Regards n°1099

Le(s) çons

Je le répète, à longueur de chroniques, nous entrons dans une série de zones de turbulences qui n’augurent absolument rien de bon. Tout est là pour en témoigner. Partout, de la Pologne aux États-Unis en passant la Belgique, les partis anti-immigration gagnent des parts de marché. Jusqu’en Israël, ce qui m’amène à ce terrible constat : l’histoire ne sert à rien sinon à nous amuser de nos lâchetés toujours répétées. Prenez le glorieux peuple juif, l’étalon de la souffrance et des persécutions sans cesse répétées, d’est en ouest, du nord au sud. Oui, n’en déplaise aux nouveaux « antiracistes », les Juifs restent les objets de la plus longue haine (antisémitisme) et les victimes du pire génocide (Shoah) de l’histoire. Eh bien, ce glorieux peuple semble oublier les leçons de sa propre histoire.

Souvenons-nous qu’Israël a été construit par des pionniers russes, polonais, lituaniens sans aucune expérience démocratique. Leur quotidien était celui de l’iniquité, de la violence, de la haine et pourtant, cela ne les empêcha pas de construire un État modèle, juif et démocratique, une exception au Proche et Moyen-Orient. Ils mirent sur pied, dans un contexte de haine obsidionale, un État démocratique, occidental, respectueux de la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. L’utopie supposait qu’à terme Israël allait inspirer ses voisins, bref, occidentaliser en profondeur le Moyen-Orient. Le constat est amer : c’est l’Orient qui semble avoir pris le dessus sur l’Occident avec une nouvelle génération d’hommes politiques qui, je le déplore, s’inscrit dans les pas des leaders xénophobes de l’Europe centrale de l’entre-deux-guerres. Mêmes velléités de construire un État national-religieux, même méfiance à l’égard de la justice, même hubris destructrice.

Orientalisation toujours accélérée, si l’on songe que le dessein inavoué des partis religieux, sionistes comme antisionistes, est de construire un État qui s’apparenterait à bien des égards au régime des Mollah. Que sont nos rabbins orthodoxes devenus ? Il est vrai que l’exigence de justice et d’égalité est le plus souvent le fait de groupes minoritaires ou persécutés qui, une fois libérés de leurs chaînes, se révèlent tout aussi intolérants que leurs anciens persécuteurs. On exige loin de chez soi des droits qu’on bafoue chez soi. Allégrement. Pouvez-vous me citer un seul État arabe démocratique ? L’État juif va-t-il s’engager dans cette voie sans issue ; un État faisant jusqu’ici exception à la règle, quoiqu’en disent les organisateurs d’un récent et ubuesque colloque bruxellois sur l’antisémitisme où, soulignons-le, il ne manqua à l’appel que le frère Tariq Ramadan, naguère choyé par d’éminents pompiers pyromanes de notre communauté !

Le pire est possible si l’on songe aux réactions totalement dingues (je choisis ce mot trivial à dessein) de députés religieux à la déclaration (pour une fois) sensée du pyromane en chef de l’État juif. Bibi eut l’audace de rappeler aux quelque 30.000 Hassidim, désireux de se rendre au pèlerinage d’Ouman en Ukraine, que « Dieu n’avait pas toujours protégé les Juifs, ni sur le sol européen, ni sur le sol ukrainien. » Paroles d’hérétique (sic) qui furent immédiatement dénoncées par des députés religieux, antisionistes comme sionistes. La réaction la plus virulente émana d’Israël Eichler, un député du parti ultra-orthodoxe Yahadout HaTorah qui, fustigeant « l’ignorance » de Netanyahou, indiqua qu’il pensait que c’étaient les « sionistes », plutôt que Dieu, qui étaient responsables des souffrances des Juifs pendant la Shoah ! Et que croyez-vous que Netanyahou ait fait : rien, évidemment, pour être précisément l’otage des religieux. En ce début de siècle, le négationnisme que l’on pensait l’apanage des seuls antisémites a désormais sa section juive.

Somme toute, la seule leçon que l’on peut tirer de l’histoire, c’est qu’on ne peut en tirer aucune. Prenez ces 300 rabbins qui ont accepté de se réunir à Bakou, capitale d’un État engagé à épurer ethniquement, par la force et/ou la faim, l’enclave arménienne du Haut-Karabagh. Gageons que l’excursion se fit à bas coût. Le pire est à venir : certains d’entre eux (une minorité) se crurent obligés d’adresser un courrier désobligeant au président arménien l’accusant, ni plus ni moins, de négationnisme. Convenons-en, du fait de sa géopolitique, l’Azerbaïdjan est une démocrature qu’Israël entend désormais soutenir et ce, au nom d’intérêts politiques (et économiques) bien compris. De là, des livraisons d’armes qui ont permis aux forces armées azéries de vaincre ceux que je tiens comme nos frères d’infortune. À tout bien penser, cette alliance témoigne, elle aussi, de la normalisation d’Israël, un État qui entend agir selon la seule raison d’État. Cette logique explique pourquoi Israël, qui livre des armes offensives à un État agresseur, choisit de ne pas fournir à l’Ukraine, un État agressé, des armes défensives et ce, malgré la judéité de son président. J’ai honte pour l’Arménie. J’ai honte pour l’Ukraine, d’où je vous écris cette chronique. Toutes ces considérations géopolitiques m’amènent à implorer les Juifs comme les Israéliens de cesser d’invoquer à tout bout de champ la lâcheté des dirigeants européens et américains face à la Shoah. Camarades, nous avons les mêmes à la maison !  

P-S. Vous n’allez pas me croire mais j’estime qu’un sursaut est possible en Israël ; société civile, intellectuels et rabbins libéraux obligent.

Écrit par : Joel Kotek
Politologue et historien
joel kotek

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