui tous ces immeubles qui abritèrent des réfugiés juifs dans l’Entre-deux-Guerres. Aussi, ce n’est pas par hasard que la cérémonie se clôtura Rue Coenraets l’une de ces rues juives de jadis. C’est là que furent réinaugurés les Pavés de Mémoire en hommage aux disparus de la famille Kichka (ses parents, ses sœurs), raflés aux côtés d’Henri le 9 septembre 1942. J’ai bien écrit « réinaugurés » parce que les pavés originaux placés en octobre 2014 avaient été profanés dès janvier 2015 par un des propriétaires actuels de l’immeuble, issu pourtant comme les Kichka de l’immigration. Les pavés de la mémoire avaient été promptement recouverts d’une chape de béton. À l’époque, l’orphelin Henri Kichka s’était déclaré profondément choqué par l’attaque perpétrée contre la mémoire de ses parents et de ses sœurs. C’était comme si sa famille avait été assassinée une seconde fois. De son côté, l’Association pour la Mémoire de la Shoah, qui coordonne le développement de ces monuments urbains, n’avait pas manqué de dénoncer la dimension antisémite de cette profanation et appelé les autorités communales « à prendre toute initiative propre à restaurer le monument et à prévenir une nouvelle agression ». C’est chose faite quelque huit années plus tard. Les cinq pavés de laiton brillent à nouveau de leurs mille feux, comme autant d’avertissements lancés aux passants contre les méfaits des discours de haine.

Pour ma part, ce n’est pas sans émotion que j’ai été amené à participer à l’événement en tant que représentant du CCLJ. Comment oublier qu’Henri Kichka fut notre Mensch de l’année 2008. Je le revois tout ému lorsqu’il reçut cette récompense, symbolisant le combat de toute une vie. Combat pour la survie d’abord, pour la mémoire vive et utile ensuite. Ce prix, imaginé par David Susskind, fut précisément créé pour honorer des hommes et des femmes, juifs comme non-juifs, qui ont inscrit leur vie au service des valeurs juives et universelles et ce, selon la magnifique et célèbre maxime de Hillel l’ancien « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si je ne suis que pour moi, Que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? » (Mishna – Pirke Avot 1:14). Henri Kichka fut assurément un Mensch. Son expérience tragique, il l’a mise au service de la communauté des hommes, ne ménageant ni sa peine, ni son temps pour transmettre un message d’espoir aux milliers d’écoliers qu’il rencontra tout au long de sa vie. Ce fut pour lui une véritable réhabilitation dans la société des humains. C’est précisément dans cette réalité que se fonde l’idée même de Mensch ou Homme en yiddish. Avec un grand H. Qu’est-ce qu’un Mensch ? C’est quelqu’un, nous dit le même Hillel l’Ancien, qui fait effort de rester Homme, là où il n’y a plus d’hommes. Henri sut rester un Homme dans l’enfer même d’Auschwitz, puis après-guerre au-delà de ses blessures infinies. 

Henri Kichka me fut cher à plus d’un titre. Outre d’être un témoin important de la Shoah, il fut aussi un ami d’enfance de mon père. Le hasard (mais y-a-il vraiment un hasard dans la vie ?) est que je devins l’ami de ses enfants. De son fils Charly d’abord, puis de ses sœurs et de son grand frère Michel, le génial bédéiste belgo-israélien qui hérita, à l’instar de Charly, de ses talents d’artiste.

Je terminerai par une banalité : les survivants d’Auschwitz furent des témoins irremplaçables. Comment faire sans eux ? Et ce d’autant plus dans le contexte de la montée de l’antisémitisme et de cet antisionisme radical qui n’est souvent qu’un faux-nez de l’antisémitisme des plus classiques. Comment notre Liégeois de cœur (il était de Seraing) aurait-il réagi face à la décision du Conseil communal de Liège de rompre toute relation avec le seul Etat d’Israël ? Comme le dit la définition de l’IHRA, adoptée notamment par le Sénat de Belgique, l’antisémitisme se manifeste notamment lorsqu’on exige d’Israël un comportement qui n’est attendu ni requis d’aucun autre pays démocratique et, pire dictatorial (Qatar, Chine, Turquie, etc.). Hier comme aujourd’hui, les Juifs et/ou les « Israéliens » constituent une commode variable d’ajustement. C’était au nom de la politique du moindre mal que Joseph Bologne, le bourgmestre socialiste abandonna les Juifs aux nazis. Rien n’a vraiment changé depuis lors, souci électoraliste oblige ! La mémoire de la Shoah ne servirait-elle donc à rien de la Belgique à Israël, plus que jamais otage de partis politiques ouvertement racistes. Un comble, non ? 

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